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Le vice de la solidarité

Vous avez peut-être entendu parler de la «gaffe» de Mitt Romney, le candidat républicain à la présidence des USA qui, dans un cocktail de financement tenu devant des «gros bonnets» en Floride, a tenu des propos pour le moins méprisants envers ceux qu’il qualifie «d’assistés irrécupérables», soit le 47% de la population qui ne paient pas d’impôts et qui voteront de toute façon pour Obama parce qu’ils vivent aux crochets de l’État…

Non seulement cette donnée statistique est fausse, mais il oublie que plusieurs électeurs pauvres ou moins nantis aux USA votent pour le Parti républicain, même s’ils n’ont pas un intérêt évident à le faire… Qui a dit que la politique était une activité rationnelle?

Mais quoi qu’on pense de cette bourde de laquelle M. Romney tente de s’extirper, elle illustre le retour en force d’un discours qui méprise le citoyen qui bénéficie du secours de l’État. Celui-ci ne serait qu’un profiteur irresponsable et paresseux qui vit sur le bras des travailleurs… Dans le contexte de la crise financière aux USA, où plusieurs familles de la classe moyenne ont vu leur situation matérielle se détériorer de façon radicale dû à des banques qui favorisaient un endettement excessif et commercialisaient des produits financiers sans valeurs, disons que ce discours est non seulement loin de la vérité, mais cible les mauvais voyous… Les vrais profiteurs ne sont pas nécessairement ceux qu’on cible…

De notre côté, le Parti conservateur du Québec a récemment diffusé une publicité qui alimentait ce préjugé pour le moins exagéré sinon carrément mensonger. Jugez par vous-mêmes du populisme crasse de cette pub :

 

Comme si être pauvre et bénéficier de l’assurance-chômage ou de l’aide sociale était un choix éclairé et une vocation souhaitable et souhaitée… Comme si la majorité de ceux qui vivotent sur l’aide sociale ne préférait pas un travail et un niveau de vie supérieur… Le problème est que le marché de l’emploi dominant des dernières années est peu attirant pour ces citoyens peu qualifiés: il offre des jobs à temps partiel, précaires, mal payées… À l’image du plus grand employeur des USA aujourd’hui: Wal-Mart… Le marché de l’emploi au Canada n’est pas plus reluisant.

Sur la scène fédérale, les conservateurs de Harper veulent modifier les règles d’accessibilité à l’assurance chômage pour que les travailleurs soient obligés d’accepter des jobs au salaire minimum dans un rayon de 100 km, sans quoi on leur retirera les subsides de l’État… Imaginez ce que cela représente pour le chômeur saisonnier de Matane qui devra accepter de travailler à Ste-Anne des Monts ou plus loin encore pour subvenir à ses besoins. A-t-on pris en compte la difficulté de parcourir ces distances en hiver ? Et le prix de l’essence permettra-t-il à ces travailleurs de bénéficier d’un revenu significatif après la distance parcourue? Et leur restera-t-il du temps à passer en famille après cela?

Disons que le mépris à l’égard des chômeurs et assistés sociaux et une idéologie doctrinaire ont guidé cette nouvelle politique publique. Et encore une fois, c’est la dure réalité des moins nantis qui en fera les frais.

Posons-nous la question: si ces gens sont des profiteurs qui vivent engraissés par les taxes et impôts des travailleurs, qui échangerait de position avec eux?

Ce qui se profile derrière de telles politiques, c’est un discours culpabilisant pour tous ceux qui, pour une période de transition ou pour une aide saisonnière, bénéficient de la solidarité collective de nos politiques sociales. Ce qui s’affirme de plus en plus sans gêne, c’est un mépris pour les bénéficiaires des programmes sociaux que l’on qualifie de «crosseurs d’assistés».

Plus encore, c’est une hostilité envers l’impôt comme moyen d’assurer une plus grande répartition de la richesse en société qui se déploie au sein de cette droite de plus en plus décomplexée. Bref, c’est une attaque en règle contre la société. C’est un appel au chacun pour soi, à la logique du «darwinisme social» comme seul prisme de l’évaluation de la valeur de chacun: «survis ou péris!»

L’individualisme primaire triomphe de plus en plus et ses impacts délétères sur nos institutions – partis politiques, syndicats, parlements, programmes sociaux, etc. – commencent à déconstruire la légitimité même de celles-ci. Que restera-t-il de la société démocratique si nous nous engouffrons toujours plus dans cette logique de l’hostilité du tous contre tous, dans cette méfiance perpétuelle envers chacun et dans ce mépris envers les plus faibles?

Des philosophes politiques marquants comme Alexis de Tocqueville au XIXe siècle et John Rawls au XXe siècle se sont inquiétés de cette montée d’une forme d’individualisme qui pourrait contribuer à l’affaiblissement de la démocratie et à la dislocation de la société libérale. Leurs réflexions demeurent d’une actualité brûlante.

Peut-être devrions-nous replonger dans nos classiques de la pensée politique pour mieux nous outiller et affronter cette nouvelle vague du discours de la droite qui abandonne son traditionnel «tough love» à l’égard des pauvres et moins fortunés au profit d’une haine bien assumée.