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Les épines de la couronne

J’ai lu beaucoup de choses, ces derniers jours, sur ce juge à saveur libérale qui a condamné Gabriel Nadeau-Dubois pour « outrage à tribunal ». J’aurais espéré que nos émotions à chair vive se soient un peu étiolées, histoire de proposer une vision plus globale des choses. Mais non, il suffit d’un jugement contre « nous » pour réveiller les plaies encore bien chaudes du printemps et, en ce sens, voilà un juge qui s’est mis le pied dans la bouche, mais qui, malgré ses allégeances, et ça fait mal de le dire, a fait ce qu’il devait faire selon sa définition de tâches, c’est-à-dire juger en fonction des lois.

L’État

L’État dit démocratique tel que nous le connaissons repose sur la théorie de la séparation des pouvoirs. Ces pouvoirs sont l’exécutif, le législatif et le judiciaire. Le pouvoir exécutif, c’est-à-dire le pouvoir d’exécuter les lois et de définir leur cadre d’application, appartient au gouvernement. Le pouvoir législatif, soit celui de promulguer, corriger ou abroger une loi, appartient au Parlement, formé au Québec par l’Assemblée nationale ainsi que le lieutenant-gouverneur, (le sénat québécois ayant été aboli en 1968). Lors d’un référendum, le peuple détient aussi ce pouvoir législatif. Le pouvoir judiciaire, qui juge, interprète les lois, punit des crimes, appartient aux tribunaux. Tout ceci est bien scolaire et, pour cause, on l’enseigne aux étudiant-e-s de secondaire II.

Or, qui nomme les juges qui formeront la composante judiciaire du pouvoir étatique? Le ministre de la Justice. On peut donc facilement imaginer qu’il y a une collaboration entre les différentes composantes du pouvoir. À titre d’exemple, au Canada, on dit par convention que le gouverneur général nomme les sénateurs, alors que, dans les faits, il ne fait qu’accréditer les nominations soumises par le Premier Ministre. Dans un cas comme dans l’autre, cela amoindrit la division du pouvoir, car on se doute bien qu’un gouvernement ne choisira pas un juge ou un sénateur qui joueront en sa défaveur.

Le principe derrière la théorie de la séparation des pouvoirs est que toute entité jouissant du plein pouvoir en abusera. Dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen de 1789, la séparation des pouvoirs est même corollaire des Droits, selon l’article 16 affirmant que : « Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution. » La séparation des pouvoirs vise donc à éviter la tyrannie du monarque à qui l’on aurait abandonné tous les attributs du pouvoir.

Ceci dit, quand il y a une corrélation aussi évidente entre le pouvoir exécutif, le pouvoir judiciaire et le pouvoir législatif, on peut imaginer que cette séparation n’est qu’apparente et, qu’en fait, il y a une forme de despotisme souterrain dans l’application concrète de cette théorie. En ce sens, ce n’est pas la crédibilité du juge Denis Jacques, due à ses allégeances politiques, qu’il faut remettre en question, mais notre relation au(x) pouvoir(s) et notre conception de l’État démocratique.

Le martyr

D’abord, à partir du moment où l’on pratique la désobéissance civile, on est coupable d’infraction au yeux de la loi. Il n’y a pas lieu de jouer les vierges effarouchées, c’est la nature même de la désobéissance civile, qui est le refus de se conformer à une loi jugée injuste dans le but de l’abroger. La désobéissance civile est nécessairement une infraction consciente et intentionnelle à la loi, où il s’agit de mettre, publiquement et collectivement, de l’avant des principes supérieurs à celle-ci pour montrer qu’elle est illégitime.

Je ne me suis pas conformée à feue la loi 78 (qui a depuis changé de numéro autant de fois qu’il en faut pour crier « Bingo! »), je suis donc coupable de l’avoir enfreinte, en toute connaissance de cause, parce qu’elle était injuste, parce que je crois que la justice sociale, la liberté d’expression et d’association sont au-dessus des abus de pouvoir de l’État, mais où serait la légitimité de mon acte de désobéissance civile si je ne reconnaissais pas ma culpabilité? Je ne peux pas nier ma culpabilité parce que ce serait nier la portée critique de mes actes. Il en va de même pour tous ceux et celles qui ont posé des actes de désobéissance civile, y compris M. Nadeau-Dubois.

Or, en condamnant M. Nadeau-Dubois sur la base d’un discours prononcé à titre de co-porte-parole d’un syndicat étudiant, le juge Jacques a fait preuve d’un manque de connaissance de la structure de la démocratie étudiante et pourrait bien en faire le « martyr » d’un système étatique déficient. MM Jacques et Morasse, je vous invite gentiment — je ne voudrais pas me rendre coupable d’intimidation —, à vérifier la signification du mot « porte-parole ». Le porte-parole ne parle pas en son nom. Il porte les revendications d’une assemblée, d’une organisation, dans ce cas-ci, de l’ensemble des étudiant-e-s lié-e-s à la CLASSE. Il ne peut pas être reconnu coupable des propos tenus dans l’exercice de ses fonctions à la CLASSE, car ce sont les propos de l’ensemble de ses membres et non ceux d’un individu désigné pour les relayer. Et je suis désolée pour vous, MM Jacques et Morasse, mais GND aura beau être un symbole spectacularisé de la lutte étudiante, ce n’est quand même pas Jésus! Il ne va pas assumer notre culpabilité collective pour nous laver de nos péchés de désobéissance civile printanière!