BloguesPlan B

Changer ses habitudes, c’est chiant

Ce n’est pas que je veux me faire de la publicité, mais je dois rendre à Mathieu Gagnon ce qui est à Mathieu Gagnon. Ce matin, pendant la quotidienne que j’anime à CKIA, mon ami chroniqueur a parlé de l’acrasie. Acraquoi? Acrasie, un terme qui n’existe pas dans les dictionnaires, explique-t-il, mais qui, en philosophie, représente un peu notre volonté qui flanche devant les bonnes choses à faire. La faiblesse de la volonté, pour faire court.

Sur Wikipédia, on parle d’agir à l’encontre du meilleur jugement. Par exemple, un fumeur qui sait que la meilleure chose à faire pour retrouver son cardio serait d’arrêter de fumer mais qui continue à le faire. On pourrait aussi parler de cette soirée où on a fermé un bar complètement saoul même si on travaillait le lendemain matin. Ce n’est pas de la procrastination, ce n’est pas remettre à plus tard, mais davantage de ne pas faire la meilleure chose.

Ça faisait un moment que je faisais des parallèles entre ma façon d’agir devant ma santé et comment collectivement nous agissons pour l’environnement et, ce matin, Mathieu m’a permis d’appuyer mes idées.

Je suis obèse morbide, ce qui, évidemment, n’est pas un gage de bonne santé. Je pense qu’on peut être obèse et en relative bonne santé quand même, mais obèse morbide, le terme le dit, les risques sont rendus élevés.

Pendant des années, j’ai continué plusieurs mauvaises habitudes, même si je savais que ce n’était pas le meilleur chemin. Je faisais de l’acrasie, ma volonté flanchait. Manque de foi, trouver la montagne trop haute, penser qu’il est trop tard, se croire impuissant, manquer d’énergie, les raisons sont nombreuses et la faiblesse sait s’introduire même dans les plus petites failles. Mais malgré tous les contextes et parfois de réelles impuissances, je savais très bien, au fond de moi, que je n’agissais pas pour le mieux.

Bien avant de me prendre en main (une aventure qui est loin d’être terminée!), je me disais que mon comportement envers ma propre santé était similaire à celle des climatosceptiques, de l’industrie pétrolière, des partis politiques qui se foutent de l’environnement, des entreprises qui déménagent pour aller dans des pays moins restrictifs, au suremballage, à Apple qui crée de faux besoins, à ceux qui préfèrent les bouteilles d’eau à l’eau du robinet, etc. Je regardais leurs arguments, et leurs émotions, et j’ai vu que certains, dans cette grosse gang, étaient sincères. Plusieurs nous bullshittent, certains le font en pleine conscience, mais certains sont sincères et n’ont aucune mauvaise volonté, au contraire. Une forme d’inconscience de l’impact de leurs choix et gestes.

J’étais là à les pointer du doigt quand, tout d’un coup, je me suis vu, moi-même, avec mon propre réchauffement climatique (mon obésité généreuse), mes propres désastres écologiques (les conséquences de mon obésité) et ma propre sincérité dans mon sentiment d’impuissance ou de faiblesse que je peux avoir. Ne pas agir pour le mieux ne signifie pas pour autant que nous sommes mal intentionnés, que nous souhaitons nécessairement le mal. Notre volonté flanche pour différentes raisons. Le déclic ne s’est pas fait encore, malgré toutes les informations que l’on a autour de nous.

Notre faiblesse, ou notre erreur de jugement, vient souvent d’une forme d’ignorance. Par exemple, je savais très bien que j’augmentais mes risques d’avoir un accident mortel en étant obèse morbide, mais ce risque demeurait flou. C’est quoi ce risque? 34%? Par rapport à quoi? Aux 100% de mourir un jour? Quand ce risque va-t-il frapper? Dans 2 jours? Dans 2 ans? Dans 15 ans? Comme bien des gens, j’ai dû frapper un mur pour prendre conscience de mon erreur de jugement.

