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Bilan provisoire de la lutte étudiante

Le Sommet sur l’éducation supérieure a pris fin mardi avec à la sortie une décision décevante portant sur l’indexation des frais de scolarité et une manif empreinte de dérapages policiers. Est-ce à dire que notre historique printemps québécois accouche de la déception et de l’amertume?

Il ne faudrait pas que ce soit le sentiment dominant du résultat de cette mobilisation sans précédent. D’abord, je suis en accord avec les propos de Martine Desjardins, présidente de la FEUQ, lorsqu’elle affirme que la solution de l’indexation n’apparaît pas mûrie mais reflète plutôt une position qui s’arrime sur des sondages d’opinions. Il est donc dommage qu’en dégelant les frais de scolarité, le gouvernement Marois ait décidé de geler le débat de fond sur la part que devraient assumer les étudiants pour accéder aux études supérieures. Un chantier qui explorerait la gratuité scolaire et les divers moyens de sa mise en oeuvre aurait à ce sujet permis d’approfondir le débat. Mais le gouvernement ne voulait pas prolonger la discussion, il voulait sauver la face et passer à autre chose…

Reste que notre déception concernant l’indexation des frais masque les réelles victoires des différentes franges du mouvement étudiant. En discutant avec un collègue, on se disait qu’aucun autre mouvement social au Québec ne pouvait revendiquer la tête d’un ministre (Line Beauchamp), la chute d’un gouvernement (la demi-défaite du gouvernement Charest est tout de même largement attribuable à son incapacité à nous sortir de la crise qu’il a alimenté), l’annulation d’une politique publique et d’une loi spéciale.

Le mouvement étudiant québécois devrait marcher la tête haute et le regard fier: d’une hausse des droits de scolarité de 82%, ils en sont rendus à maugréer contre une hausse de 3%… Du même souffle, les étudiants et leurs alliés ont aussi réussi à faire d’une loi spéciale répressive et menaçante pour les libertés d’expression et d’association une loi illégitime et inapplicable. Il faudrait également rappeler aux étudiants déçus qu’ils ont brisé la volonté de certains de judiciariser le conflit en contournant par des injonctions les votes des assemblées générales étudiantes… Tout ceci est un legs important pour l’avenir de nos luttes.

Et ce petit inventaire est incomplet, car plusieurs chantiers lancés par le Sommet et présidés par des personnalités de calibre (Claude Corbo, Lise Bissonnette, Pierre-André Bouchard St-Amand) risquent de rajouter au bilan positif du printemps québécois. Jusqu’ici donc, je n’ai évoqué que les victoires directes du mouvement étudiant. Mais il y a toute une série de victoires indirectes et de combats à poursuivre qui sont gagnables, incluant le combat pour la gratuité scolaire… En effet, le sujet était totalement absent du débat public il y a à peine un an et il est aujourd’hui une option qui gagne en crédibilité.

Alors, de quoi parle-t-on lorsqu’on parle de victoires indirectes? On parle d’abord de l’éveil incroyable qu’a suscité le mouvement étudiant pour notre société qui était endormie et déprimée. On parle de cette nouvelle esthétique du changement social que la lutte étudiante a inauguré par son inventivité et sa créativité sans fin: Anarchopanda, l’école de la montagne rouge, les casseroles, les ma-nues fesses-tations, les flash-mobs, l’usage de l’art comme pratique de mobilisation, etc.

Le mouvement étudiant a aussi diffusé et pratiqué une forme de démocratie plus directe par rapport à ce qu’on qualifie abusivement de «démocratie» lorsqu’on se limite à un vote ou à des décisions prises par des élus qui n’ont recueillis que 31% du vote populaire comptabilisé… La conception plus directe et plus participative de la démocratie véhiculée par la CLASSE durant le conflit fera des petits – bien au-delà d’ une utilisation efficace des médias sociaux – même si on sent aujourd’hui davantage le backlash de la grève étudiante par les nombreux votes de grèves rejetés et la baisse de mobilisation constatée. Ce retour de vague est normal. Il est même sain. Les gens qui étaient contre la grève ont peut-être compris l’importance de la mobilisation et de la participation aux assemblées générales étudiantes. Il faut donc regarder plus loin que dans l’immédiat.

Plus loin avant, il y a toutes les grèves étudiantes passées, qui nous démontrent avec éloquence que le mouvement étudiant est une réelle force politique, malgré son poids démographique minime. Plus loin devant, on peut dire que toute tentative de contourner la démocratie étudiante par les tribunaux et la répression policière sera inapplicable et contre-productive politiquement. Peu devant, on peut douter qu’un prochain gouvernement proposera une hausse des droits de scolarité plus importante que 3%.

Immédiatement, on peut continuer à faire pression pour qu’il y ait enquête sur le comportement de nos corps policiers durant ce printemps québécois. Et pour qu’il y ait, comme le promet le gouvernement Marois, une unité d’enquête permanente et indépendante des corps policiers, sur laquelle siégeraient des citoyens et des représentants de groupes communautaires.

Devant nous, il y a toutes ces alliances que nous devons tisser. Avec les chômeurs et particulièrement les chômeurs saisonniers qui sont méprisés et attaqués par le gouvernement Harper. Avec les syndicats que l’on cherche à affaiblir en se modelant à la mentalité états-unienne du free market, mentalité qui a pourtant appauvrie la classe moyenne et accru les inégalités dans ce pays pourtant déjà très inégalitaire.

Voilà ce qu’il nous faut faire, poursuivre la lutte. Comme le disait Paul Ricoeur, «faire du réformisme et rester révolutionnaire» selon le beau texte de Simon Couillard dans Le Devoir de ce matin.