Le crucifix, le niqab et le soutien gorge
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Le crucifix, le niqab et le soutien gorge

Dans le cafouillage du Gouvernement Couillard qui a suivi l’adoption de la loi 62 sur la pseudo neutralité religieuse de l’État, le débat a dérapé sur l’obligation d’avoir le visage découvert dans les autobus. Cette obligation est un ajout apporté au projet de loi initial et que personne n’avait demandé. Bien que les services de transport en commun municipaux relèvent des institutions publiques que sont les municipalités, leur usage doit être assimilé à l’usage de la rue. L’interdiction de la burqa ou du niqab dans les autobus aurait une logique si la loi les interdisait sur la rue mais le gouvernement n‘a pas eu le courage d’aller jusque là. Si on les accepte sur la rue, qui appartient aussi à la municipalité, il faut les accepter dans les autobus.

Pour défendre l’idée d’avoir le visage découvert afin de recevoir des services publics, le premier ministre Philippe Couillard martèle à répétition que cela « n’a rien à voir avec la religion », qu’il n’y a rien de religieux dans cette principale disposition de la loi 62. En effet, la loi 62 justifie l’obligation d’avoir le visage découvert par des motifs de sécurité, de communication et d’identification. Rien au sujet de la neutralité religieuse de l’État et rien sur la dignité humaine. Dans ce cas, pourquoi cette mesure a-t-elle été incluse dans une loi supposément destinée à « favoriser le respect de la neutralité religieuse de l’État »?

Pour ajouter à l’incohérence, le Parti libéral a refusé de discuter la motion de Québec solidaire, appuyée par le Parti québécois, visant à retirer le crucifix de l’Assemblée nationale au nom de la neutralité religieuse sensée être au cœur de la loi qui vient d’être adoptée. L’argument éculé des Libéraux, soutenus en cela par la CAQ de François Legault : « ce crucifix fait partie du patrimoine »! S’il fait partie du patrimoine, c’est du patrimoine de l’alliance entre l’Église catholique et l’État instaurée par Duplessis en 1936 précisément pour se distinguer des Libéraux de l’époque. Or le gouvernement libéral actuel prétend tourner la page sur cette « alliance patrimoniale » en affirmant la neutralité religieuse de l’État. Même l’Assemblée des évêques du Québec s’élève contre cette patrimonialisation du crucifix et préférerait qu’il soit placé ailleurs que dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

Le punk et le niqab

Dans le cafouillage de la loi 62, les médias ont fait grand cas des porteuses de niqabs qui nous rejouent la cassette de la victimisation comme si on leur arrachait leur âme.  Même Francine Pelletier, du Devoir, prend leur défense et appelle à la solidarité avec ces intégristes de l’Islam politique au nom de leur «droit fondamental» à se cacher le visage! Preuve que le féminisme régressif, tout comme la gauche régressive, n’a plus de repères sinon l’hyper-individualisme néolibéral. Voici, à propos du niqab, un passage typique de la pensée relativiste postmoderniste de la journaliste :

«On parle beaucoup de ces tenues d’outre-monde comme d’une façon d’effacer la présence des femmes dans l’espace public, mais je vois plutôt ces vêtements comme une façon, au contraire, d’attirer l’attention. Ces accoutrements jouent exactement le même rôle que la tête rasée du jeune punk, avec sa couronne de pics acérés bien plantée au milieu, le tout rehaussé d’hameçons dans le nez. […] Le jeune punk, lui, on le laisse vivre son amertume tranquille. Celui-ci a beau représenter, pour la moitié de la population du moins, une bien plus grande menace qu’une femme au visage caché, on s’en balance. […] Si aucune société démocratique ne légifère aujourd’hui contre la tenue vestimentaire hostile du punk, pourquoi le ferait-on pour la femme portant un niqab ?»

Francine Pelletier est à deux cheveux de nous dire que si on veut interdire le niqab et la burqa, c’est parce que ce sont des femmes qui les portent. Pourquoi ne compare-t-elle pas une musulmane avec «une» punk plutôt qu’avec «un » punk? Par ailleurs, les tenues punks, on ne s’en balance pas. Moi ça m’horripile et il en va peut-être de même pour la majorité de la population. Mais à la différence de la porteuse de niqab, le punk ne réclame pas le droit d’aller travailler dans sa tenue punk. Aucun employeur ne l’emboucherait avec sa couronne de pics, son hameçon dans le nez et son fond de culottes aux genoux et la Commission des droits de la personne ne prendrait pas sa défense. Chaque milieu de travail a son code vestimentaire. S’il ne nous plaît pas, on a le choix d’aller voir ailleurs. De plus, soutenir que l’intégriste musulmane porte la burqa pour attirer l’attention comme le punk, c’est du pur déni, de l’aveuglement volontaire, voire une ignorance totale de l’histoire et de la signification de ce vêtement.

