BloguesLéa Streliski

Le silence des femmes.

Il y a plusieurs semaines que je tergiverse. Que je veux écrire sur le sujet. Le viol, pour être plus exacte… J’ai moi-même du mal à dire le mot et suis hésitante à écrire ce texte car il est douloureux. Il y a plusieurs semaines que les femmes en Inde se soulèvent et que nous avons écho d’histoires d’horreur. D’histoires d’horreur, face auxquelles, je suis lâche.

Je suis lâche car je ne veux pas les voir. Je ne veux pas les voir car elles font trop mal. Elles sont trop laides. Je dois les garder loin de moi, et pourtant… Le sont-elles vraiment ?

Combien sommes-nous à avoir été abusées ? Combien sommes-nous à connaître une femme qui l’a été ? Je parie que vous en connaissez une. Je parie que c’est arrivé à votre sœur ou à votre cousine, à votre fille ou à votre mère, à votre amie, à votre voisine, ou que c’est à vous que c’est arrivé.

Je parie que ça vous fait mal, je parie que c’est tapi en vous et je parie qu’à personne ou du-moins à presque personne, vous n’en avez jamais parlé. Même à vous. Même à vous, car ça fait trop mal.

Je regardais tantôt les meilleurs moments du Oprah Show. L’un des moments était une entrevue avec une dame qui avait de multiples personnalités. Elle avait été victime d’un viol à l’âge de deux ans et c’est suite à ce viol qu’elle avait éclaté en morceaux, littéralement, en 92 personnalités, pour être plus exacte. Pendant l’entrevue, Oprah l’écoutait attentivement et ne pouvait retenir ses larmes, de gros sanglots même.

Dans la rétrospective que je regardais, la Oprah d’aujourd’hui expliquait qu’à l’époque où elle avait tourné cette séquence, elle n’avait pas fait le deuil de l’agression sexuelle qu’elle avait elle-même subie… Elle n’avait pas encore fait, ce qu’elle appelle son « full circle moment », sa guérison.

Et c’est là que ça m’a marqué, en la revoyant, bien plus jeune, sangloter devant une victime d’un viol, j’ai ressenti son silence. J’ai ressenti le silence qu’elle avait vécu. J’ai ressenti toutes les années où elle avait dû se taire. Je me suis demandée à cet instant ce qu’il arriverait si les femmes parlaient.

Nous ne parlons pas parce que la peur, la douleur et l’humiliation sont trop grandes. Nous ne parlons pas parce que nous ne pouvons pas comprendre. Nous ne comprenons pas pourquoi les hommes peuvent prendre du plaisir pendant que nous avons mal. Nous ne comprenons pas pourquoi l’excitation sexuelle peut venir, pourquoi l’on peut retrouver du sperme quand une femme est meurtrie.

Nous ne comprenons pas cette rage, ni l’envie, nous ne comprenons pas le groupe, ni le troupeau, nous ne comprenons pas le désir de prendre.

Nous avons honte. Nous avons honte de ce qu’il nous reste. Nous avons honte de la naïveté, nous avons honte de notre jeunesse, nous avons honte de se laisser prendre, comme une vulgaire proie… Qui ne peut rien faire.

Perdre tout contrôle. Se rhabiller… Et continuer. Avancer. Vivre. Avec.

J’écrivais ce texte en me demandant ce qu’il se passerait si les femmes parlaient. Y aurait-il moins de viols ? Y aurait-il plus de conscience, y aurait-il plus d’hommes qui savent ce que ça fait aux femmes ? Y aurait-il moins de solitude ? Y aurait-il plus de gens qui se parlent ? Y aurait-il moins de douleur s’il y avait moins de silence des femmes ?