Théologie Médiatique

Les États-Désunis du Canada: l’illusion du statu quo

La bande-annonce d’un documentaire, Les États-Désunis du Canada, produit par les Productions de la ruelle, fait sensation ces temps-ci sur les médias sociaux. Elle a été visionnée plus de 114 000 fois depuis sa mise en ligne, le 29 octobre dernier. On peut comprendre pourquoi. On y voit des nationalistes de l’ouest du Canada insister sur leurs différences – et leurs différends! – avec le Québec, dans un montage qui choque où se succèdent des images d’archives de la Belle Province et d’autres de l’ex-URSS, le marteau et la faucille et le drapeau québécois présentés comme des signes équivalents, Karl Marx, René Lévesque et Lénine jouant à peu près le même rôle.

Les images frappent, mais les mots aussi, comme ceux de Leon Kraig, professeur émérite de philosophie politique à l’Université de l’Alberta, qui, en quelques phrases, trace le fossé entre le Québec et l’Ouest sur la base des distinctions bien connues: libéralisme contre socialisme, pro-choix contre pro-vie, droite contre gauche, aide sociale contre entreprise privée… On connaît la comptine.

Évidemment, le grand clivage Québec/ROC (rest of Canada) semble ici étalé au grand jour. De quoi donner des sueurs froides. Vous avez dit société distincte?

Il serait cependant prématuré de réduire l’essence du film signé Guylaine Maroist, Michel Barbeau et Éric Ruel à la simple illustration d’un antagonisme éculé et distillé à toutes les sauces qu’on peut percevoir dans cette bande-annonce.

Car ce documentaire, qui sera présenté le 9 décembre au Canal D à 19h, va bien au-delà du clivage Québec/ROC. En présentant plusieurs partis séparatistes et leurs représentants, partout au pays, from coast to coast, de Terre-Neuve à la Colombie-Britannique, c’est un Canada morcelé en une multitude de sociétés distinctes qu’on révèle au grand jour. Il n’y a pas que deux solitudes canadiennes… Il y en a au moins une dizaine, rassemblées sous l’appellation trompeuse de «confédération», peut-être le plus grand malentendu de notre histoire.

Sociétés distinctes… Une expression qu’il faudra peut-être écrire au pluriel à l’avenir.

C’est bien ce qui ressort de ce voyage à la fois historique et politique que les auteurs nous proposent. Nous vivons depuis 1995 dans l’illusion que seul le Québec porte l’insatisfaction du statu quo, en marge d’une Constitution qui semble scellée pour toujours, attendant les prochaines conditions gagnantes qui n’arrivent jamais. À entendre parler des séparatistes partout au pays, on se rend compte que les choses sont beaucoup moins simples que ce à quoi on pourrait s’attendre. Le statu quo est fragile et des voix se lèvent pour dénoncer une fédération centralisée qui tente vainement d’aplanir les différences provinciales.

Ce constat est loin d’être aussi désespérant qu’on pourrait le penser. Ce documentaire permet justement de croire que tout n’est pas perdu et que le couvercle de la marmite constitutionnelle ne demeurera peut-être pas fermé à jamais. L’eau bout… Assez pour qu’on puisse avancer le chiffre de 46% de citoyens albertains qui seraient au moins prêts à discuter de la séparation. Ce n’est pas rien.

Pour l’heure, les fédéralistes comme les souverainistes au Québec ou les séparatistes ailleurs au pays vivent avec des projets inachevés… Le pays du Canada est un compromis incomplet et insatisfaisant à bien des égards, un casse-tête qui semble compter trop de pièces pour reconstituer l’image qu’on nous présentait sur la boîte. À vouloir le terminer, il faudra inévitablement faire craquer des bouts de paysage et sans doute remettre en question ce que l’on considère à tort comme des acquis.

 

Bien des Québécois ne seront pas d’accord avec les divers intervenants qu’on peut entendre dans Les États-Désunis du Canada, notamment à propos de telle ou telle question morale ou politique comme l’avortement ou le port d’armes à feu. J’espère cependant qu’ils y trouveront une certaine forme de réconfort en constatant l’insatisfaction profonde de certains de leurs concitoyens des autres provinces. Ce qu’ils nous disent, au fond, c’est que nous ne sommes pas les seuls à être «distincts» et que ce fameux ROC qu’on voit comme un bloc monolithique est en fait une mosaïque où on commence sérieusement à étouffer.

Il faudra à ce titre bien saisir les propos de Brad Steppan, un pasteur mennonite qu’on peut entendre dans le film: «Je pense que les Québécois ne comprennent tout simplement pas. C’est plus évident que je le pensais, ils ne peuvent pas comprendre. On ne peut pas vous dire: “Voici comment vous devriez vivre.” Ça ne se fait pas. Alors, pourquoi se permettent-ils de le faire?»

Partant de là, du simple constat qu’on ne se comprend pas, il faudra sans doute se rendre compte que le statu quo n’est qu’une illusion dont personne ne bénéficie et qui ne pourra durer éternellement. À moins d’accepter que l’incompréhension mutuelle puisse servir de fondement à un contrat social, ce qui semble pour le moins périlleux…

Les États-Désunis du Canada

Un documentaire de Michel Barbeau, Guylaine Maroist et Éric Ruel

 

Productions de la ruelle

Le documentaire (version avec sous-titres) sera présenté au Cinéma du Parc les 7 décembre 19h et 8 décembre 17h en présence des réalisateurs.

 

Télédiffusion à Canal D le dimanche 9 décembre, 19h.

www.productionsdelaruelle.com