La journaliste poursuit :

«Si la question d’identification peut parfois se poser dans [le cas de la burqa], les instances sont rares — une assermentation, un vote ou l’obtention d’un permis de conduire — et la pratique, dans de tels cas, est bien établie. À ce que je sache, aucune femme n’a jamais refusé de se plier à ces exigences.»

cq5zasnukaa_yff-2Sur quelle planète vit-elle? N’a-t-elle jamais entendu parler de Zunera Ishaq et de Maiia Mykolayivna Zaafrane qui ont fait leur serment de citoyenneté canadienne le visage caché sous leurs niqabs? La ministre de la Justice, la libérale Jody Wilson-Raybould, avait elle-même encouragé la bravade de Zunera Ishaq. Mme Pelletier n’a-t-elle jamais entendu parler de tous ces électeurs et électrices qui, soit par conviction soit par dérision, sont parvenus à voter l’élection canadienne de 2015sans jamais dévoiler leur visage?

Heureusement qu’il y a des féministes plus éclairées, comme Marie-France Bazzo, pour rectifier le tir. Dans sa chronique radiophonique La sociologie du niqab, elle s’insurge contre la position défendue par Francine Pelletier. Mme Bazzo est renversée d’entendre des féministes faire de cet «outil agressif d’oppression de la femme», de ce «vêtement politique», de ce geste «d’arrogance envers la société d’accueil» que représente le niqab, en faire donc un «symbole d’émancipation féministe au nom des libertés individuelles» et un instrument d’intégration. Le monde à l’envers de la «gauche libertaire naïve». Bravo Mme Bazzo!

Niqab et soutien-gorge

Même relativisme vestimentaire déconcertant de la part de Fabrice Vil, lui aussi du Devoir. Dans un texte totalement surréaliste faisant preuve d’une renversante incapacité d’analyse, le chroniqueur compare niqab, soutien-gorge et talons hauts :

«En principe, la femme est libre de porter le soutien-gorge ou non. Certaines femmes portent le soutien-gorge pour affirmer leur féminité. D’autres ne le portent pas, aussi pour affirmer leur féminité. […] Pourtant, l’État n’interdit pas le port du soutien-gorge dans le contexte de services publics au motif qu’il considère ce vêtement comme inégalitaire. Il en va de même pour les talons hauts, qui ont déjà servi à affirmer le contrôle de l’homme sur le corps de la femme.»

Selon Fabrice Vil, l’État considère donc le soutien-gorge comme un vêtement inégalitaire. Vraiment? Pourquoi pas le jackstrap tant qu’à y être? Comme pour la tenue punk, la vérité c’est qu’aucune femme ne réclame le droit de travailler sans soutien-gorge et qu’une telle tenue ne sera pas acceptée par un employeur si elle contrevient à la modestie nécessitée par le poste ou si elle perturbe les relations de travail. Les écoles interdisent même les camisoles à «bretelles spaghetti» pour les fillettes. Et on ne connaît aucun cas où un mari contraindrait sa femme à aller travailler sans soutien-gorge à moins d’être un souteneur. Par contre, on connaît nombre de cas où des femmes ont été défigurées à l’acide pour ne pas avoir porté le niqab ou même le hidjab

Quant aux talons hauts, ce type de chaussure a été inventé plusieurs fois au cours de l’histoire et par des cultures fort différentes. Dans chaque cas, il s’agissait d’une invention d’hommes pour les hommes. Aux 17e et 18e siècles, le talon haut était porté par les hommes et les femmes de l’aristocratie et de la noblesse en signe de prestige social. Même Louis XIV en portait pour se grandir. Côté domination des sexes, faut-il préciser que les talons hauts font partie des accessoires des dominatrice fétichistes?

Si le soutien-gorge et les talons hauts peuvent en effet rehausser certains attributs féminins, le niqab vise au contraire à effacer tout attrait féminin, à enlaidir la femme et à effacer même son appartenance à l’espèce humaine en faisant disparaître le visage qui nous distingue en tant qu’individu et en tant qu’espèce.

Poursuivons la lecture de cette édifiante analyse :

«La différence avec le voile intégral est qu’il appartient à des codes culturels qui ne sont pas occidentaux. L’État s’autorise donc à lui appliquer des interdictions qu’il n’applique pas dans d’autres circonstances qui s’y apparentent. Voilà la discrimination.»

Voilà une autre belle démonstration du relativisme culturel postmoderniste dont le postulat est que tout se vaut. Nous interdisons l’esclavagisme, la peine de mort, la torture et les châtiments corporels pour les enfants qui ont pourtant déjà été acceptés dans notre société. Oui, il est discriminatoire pour certaines cultures et certaines religions que l’on interdise le cannibalisme, la lapidation, la polygamie, la pédophilie, le bandage des pieds et les combats de coqs et il est bien qu’il en soit ainsi. Évidemment, le niqab ne représente pas le même niveau de violence. Mais elle demeure une répression et une infamie injustifiables et il faut savoir, au nom de la dignité humaine, reconnaître les bienfaits de la discrimination contre ce type de vêtement indigne de l’humanité.