Mots croisés

Flush royal

Quel timing… Les Québécois sont encore essoufflés de leurs contorsions électorales, eux qui ont de nouveau démontré, le 2 mai dernier, qu'ils constituaient une anomalie dans l'ensemble canadien, qu'on les replonge dans leur psychose.

Après avoir dit non au parti qui incarnait depuis vingt ans aux Communes la différence québécoise, après avoir également dit non au parti porté au pouvoir par le rest of Canada mais oui, un grand oui d'amour, à un parti qui en provient, voilà que notre déjà bien mêlée province doit clarifier son degré d'attachement à ses lointains monarques.

Comment va réagir la population lors de la visite du prince William et de sa gracile épouse, roturière promue duchesse dans un conte qu'on dirait sorti des studios Disney? À la rédaction de Voir, les avis sont partagés: «Ça va être la folie», prédisaient les uns à l'heure du lunch, il y a quelques jours. «Il n'y aura pas un chat, comme pour la visite du prince Charles en 2009», répliquaient les autres.

Sauf respect pour ces derniers, il ne fait aucun doute que ce sera noir de monde pour le passage des tourtereaux au Festival de jazz de Montréal, le 2 juillet, et le lendemain dans le Petit Champlain, à Québec. Je crois bien peu dans les contes de fées, mais je crois que les contes de fées ont et auront toujours un fort pouvoir de séduction. En particulier durant les périodes où tout fout le camp.

On pourra d'ailleurs dire que personne ici n'est viscéralement attaché à la famille royale, que sa présence dans nos vies se limite au portrait qui tinte au fond de nos poches et que l'attrait suscité par le jeune couple est le fruit d'un engouement médiatique mondial plus que du désir d'accueillir «notre nouvelle princesse», il reste que notre rapport à la couronne est ambigu, mélange de protestation tranquille et de fascination bon enfant. Comme notre rapport à tout ce qui touche au pouvoir et à ses symboles.

De toute façon, dans l'immédiat, la question la plus criante est ailleurs. Elle se situe, comme bien souvent, dans les environs du portefeuille.

Qui c'est qui va payer?

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Est-ce bien aux contribuables de défrayer les coûts de la royale présence, Kate et William ayant pourtant de quoi payer leurs virées à l'étranger?

Amir Khadir, on le sait, ne mâche pas ses mots: «Quel gaspillage de fonds publics! Tout ça pour recevoir ces parasites-là!»

Le député de Mercier entend d'ailleurs joindre sa voix à celle du Réseau de résistance du Québécois (RRQ) pour protester contre la visite et sa facture, rappelant qu'il n'appuie pas en tout le très incisif réseau, mais prétextant ici «quelque chose de très légitime».

Pendant ce temps, la ministre québécoise des Relations internationales Monique Gagnon-Tremblay sort l'argument touristique pour justifier la dépense, prétendant que «l'image que le Québec va transmettre à l'étranger est très importante. C'est aussi une vitrine pour le Québec».

Ailleurs, les uns et les autres donnent l'impression de jongler avec des patates chaudes. Une illustration, une de plus, de l'ambiguïté mentionnée plus haut.

Dans presque tous les cas, l'argumentaire prend l'eau. Les amis, bien sûr qu'il est normal d'accueillir le prince et sa mie. Nous vivons, voici l'occasion de le rappeler, dans une monarchie constitutionnelle. La reine aux accoutrements jaune pâle ou vert pomme est notre reine, et pas seulement quelques jours par année; nos têtes couronnées circulent ici en toute légitimité.

Il ne s'agit ni d'un point à débattre ni d'une vitrine touristique. On se trompe de cible, et surtout on lâche la proie pour l'ombre, en grognant contre cette visite davantage que contre la structure qui la rend parfaitement normale.

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Les belles-mères du Voir

Je me suis d'abord un peu fâché, il y a quelques jours, à la lecture d'une entrée Facebook de Jean Barbe. L'auteur et journaliste, premier rédacteur en chef de cet hebdo, y commentait l'importance qu'avait prise dans nos pages, au fil des années, le contenu art de vivre/gastronomie. Puis se montrait nostalgique, dans un échange avec quelques fidèles, de manières de faire soi-disant disparues, du bon vieux temps…

Comme quoi il n'y a pas que le PQ qui ait ses belles-mères, Voir également!

Je me suis d'abord fâché puis c'est passé. N'est-il pas profondément humain de regretter ce qui fut? Ce qui veut dire aussi, au moins un peu, regretter ce que l'on fut soi-même. «Ne pourrons-nous jamais sur l'océan des âges / Jeter l'ancre un seul jour?»

(D'ailleurs, pardonnez par avance au vieux grincheux, quelque part au fond de moi, qui un jour dira que c'était mieux avant.)

Entre les lignes de cet échange, je me permets de voir d'abord un attachement profond à l'aventure Voir, un souci du cours qu'elle prend année après année.

Je ne vais pas entrer ici dans les détails de la composition actuelle de ce journal, sinon pour dire que Voir s'en tire plutôt bien, nous semble-t-il, et sûrement mieux que d'autres, au lendemain d'une crise financière doublée d'une crise de l'imprimé.

Sinon pour dire aussi qu'il n'y a rien d'antinomique dans la proximité d'un contenu «bons shows» et d'un contenu «bonne bouffe».

À quelques encablures du 25e anniversaire de Voir, je veux surtout dire que tous les avis sont bienvenus – bons ou mauvais, et si possible constructifs -, à commencer par ceux de quelqu'un de ta trempe, Jean.

Qu'on se le tienne pour dit: en matière de culture, nous avons bien l'intention de demeurer les kings!