Prise de tête

Trois trucs pour naviguer de manière critique

Nous passons tous désormais beaucoup, beaucoup de temps sur internet. On ne sera pas surpris d’apprendre que les plus jeunes forment le groupe d’âge qui en passe le plus.

Or internet et tout ce qu’on y trouve – depuis les médias sociaux jusqu’aux sites les plus crédibles, en passant par tout ce que vous savez ou imaginez – sont potentiellement une formidable machine à désinformer.

Comment s’y retrouver, comment conserver son esprit critique devant cette surabondance d’informations qui ne sont manifestement pas toutes crédibles? L’enjeu est de taille puisque la qualité de la conversation démocratique dépend de manière décisive qu’elle se tienne entre citoyens informés. Et c’est loin d’être gagné.

Considérez à ce propos les conclusions d’une récente recherche réalisée aux États-Unis.

Tristes résultats

À quelque 200 élèves du secondaire, on montre une page du web sur le réchauffement climatique tirée de la section «science» d’un magazine, puis, sur le même sujet, une page commanditée par une pétrolière et identifiée comme telle. On leur demande de dire laquelle est la plus crédible.

70% ont choisi la deuxième.

À autant d’étudiants du collège, on demande s’ils utiliseraient, dans un travail, les données statistiques sur le système de santé publiées par un certain Joe Smith, qui commente un article de journal.

La réponse semble évidente, mais plus de 40% ont répondu oui.

À 58 étudiants universitaires et 95 étudiants préuniversitaires, on demande de juger si est crédible un site informant sur les effets (décrétés très négatifs) de l’instauration du salaire minimum dans l’industrie de la restauration. Le site est une création d’une firme de relations publiques travaillant pour cette industrie.

Seulement 6% des étudiants du premier groupe et 9% du deuxième ont échappé au piège.

Comment faire mieux?

Les stratégies usuelles

Une première et incontournable solution consiste à transmettre des savoirs, ce qui est bien entendu le rôle de l’éducation (j’allais écrire: de l’instruction…) publique. Car le fait est que pour naviguer les phares grands ouverts sur internet, posséder un grand nombre de savoirs est salutaire.

Mais on ne peut tous les détenir; et il existe tant de pièges sur internet, de sites trompeurs, dont certains ont même été sciemment créés pour nous tromper, qu’on a proposé des stratégies pour aider les surfeurs de la Toile à départager le vrai du faux, ou du simplement plausible.

On enseigne ainsi, notamment aux élèves, à porter une grande attention à la facture générale du site et à examiner avec soin divers aspects importants de son contenu.

On se demandera par exemple, à propos d’un site donné: est-il fait de manière professionnelle? Les textes sont-ils rédigés en une langue irréprochable? Des références sont-elles fournies? Sont-elles crédibles? Expose-t-on de manière acceptable une idée avec laquelle on n’est finalement pas en accord? Propose-t-on des arguments? Est-ce une adresse .com ou .org? Est-il possible de contacter une personne responsable du site? Et plusieurs autres semblables.

Mais cela ne fonctionne manifestement pas très bien, entre autres parce que les sites trompeurs sont bien faits et qu’ils sont parfois même conçus pour passer avec succès tous ces tests qu’on veut leur faire subir.

Que faire, alors? Existe-t-il des stratégies plus efficaces que nous devrions tous connaître et enseigner dans les écoles?

Les chercheurs ayant fait passer les épreuves rapportées plus haut ont eu l’heureuse idée d’aller voir comment, en allant sur internet, procédaient ces gens qu’on appelle en anglais des «facts checkers», des vérificateurs de faits ou d’informations.

Ces personnes qui travaillent dans les médias ou pour diverses entreprises ou institutions ont un métier qui exige qu’elles soient justement capables, de manière rapide et efficace, et notamment sur internet, de départager le vrai du faux, ou du plausible.

Que font ces experts? Il se trouve qu’ils utilisent couramment trois stratégies simples et efficaces.

Avis d’experts

Pour commencer, les experts pratiquent ce qu’on peut appeler la «lecture latérale».

Passer du temps sur un site pour en évaluer la crédibilité, on l’a vu, risque d’être peu utile et constituer une énorme perte de temps. Les experts, eux, quand ils arrivent sur un site, ouvrent plutôt rapidement d’autres fenêtres pour lire à propos du site examiné. La page de la pétrolière était bien faite et on aura du mal à en percer le secret même en y restant pour lui faire passer les tests habituels: mais en en sortant, en quelques clics, on aurait su qui était derrière. Et il en va de même pour la page sur le salaire minimum.

Ensuite, les experts utilisent Wikipédia.

J’entends d’ici votre étonnement mêlé d’incrédulité. «On dit sans arrêt à nos étudiants de ne pas consulter ça!» Mais attention: si les experts vont sur Wikipédia, c’est pour en faire un bon usage.

D’abord, là aussi, ils lisent latéralement; ensuite, ils consultent surtout les références et les sites proposés, en allant vers ceux qu’ils savent crédibles, plutôt que le texte de l’article; enfin, ils vont sur les pages de discussion des articles pour apprendre ce qui pose problème sur les sujets controversés.

Finalement, les experts, quand ils font une recherche sur Google, pratiquent ce que l’on pourrait appeler la «modération du clic».

Une tendance courante, quand on fait une recherche, est en effet de consulter les tout premiers sites que le moteur de recherche nous propose. Les experts, eux, passent plutôt du temps à examiner les URL des sites proposés et à lire les bribes de textes qui accompagnent chaque résultat.

Cela fait, ils cliquent bien souvent sur des sites ne figurant que sur la deuxième ou la troisième page des résultats.

Simple. Utile. Efficace. À pratiquer sans modération.

Pour en savoir plus

Pour lire sur la recherche originale, allez ici et . Sur ce dernier site, vous trouverez des idées pour enseigner tout ça et les mettre en pratique. (C’est en anglais…)