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Le métier d’écrire

L’écrivain et cinéaste Jacques Godbout a publié un billet controversé dans Le Devoir des écrivains, cette édition spéciale du Devoir qui est entièrement confectionnée par des littéraires… Godbout y suggère que l’exercice proposé contribue à la confusion des genres et renforce le relativisme culturel, puisque les différents niveaux d’écriture seraient ici pratiqués par les mêmes figures au service d’un quotidien factuel et distancié de son auteur…

Extrait:

«Je sais bien que le journaliste et l’écrivain peuvent partager le même clavier, pourtant, au fond, un abîme les sépare : l’un doit débusquer une information vérifiable et la rapporter le plus clairement possible, tout en la situant dans son contexte. L’autre, s’il retient une information, va s’empresser de la modifier pour l’intégrer dans sa trame personnelle. Le romancier est un menteur professionnel à la recherche d’une vérité qui n’affleure jamais dans la réalité. Le journaliste, de son côté, est tenu de chercher la vérité dans les faits, il va tenter de les expliciter tout en laissant, idéalement, ses opinions au vestiaire».

L’écrivain «mineur» François Jobin lui répondait le lendemain très justement en proposant une conception moins hiérarchique «du métier d’écrire», telle qu’elle est majoritairement conçue dans le monde anglo-saxon, où le titre de «writer» inclut les romanciers, poètes, essayistes et journalistes au sein d’une même dénomination, comme une confrérie…

Extrait:

«Pour ma part, je préfère l’attitude beaucoup plus détendue des anglophones qui regroupent ceux qui font profession d’écrire sous le terme writer. Bien sûr, ils distinguent entre novelist, poet, essayist, journalist, et que sais-je encore. Mais tous sont des writers. En outre, les frontières entre les genres ne sont pas étanches. Une flopée d’auteurs – Hemingway, Capote, Mailer, Miller, Saroyan, Wolfe, Vidal – ont pratiqué le journalisme dans Harpers, The Atlantic, Vanity Fair, Playboy et d’autres publications non littéraires. Quand ils écrivent de la fiction, ils portent leur chapeau de romancier ou de nouvelliste, quand ils rapportent ou commentent l’actualité, ils coiffent leur casquette de journaliste. S’ils passent aussi facilement d’un genre à l’autre, c’est peut-être parce qu’ils envisagent l’écriture comme un métier, pas comme une mission».

Moi qui a toujours aimé Godbout, je me reconnais davantage dans la conception défendue par cet «écrivain mineur» pour qui l’écriture peut être une vocation.

De mon côté, une grande part de mon impulsion à lancer ce blogue résidait dans ma volonté de me remettre à l’écriture. Ayant quitté le milieu universitaire il y a plus de dix ans, je continue à lire beaucoup pour mon travail et pour assouvir ma passion de la lecture, mais j’avais presque délaissé l’écriture. Or, celle-ci est un mode unique de pensée et d’expression des idées, qui aide à mieux cerner le monde. L’oralité est un espace de spontanéité pour l’émetteur mais elle est aussi moins réfléchie. L’écriture implique une pause. Une réflexion. Un soucis de relier les phénomènes entre eux, donc une intelligence dans l’usage des mots. Le vieil adage le dit: «Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire viennent aisément».

Ce que je cherche à faire dans ce blogue, c’est d’apporter un twist particulier, celui du voisin, aux soubresauts de notre actualité. Car le métier d’écrire n’appartient pas aux seuls littéraires «autorisés» ou reconnus par leurs pairs. Il se pratique. Comme pour le tisserand qui pratique sur un métier à tisser, celui qui écrit se permet de forger au fil de ses interventions, une pensée qui part du quotidien pour ouvrir vers plus de profondeur.

L’écriture d’un journal personnel lors d’un voyage par exemple, peut éclairer d’une façon unique ces moments de dépaysement consignés dans un cahier. Je suis tombé sur le journal de l’ascension du Mont Blanc par un ex-collègue de travail qui est mort lors de cette expédition. C’est fascinant de voir où il en était à ce moment de sa vie… Et de sa mort. Le sens des mots nous est révélé différemment lorsqu’on sait ce qu’il est advenu de celui qui écrivait ces mots… Même l’écriture d’une simple carte postale nous permet d’entrer en contact avec le destinataire tout en nous racontant à nous mêmes l’expérience qu’on est en train de vivre. Les mémos envoyés par ma blonde aux amis lorsque nous sommes en voyage sont de véritables bijoux littéraires, pourtant jamais publiés.

Je ne voudrais pas que mon propos soit considéré comme une posture qui cherche à niveler toutes les formes d’écriture. Je m’insurge moi aussi contre le relativisme culturel ambiant qui refuse de discuter de ce qui peut être considéré comme supérieur. Je reconnais qu’il y a plusieurs étages au monde des lettres. Je sais que je ne fais pas ici de la grande littérature. Je ne suis pas un écrivain. Mais j’écris tout de même. Par exemple, je suis en train de préparer un essai pour la revue Argument. Je devrai donc m’atteler à mettre en mots ma lecture du sujet qui fera l’objet du dossier de la revue. L’écriture marque une pause. Elle nécessite une réflexion.

L’écriture est donc fondamentale dans ce monde où on parle de «twittérature», où on texte à ses amis en marchant (ou pire en conduisant), où on réagit dans l’immédiat à toutes sortes de nouvelles, mêmes à celles dont on ne connaît pratiquement rien, comme si nous étions incapables de marquer la pause et de prendre le temps de nous approprier ce qui survient.

L’écriture ouvre donc d’autres portes à celui qui écrit comme à celui qui lit. Des portes autrement inaccessibles en ce temps rapide et impensé qui est celui d’aujourd’hui. Et quand je constate l’ampleur du problème de l’analphabétisme au Québec, je me dis qu’il faut à tout prix relayer cette posture qui considère que l’écriture est une vocation que chacun peut embrasser avec talent, qu’elle n’est pas réservée à une élite. Qu’il faudrait que tous puissent avoir accès aux lettres pour mieux comprendre notre monde.

Et pour revenir à la polémique lancée par Jacques Godbout, je dirais que l’accès aux lettres commence d’abord par la lecture du journal. Parlez-en aux journalistes et vendeurs de l’Itinéraire… L’ancien patriote Étienne Parent disait que le journal était l’encyclopédie des pauvres. Je rajouterais que c’est par la lecture de l’information écrite que les phénomènes nous sont le mieux expliqués.

Et si vous doutez, abonnez-vous au journal Le Devoir.