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Les errances morales et stratégiques d’Israël

Les actes de guerre menés ces derniers jours par l’armée israélienne contre l’enclave de Gaza relèvent-ils du droit à l’autodéfense ? Selon l’argumentaire israélien, il n’y a pas de doute, puisque ces actions militaires sont menées pour neutraliser les attaques palestiniennes provenant de la bande de Gaza. L’armée israélienne a comme premier devoir de défendre son territoire national et puisque des roquettes sont lancées sur celui-ci à partir de Gaza, il revient à l’armée d’Israël (Tsahal) de mettre fin à cette menace.

Mais cette conception monochrome du droit à l’autodéfense pose problème. Je crois personnellement que les leaders israéliens font ici une erreur stratégique et morale. Erreur stratégique: leur «stratégie de défense» contribue en fait à alimenter la spirale de la violence. Errance morale: leur politique de représailles confond ce qui constitue vraiment un droit de se défendre avec l’idée de punir une collectivité.

Or, on le devine, aux attaques israéliennes, les groupes terroristes palestiniens répondront par d’autres attaques ou des attentats qui eux aussi seront répondus par des représailles israéliennes… Sans compter les risques de débordements régionaux associés à cette escalade de la violence. Comment mettre fin à ce cercle vicieux qui se répète sans cesse? Une première réponse à cette question impliquerait que l’on cesse de part et d’autre à considérer que l’on doive automatiquement répliquer à une attaque. La stratégie des représailles systématiques ne fait qu’alimenter la haine réciproque, tuer l’espoir d’une vie meilleure pour les Palestiniens qui ne trouvent alors que le chemin de la violence contre Israël comme voie de salut…

Les dirigeants israéliens pourraient au contraire adopter une nouvelle stratégie, politiquement et moralement supérieures, qui déboucherait sur une diminution des agressions anti-israéliennes. Par exemple, des mesures empêchant l’approvisionnement en armes de la bande de Gaza et d’autres mesures soulageant l’étau économique et sanitaire qui pèse sur sa population permettraient à moyen terme l’émergence d’un «retour à la normale» dans ce territoire qui est une prison à ciel ouvert. Chose certaine, l’action militaire d’envergure menée actuellement par Tsahal n’engendre que des conséquences néfastes pour les populations civiles palestiniennes et pour la diplomatie israélienne. Or, l’environnement politique régional n’est plus le même depuis le printemps arabe et Israël doit éviter d’accroître son isolement. La démesure militaire ne pourra pas indéfiniment être la solution pour garantir la sécurité de l’État hébreux.

Comme le disait à une autre époque Ehoud Barak, ex-premier ministre et ancien chef d’État-major israélien, la «profondeur stratégique» de l’État d’Israël peut être renforcée si on met fin à l’intervention militaire, car on diminue alors le ressentiment et on peut du même coup redéployer les effectifs là où on le juge nécessaire. Mais si ces décisions ne triomphent pas pour le moment, c’est sans doute parce que l’establishment politique et militaire dominant en Israël ne cherche pas l’apaisement, mais se satisfait volontiers de la radicalisation des Palestiniens, ce qui permet à Israël de prolonger sa rhétorique d’autodéfense tout en détournant l’attention de la Communauté internationale en annexant de nouvelles portions du territoire palestinien en Cisjordanie et à Jérusalem-est.

Le discours défensif israélien cache donc une stratégie d’expansion territoriale constante, et ce depuis au moins 1967.

Il est dommage que le camp de la paix et la gauche israélienne qui a longtemps porté les espoirs d’une solution négociée soient aujourd’hui marginalisés ou sans voix face à la diabolisation et la déshumanisation des Palestiniens. Et pendant ce temps, on laisse l’extrême-droite israélienne participer au gouvernement. On laisse ces gens proposer des solutions qui ressemblent de plus en plus aux pires horreurs du XXe siècle… Aucun autre pays allié de l’occident ne pourrait accueillir au sein de son gouvernement un personnage aussi radical et malintentionné que l’actuel ministre des affaires étrangères israélien sans que l’on exerce de réelles pressions pour qu’il renonce à ses positions. Or, Avigdor Lieberman, chef de l’extrême-droite israélienne, est de plus en plus un leader fréquentable en Israël et l’espace politique pour son discours qui propose le «transfert» des Palestiniens – ce qui est dans les faits une politique de nettoyage ethnique – s’accroît sans cesse.

Lorsque je parle d’erreur stratégique et morale dans le choix de la politique des représailles israéliennes, j’invoque certains principes clés du Droit international comme la proportionnalité de la violence, l’épuisement des options autres que l’usage de la force, la poursuite d’actions aux conséquences positives, etc. Sur ces seuls trois critères, on peut discréditer les choix de l’actuel gouvernement d’Israël. En effet, la violence des bombardements sur Gaza est disproportionnée. Le simple «body count» en témoigne. D’autres options que la violence brute auraient dû être essayées puis épuisées avant de recourir à la guerre. Enfin, il apparaît de plus en plus évident que les conséquences envisageables de cette crise sont une fuite en avant vers l’accélération de la haine et du recrutement de nouveaux martyrs…

Israël est un État en crise. Il faut l’aider à se sortir de son emprisonnement dans la politique de la violence. Celle-ci détruira sa légitimité et favorisera une escalade sans fin de la violence qui ne profitera à personne dans la région.

Le problème est que le seul État capable de ramener Israël à la raison est les USA. Et j’ai la malheureuse impression que son président a choisi que ses priorités étaient ailleurs (refonte de la fiscalité et réforme de l’immigration). Dommage, car Barack Obama pourrait mériter un prix Nobel obtenu prématurément en réussissant un arbitrage intelligent du pire des conflits politiques.

Est-il encore possible d’espérer pour cette terre trois fois sacrée? Et pour qu’Obama mérite enfin son Nobel de la paix?