Art-peur

Art-peur: les arts de la scène en stagnation

Les jeunes compagnies en péril

«La continuité, c’est bien, mais ça prend aussi du renouveau», lance David Lavoie, interrogé à propos des effets du gouvernement conservateur sur le milieu du théâtre. Membre fondateur et ancien directeur général du Théâtre Aux Écuries, dirigé par plusieurs jeunes compagnies, David Lavoie, qui vient de se joindre à l’équipe du Festival TransAmériques comme directeur général adjoint, connaît de près les conditions de création des jeunes artistes de la scène. «Il y a eu une augmentation de plusieurs millions de dollars il y a quatre ou cinq ans au Conseil des Arts du Canada (CAC), et après, ça a gelé, sauf que la demande n’a jamais cessé d’augmenter. La principale incidence de cette stagnation est de favoriser une consolidation des organismes déjà établis et d’empêcher les nouvelles générations d’arriver.» Il existe deux types d’enveloppes offertes aux compagnies de théâtre, explique-t-il: «Il y a les enveloppes ponctuelles par projet (essentiellement destinées aux artistes en début de carrière) et les enveloppes au fonctionnement, qui assurent au moins une récurrence de financement sur trois ans, mais qui sont généralement pérennes. Il y a quelques années, les enveloppes au projet ont décliné, et comme il n’y a pas de nouvel argent, les compagnies qui se développent depuis une quinzaine d’années n’arrivent jamais à progresser et demeurent dans des conditions de pratique de la relève.» Il donne l’exemple d’Olivier Choinière qui n’arrive pas à accéder à des moyens de production supérieurs à ceux d’il y a 10 ans.

Lavoie croit que le milieu du théâtre se trouve au bord d’une crise, pointant l’été prochain (période où seront remises les prochaines subventions) comme seuil critique. «Ça fait de nombreuses années que la nouvelle génération d’artistes n’arrive pas à passer au fonctionnement, et la compétition est de plus en plus forte. Elle va finir par tirer sur des membres de sa famille et par s’entredéchirer», prédit-il sombrement.

Prendre à Jacques et donner à Paul

Depuis l’an dernier, le CAC a réalisé une transformation de ses programmes pour répondre aux criants besoins du milieu, exprimés entre autres par les jurys de pairs qui œuvrent au sein du conseil. Un mouvement de fonds s’est opéré par la création d’une nouvelle subvention pluriannuelle de 8%, prise sur le budget au fonctionnement et redistribuée comme tel: 1% pour accueillir les nouveaux organismes, 3% pour l’accès au marché international et 4% pour répondre à l’excellence artistique (argent remis à des compagnies déjà soutenues au fonctionnement). «C’est formidable, mais ce n’est pas de l’argent neuf: on prend à Jacques pour donner à Paul», précise Sylvain Cornuau du théâtre Le Carrousel, une compagnie jeune public qui a un des plus larges rayonnements à l’international et qui a grandement souffert de l’abolition en 2008 des programmes PromArt et Routes commerciales. «L’impact du gouvernement conservateur est très tendancieux parce qu’il met petit à petit ses pions partout, dans les CA et les organismes culturels, notamment au CAC pour des révisions de programmes qui au final nous laissent dubitatifs.» Le 3% déployé pour l’aide aux tournées ne remplacera jamais le soutien qu’offraient PromArt et Routes commerciales. «C’est environ 14 millions de dollars qui ont été coupés. Un seul avion F-35 vaut 75 millions et ils veulent en commander 69! Ça montre que le gouvernement conservateur ne croit pas à la diplomatie culturelle ni à l’importance du rayonnement du Canada à l’étranger par ses artistes.»

Les coupes à blanc

Le gouvernement Harper a d’ailleurs sabré plusieurs postes d’attachés culturels dans ses ambassades européennes. «En plus de la fermeture de la bibliothèque du Centre culturel canadien à Paris, continue Cornuau, il a aboli 24 postes à l’ambassade du Canada à Berlin, dont trois à la culture et aux affaires publiques. À Londres, l’ambassade du Canada n’a plus de section culturelle et il a supprimé des postes de conseillers aux arts vivants aux ambassades du Canada à Paris et à Berlin. Ce sont des choix idéologiques parce que l’argument financier ne tient pas.»

Hélène Nadeau, directrice générale du Conseil québécois du théâtre, explique en partie les difficultés financières du milieu par sa croissance exceptionnelle, mais déplore la fin des programmes qui soutenaient la Conférence canadienne des arts, qui a dû fermer ses portes après 67 ans d’existence, et la Coalition pour la diversité culturelle, «deux organismes de haut niveau de réflexion, d’analyse et de vigilance», explique-t-elle. Le mandat du premier était de faire le lien entre les acteurs du milieu et Ottawa. «L’organisme analysait les budgets et faisait des recommandations aux ministres des Finances sur les questions de politiques culturelles. On n’a plus d’organisme ayant une vision globale des politiques culturelles au Canada. Il y a un message à recevoir.»

L’ambiance est donc à l’austérité. «Il va falloir s’insurger, mais on est des générations d’artistes un peu démobilisées, s’inquiète Lavoie. La compétition est forte et on n’a pas les moyens de se démarquer. Le risque de la pratique, tu le prends longtemps seul. L’art est-il un bien public?» lance-t-il. Après le passage de Harper, on est en droit de poser la question.