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Pétition pour la démission de Jean Charest : implication sociale ou illusion virale?

Difficile de ne pas s'intéresser à la pétition réclamant la démission de Jean Charest lancée cette semaine, surtout si, en plus de s'intéresser à la politique, on s'intéresse à la cybercivilisation. Initiée par deux citoyens jusqu'alors presque inconnus et parrainée par Amir Khadir, elle a été signée par plus de 150 000 personnes à l'heure où j'écris ces lignes… En 48 heures.

Il s'agit bien évidemment de ce qu'on appelle un phénomène « viral » qui aurait sans doute été impossible sans l'apport des technologies informatiques de la communication, notamment des réseaux sociaux. Le lien vers la pétition est « tweeté » et partagé sur Facebook à un rythme effarent, voire étourdissant. Influence Communication, qui établi quotidiennement un palmarès du poids médiatiques de divers événements, classait ce matin cette nouvelle au 6e rang des médias traditionnels.

C'est d'autant plus intéressant de constater que les initiateurs de cette pétition sont en fait deux quidams, fondateurs d'une nébuleuse organisation qu'ils appellent « Mouvement citoyen national du Québec » (MCNQ) qu'ils présentent assez pompeusement comme étant « La mémoire collective politique du Québec! » … Que ça! En consultant leur site web, (qui ne convancra personne sur le sérieux de leur démarche soit-dit en passant) on comprend que ce « mouvement » est le résultat d'une fusion entre deux groupes facebook : 1000000 de Québécois pour sortir le PLQ et Jean Charest du pouvoir!!! et ''Mobilisation générale contre le budget du Québec''.

Pour la petite histoire, un des deux fondateurs du MCNQ, Anthony Leclerc, s'est fait connaître plus tôt cette année alors qu'il faisait la manchette pour son fameux Lipdub contre la réforme de l'éducation, projet qui lui avait valu une suspension de la Polyvalente Ancienne-Lorette.

Cette pétition, de ses origines jusqu'au succès indéniable qu'elle obtient aujourd'hui, est donc de bout en bout un projet web. Elle est devenue un peu l'équivalent politique de certaines vidéo youtube, souvent des publicités camouflées, diffusées et rediffusées par des utilisateurs qui agissent comme des relayeurs d'information. D'où l'usage du terme « viral » pour qualifier ce genre de dissémination de l'information, le message circule bel et bien comme un virus.

Et un virus, ça se fout pas mal de vos opinions politiques… Ça vous infecte, peu importe ce que vous pensez, ce que vous savez, ou ce que vous croyez savoir.

Vous me voyez venir avec mes gros sabots hein? Eh oui… Je vous le donne en mille : je crains que la valeur de cette pétition soit plus virale que politique. Bien qu'on ne peut ignorer le phénomène, qui est loin d'être banal, j'ai bien l'impression qu'il témoigne plus d'une sorte de vice du cyberespace que d'un réel engagement politique. Signe-t-on une pétition comme on se fait des « amis » virtuels, en cliquant sur le même bouton des milliers de fois sans que ces amitiés ne soient organiquement fondées? Il y a une sorte de frénésie du nombre, non pas pour ce qu'il signifie politiquement, mais pour sa simple valeur « informatique ».

En somme, est-ce que la e-démocratie dont on parle tant repose simplement sur une sorte d'engagement « virtuel », où dans le confort de nos foyers, il suffit de cliquer ça et là pour avoir l'impression de faire partie de la res publica, comme on a l'impression d'avoir des milliers d'amis…

Je ne suis pas cynique… Je réfléchis.

En 1993, Ignacio Ramonet écrivait dans Le Monde Diplomatique :

A tous ces chamboulements s'ajoute un malentendu fondamental. Beaucoup de citoyens estiment que, confortablement installés dans le canapé de leur salon et en regardant sur le petit écran une sensationnelle cascade d'événements à base d'images fortes, violentes et spectaculaires, ils peuvent s'informer sérieusement. C'est une erreur majeure. Pour trois raisons : d'abord parce que le journal télévisé, structuré comme une fiction, n'est pas fait pour informer, mais pour distraire; ensuite, parce que la rapide succession de nouvelles brèves et fragmentées (une vingtaine par journal télévisé) produit un double effet négatif de surinformation et de désinformation; et enfin, parce que vouloir s'informer sans effort est une illusion qui relève du mythe publicitaire plutôt que de la mobilisation civique. S'informer fatigue, et c'est à ce prix que le citoyen acquiert le droit de participer intelligemment à la vie démocratique.

Je relisais cet extrait hier soir et je me demandais si cette sorte de "démocratie virtuelle" n'est pas une fiction de plus où le citoyen s'imagine qu'il pourra enfin prendre part au film qu'on lui présente désormais à toutes les secondes…