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Lettre à Gérald Tremblay

Montréal 30 octobre 2012

Cher Monsieur Tremblay,

Laissez-moi commencer par le début, si vous le voulez bien. Je vous promets de faire ça court. Je suis Montréalais depuis près de 40 ans. Enfin, presque, car je suis originaire de Montréal-Est. Une municipalité autonome de l’autre côté des raffineries (en plein dedans, en fait, mais bon, vous voyez le topo). J’y ai passé ma jeunesse.

Dans mon esprit, je suis né Montréalais et tout laisse croire que je vais mourir Montréalais. Même si je déménage un jour en région pour élever des canards, je serai encore Montréalais. J’y ai acheté ma maison, je compte la garder. Depuis une dizaine d’années, donc, comme tous les propriétaires, je paye mes taxes municipales. Ça me va. Je n’ai aucun problème avec ce principe. Avec les années, les taxes augmentent et je paye toujours un peu plus. Je le répète, ça me va. Je sacre parfois. J’ai sacré pendant des mois à me faufiler dans le Quartier des Obstacles, mais encore là, ça allait. J’aurais mis un peu moins de béton, mais ça c’est moi. Je suis un type assez enclin au compromis. J’ai payé, je paye encore. Ça me va.

Enfin, ça m’allait, si je peux dire les choses ainsi…

Comme vous, comme mes voisins, j’écoute ce qui se dit à la commission Charbonneau depuis quelques semaines. Je suis estomaqué. Disons les choses telles qu’elles sont: je suis un grand naïf. Je me doutais bien qu’il pouvait exister quelque chose comme de la pourriture dans les coins, mais je me consolais en me disant qu’il s’agissait d’exceptions, de petites crapules bien localisées qu’il suffirait d’arrêter.

Or non. La crapulerie m’apparaît désormais comme un système étatisé et politisé. J’en viens presque à croire que la politique elle-même est une crapulerie.

Et c’est là que vous avez échoué, monsieur Tremblay.

Et c’est pour cette raison qu’à mon humble avis vous devriez démissionner sans plus attendre.

Car le rôle ultime d’un leader politique, d’un chef, ce n’est pas tant d’être un bon gestionnaire (et si c’était le cas, vous auriez échoué quand même!) mais bien de garder le fort de la confiance. Dans les moments de tourmente, lorsque le doute se lève à l’horizon, le chef doit être là, prêt à répondre pour garantir aux citoyens que la démocratie, malgré les aléas causés par telle ou telle bévue d’un maillon dans la chaîne de l’administration, n’est pas une vaste mascarade. Lorsqu’on soupçonne tout le monde, le chef doit encore être au-dessus de la mêlée et incarner une certaine certitude.

Cette certitude, si tant que vous l’ayez déjà incarnée monsieur Tremblay, vous ne l’incarnez plus. Vous n’êtes plus un chef. Vous êtes comme un capitaine qui, lorsque le bateau coule, tente de faire valoir qu’il ne savait pas à quoi les matelots étaient occupés…

…Et c’est justement en cela que le capitaine n’est pas un capitaine. Si les matelots pouvaient faire ce qu’ils voulaient, à votre insu, vous êtes ou bien un incompétent, ou bien un imposteur. Allez choisir.

Cher monsieur Tremblay, non seulement j’apprends aujourd’hui que vous auriez été possiblement au courant de toutes ces magouilles, que vous auriez fermé les yeux, mais en plus, quel timing incroyable, on m’informe que vous désirez augmenter mes taxes, encore, de 3.3%.

Or, des gens, sous «votre» administration, me crossent monsieur le maire.

Je vous le dis franchement et sans état d’âme: «Votre» administration me vole, purement et simplement. Il ne s’agit plus de simples allégations, mais bien de confessions en bonne et due forme.

Que feriez-vous à ma place, monsieur le maire? Je veux dire… Si vous saviez qu’un de vos fournisseurs de service gonfle vos factures dans le seul but de s’en mettre plein les poches, en vous mentant sciemment à propos des services qu’il vous offre? Que feriez-vous?

Est-ce que vous continueriez à payer tout bonnement ses factures?

Non. Vous refuseriez de payer et je vous appuierais. En tout cas, vous retiendriez le paiement jusqu’à ce que toute la lumière soit faite sur cette affaire.

C’est ce que je vais faire, monsieur Tremblay. La justice en laquelle je crois m’oblige à vous laisser le bénéfice du doute. Vous êtes toujours, vous, personnellement, considéré comme innocent. J’adhère à ce principe et j’y crois. Vous avez échoué comme maire, mais comme individu, je ne sais pas. Quoi qu’il en soit, je considère légitime, pour l’heure, de ne pas payer l’augmentation de taxes que vous me proposez jusqu’à ce que je sois persuadé que les sous que je donne à «votre» administration ne seront pas utilisés à des fins illicites, voire à encourager les activités de groupes criminels.

Au prochain paiement qui me sera réclamé, vous recevrez donc, monsieur Tremblay, tout ce que j’ai accepté de payer jusqu’à maintenant, mais pas un sous de plus. Je retrancherai ainsi 3.3% du montant qui me sera facturé sur mon compte de taxe. Dans mon cas, il s’agit d’une centaine de dollars. Je vous prie de bien vouloir avertir «votre» administration que ce montant sera retenu dans mon compte bancaire jusqu’à ce qu’on m’ait démontré que les sommes que j’investis dans le bien commun ne seront pas détournées vers le vice privé.

Lorsque la confiance sera rétablie, je vous promets de remettre cette somme à l’administration municipale sans aucun délai. Si d’aventure vous ou vos successeurs sont incapables de la rétablir, je la remettrai au père Emmett «Pops» Johns et son organisme Dans la rue… En lui, j’ai pleinement confiance.

Bien à vous.

Simon Jodoin
Citoyen de Montréal