Prise de tête

À déterminer : Né d’une mère vierge?

Noël… le temps des Fêtes…: c’est parti!

Il faut cependant le dire: pour certains, ce sera un assez dur moment à passer.

D’aucuns s’attristent, par exemple, de cette ostentatoire générosité, qui est le contraire de la justice; d’autres encore pestent contre ce vent de folie consumériste qui balaie tout; sans parler de ces rationalistes qui se demandent s’ils doivent ou non laisser leurs enfants croire au père Noël – et si oui, jusqu’où.

Pour moi, cette période de l’année, c’est simplement la fête du solstice d’hiver, fête ancienne et païenne qu’on trouve dans de nombreuses traditions et qui célèbre le retour des journées qui s’allongent: les chrétiens l’ont simplement kidnappée, sapins et cadeaux compris, et adaptée, avec crèches, rois mages et autres symboles.

Mais Noël, c’est aussi le moment rêvé pour parler des miracles. Car après tout, c’est bien un miracle que les croyants nous demanderont de commémorer le 25: celui du Fils de Dieu né d’une mère vierge – ce qu’on appelle la naissance virginale et non pas l’Immaculée Conception, qui est, elle, la croyance que Marie est née sans le péché originel (c’est fou le nombre de gens, croyants compris, qui confondent ces deux choses…).

Une définition, pour commencer: un miracle est une transgression des lois de la nature. Ici: une vierge, autrefois, a donné naissance.

Quand peut-on croire qu’un miracle, celui-ci ou un autre, a eu lieu? La référence incontournable sur la question est David Hume (1711-1776).

Si nous sommes raisonnables, rappelle d’abord Hume, nous proportionnerons nos jugements aux faits pertinents pour les fonder. Là où les preuves positives sont solides et abondantes, notre assurance que la proposition concernée est vraie sera grande et croîtra avec elles. Dans le cas contraire, notre assurance que la proposition concernée est fausse sera grande et va croître avec la paucité des preuves.

Quels sont les faits pertinents pour juger de la naissance virginale? Ils proviennent de témoignages. Soyons donc raisonnables et examinons ces témoignages. Sont-ils crédibles?

Des quatre évangiles, deux seulement, ceux de Matthieu et de Luc, parlent de naissance virginale. C’est un mauvais point pour le miracle: s’il avait eu lieu, on se demande pourquoi la moitié des évangélistes n’en parleraient pas!

En outre, ce que racontent les deux qui en parlent diffère beaucoup, ce qui diminue encore la crédibilité de leurs témoignages.

De plus, ces évangélistes rapportent en fait des témoignages et n’ont donc pas été eux-mêmes des témoins directs. Autre mauvais point.

Enfin, Matthieu, qui écrit en grec, cite l’Ancien Testament, écrit, lui, en hébreu, et qui prophétise une naissance virginale. Mais l’hébreu a deux mots pour désigner «vierge»: bethulah, qui signifie vierge au sens usuel; et almah, qui veut dire vierge, mais aussi jeune fille ou jeune mariée. Et Matthieu le rend en grec par parthenos bethulah, alors que ce pouvait fort bien être almah qui avait été utilisé.

On peut conclure que les témoignages ne sont pas de nature à inciter à croire à ce miracle.

Mais il s’agit en plus, cette fois, d’un événement très particulier: un miracle, une transgression des lois de la nature par volonté divine. Et nous avons alors des raisons supplémentaires de nous montrer sceptiques. Ce n’est pas comme si on nous disait qu’un stylo est tombé au sol: on nous dit qu’il s’est envolé tout seul au plafond!

Or, notre expérience et celle de toute l’humanité témoignent avec une très grande force de la véracité des lois qui auraient été transgressées lors d’un miracle: les stylos, comme les autres objets, tombent et ne s’envolent pas; les mamans ne sont pas des vierges. Notre expérience nous apprend également que les gens se trompent souvent et aussi qu’ils mentent, pour une infinité de raisons, parmi lesquelles le fait de se rendre intéressant en se disant témoin d’un miracle, répétant des histoires de naissance d’une vierge que racontent tant de traditions religieuses ou mythologiques.

Hume conclut que pour accepter la réalité du miracle, il faudrait une preuve contraire et supérieure à celle que nous avons pour croire aux lois de la nature, une preuve que ne peut donner un simple témoignage, qui n’est qu’une expérience, alors que nous avons, pour croire aux lois de la nature, d’innombrables expériences et témoignages.

On est loin du compte, ici encore. Et Hume conclut: «Quand un homme me dit qu’il a vu un mort rappelé à la vie, je considère immédiatement en moi-même s’il est plus probable que cet homme me trompe ou qu’il se trompe, ou que le fait s’est réellement produit. [et] je pèse, l’un en regard de l’autre, les deux miracles.»

Naissance miraculeuse d’une mère vierge? Selon les arguments avancés, je ne peux y croire. Vous voulez y croire tout de même? Libre à vous. C’est ce que certains entendent par foi. Moi, je veux des preuves. Je ne suis pas preneur. Ni preneur non plus du mec qui tord des cuillères avec sa pensée, pour les mêmes raisons.

Joyeux solstice d’hiver, joyeux sceptiques de toutes les saisons!