Encore aujourd’hui, mes faiblesses reprennent parfois le dessus. J’ai beau avoir perdu 170 livres en 2014-2015 (ouais je sais, ça ne parait pas tant, j’en aurais encore une centaine à perdre, imaginez comment j’étais avant!), j’ai encore de mauvaises habitudes, j’ai encore beaucoup de volonté à trouver et je dois lutter contre mes faiblesses (qui ont pris beaucoup de place en 2016, je dois avouer).

Cette année, les plaisirs et les douceurs quotidiens ont pris le dessus sur le bien-être à long terme. Pour passer à travers une période nuageuse de ma vie, j’ai préféré aller me réconforter avec des petites choses qui, sur le moment, m’ont aidé à ne pas tomber d’un coup, mais qui me faisaient quand même reculer.

J’ai perdu de bonnes habitudes que je travaille à reprendre. J’ai du rattrapage à faire. Surtout, j’ai quand même fini par me retrouver assez bas moralement… ça s’est juste fait plus tranquillement au lieu d’un coup sec.

Collectivement, on fait la même chose. Voyez ce sondage sur un troisième lien routier à Québec. On y apprend que 30% des répondants pensent que le transport en commun est la meilleure façon d’améliorer nos problèmes de circulation, contre 64% qui pensent que ça passe par un nouveau pont ou tunnel avec la rive-sud.

Des études qui démontrent qu’agrandir des routes, ou en faire des nouvelles, ne règle jamais rien pour la circulation, il y en a maintenant des dizaines, si ce n’est pas plus. Les exemples de réussite passent par le transport en commun.

La voiture comme on l’utilise maintenant va inévitablement frapper un cul-de-sac. C’est un développement qui ne peut être éternel. On va manquer de pétrole un jour ou l’autre. Et ensuite de terres rares pour les batteries, dans un autre avenir. Sauf que les voitures soient à essence ou électrique, le trafic s’en fiche. Pour que la circulation cesse de nous faire rager (et pour, svp, avoir moins de bulletins de circulation), il faut moins de voitures, point.

Ceci demande toutefois un effort. C’est sûr que si tu demandes à quelqu’un «préfères-tu prendre l’autobus ou ta voiture dans un monde avec peut-être moins de trafic», la plupart des gens vont opter pour leur voiture. Petit confort, petit plaisir. La question ne dit pas que le trafic va diminuer que deux ou trois ans, la question ne dit pas que ce troisième lien va être là qu’en 2030 et que pour les 14 prochaines années, il ne se passera rien. La question ne compare pas les bénéfices sur 20 ans ou 40 ans du premier choix et du second. La question ne dit pas qu’en 2050, il y a de bonnes chances pour que le transport soit complètement changé, pour l’environnement, par la technologie, etc. Il manque beaucoup d’informations pour prendre la bonne décision. On y répond que dans le paramètre du moment présent.

Justin Trudeau le sait que le pétrole de l’Alberta est une aberration environnementale, qui laissera un gros legs nocif long à nettoyer et qui minera tous les efforts environnementaux du pays. Il sait aussi que là, c’est un gros bonbon pour l’Alberta. Et c’est pour ça qu’il ne veut pas arrêter cette industrie. Le beau sucre du moment présent. C’est sûr qu’on va finir avec des dents pourries, mais là, on n’a pas trop de caries, on continue!

Les gestionnaires des grandes entreprises gèrent aussi maintenant les entreprises comme ça. Regarder sur 20 ans est rendu du très long terme. On ne parle que du rendement de demain.

On gère la santé de la planète comme je gère mon obésité: pas très bien. On a une bonne idée de ce qu’on devrait faire, mais on manque de volonté. Pas toujours. On a, de temps en temps, des décisions éclairées, sages, et notre volonté est solide. Puis on finit par flancher.

On n’écoute pas les médecins et les professionnels, parce que leurs propos nous font chier, comme ça nous fait chier de nous faire dire de boire moins de bières et moins de cafés, de manger moins de poutine et de regarder moins de séries sur Netflix. Ça fait toujours chier quand on se fait dire que nos habitudes, il faut les changer, surtout que c’est souvent celles qui nous font tellement plaisir plutôt que les autres.

C’est dur, mais pas impossible. Essayons de lâcher un peu notre petit nombril.