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Richard Martineau… Profession: grande gueule

Richard Martineau en soi n’est pas un objet de réflexion très intéressant. On prend un peu plaisir, parfois, à répondre à ses colères et ses envolées populistes, mais tout bien considéré, le lire ou ne pas le lire revient à peu près au même.

Toujours est-il que, parfois encore, il convient de rétablir certains faits avancés par lui et il vaut certainement la peine de réfléchir sur l’omni-commentation, concept général dont il est une manifestation particulière.

L’omni-commentation, mot qui n’existe pas encore mais qui mériterait qu’on l’invente, consiste à avoir quelque chose à dire sur tout et, comme la chose est en soi impossible et inhumaine, à crier son point de vue, très fort, afin que la puissance du bruit puisse suppléer à l’insignifiance.

Par exemple, imaginez que vous ne connaissiez rien à l’Islam radical. Ça arrive aux meilleurs d’entre nous. Ce n’est pas une tare. C’est un sujet complexe et même les experts, lorsque vient le temps de se prononcer sur cette question, choisissent la nuance. Vous, incompétents que vous êtes en cette matière, vous ne pouvez articuler un discours signifiant à ce sujet. Dans la mesure où vous voulez vous faire entendre sur cette question, il vous faut donc crier, faire des simagrées, gesticuler avec un entrain démesuré pour qu’on vous remarque. Il vous faut entrer en compétition avec d’autres, plus compétents, qui tentent de se faire entendre tout en douceur. Le rôle de l’omni-commentateur consiste à enterrer la signifiance avec du bruit. C’est bien connu, entre un bulldozer et une pièce de Satie, le bulldozer l’emportera, même si le pianiste a du talent et que l’opérateur du bulldozer est un con fini qui n’a jamais conduit un tel véhicule de sa vie.

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L’important, surtout, est de ne jamais confondre la possibilité de faire du bruit avec le métier –si tant est que le mot «métier» puisse signifier quelque chose- de chroniqueur.

Or, c’est justement l’erreur fondamentale que commet Richard Martineau dans un texte intitulé «Lettre à un jeune chroniqueur», écrit à l’encre de l’amertume, qu’il publiait cette semaine. Je le cite.

«On m’a dit que tu aimerais devenir chroniqueur, plus tard.

Personnellement, je ne t’encourage pas à suivre cette voie. Il y a des professions plus utiles à la société: médecin, chercheur, journaliste d’enquête (personne qui travaille d’arrache-pied pour sortir des histoires qui permettront aux chroniqueurs de chroniquer).

(…)

Mais si tu veux absolument devenir une grande gueule professionnelle, voici quelques conseils, fruits de plusieurs années de labeur. Qui sait ? Mon humble expérience te permettra peut-être de ne pas tomber dans les mêmes pièges que moi… »

C’est exactement à cet endroit que quiconque désirant devenir chroniqueur devrait cesser sa lecture. Il n’y apprendra rien d’utile. Pour une raison fort simple, toute la suite repose sur une prémisse erronée. Il n’est aucunement question de devenir une «grande gueule professionnelle».

Le péril de Richard Martineau est de ne pas avoir compris cette subtilité pourtant évidente. Le piège dans lequel il est tombé, c’est sa propre mâchoire. Être chroniqueur, ce n’est pas avoir une «grande gueule», ce n’est pas tenir des propos à contre courant simplement parce qu’ils sont à contre courant, ce n’est pas non plus brasser le bon peuple en leur criant «les vrais affaires».

Chroniquer, c’est surtout écrire régulièrement sur un sujet particulier en tentant d’y apporter une certaine expertise, sinon un éclairage nouveau qui permet de nouvelles voies de réflexion. La grande gueule n’est qu’un accessoire de scène, un artifice, un effet spécial. On peut s’en passer comme un bon chanteur peut se passer des explosions et des shows de boucane. Son talent suffit.

C’est là que se trouve le piège tendu au jeune chroniqueur: Vouloir crier très fort, à tout prix, avant même d’avoir réfléchi ou d’avoir quelque chose à dire, comme si sa profession l’engageait sur cette voie et sur cette voie seulement. C’est cette erreur que commet jour après jour Richard Martineau et, assez curieusement, en voulant conseiller la relève, il lui propose de se lancer tête première dans le même précipice.

Je ne sais si Richard le sait, mais s’il discutait quelques fois avec les chroniqueurs de la relève, il se rendrait compte que plusieurs d’entre eux avancent prudemment afin de ne pas tomber dans le piège de «la grande gueule comme Martineau»… Le piège, il est là, et pas ailleurs.

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Le reste de la démonstration de Martineau est à l’avenant. Il n’y a, en-soi, aucun problème à pointer une piste de réflexion qui sort du «consensus québécois». Si tant est qu’il y ait bien consensus… Un simple regard au dernier résultat des élections permet de s’en convaincre! Où ça, un consensus? Aucune position ne fait l’unanimité. Nous sommes plusieurs à tenir des positions divergentes, parfois même au sein d’un même média. Rares sont les lettres d’insultes et encore plus rares sont ceux qui retrouveront leurs visages sur les pancartes des manifestants. Yves Boisvert, à La Presse, par exemple, a bien remis en question les présupposés étudiants lors du printemps dernier sans devenir la tête à claque de service. Il le faisait simplement avec classe. Je pilote pour ma part tout un groupe de jeunes chroniqueurs, pas toujours d’accords entre eux, sans qu’il n’y ait de réels problèmes ou de foire d’empoigne. Moi-même, je m’inscris dans une ligne pas nécessairement populaire au sein de la gauche indépendantiste –lectorat naturel du Voir- en toute quiétude et sans être submergé par les attaques personnelles.

Comment une telle chose est-elle possible?

Je vous le donne en mille.

Parce que nous ne suivons justement pas les conseils de Richard Martineau.

Être une grande gueule professionnelle n’est pas un but, c’est un obstacle.