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Comment aimer une personne obèse? Mode d’emploi

Une amie écrivait il y a quelques jours sur Facebook qu’après plusieurs semaines, son copain la laissait parce qu’il n’arrivait pas à vivre avec son poids, sa grosseur.

Un homme qu’elle décrit comme ouvert d’esprit et qui remet en question les normes sociales. Elle tenait à préciser que ce n’était pas un cave. Probablement quelqu’un conscient de son biais, mais incapable, malgré tout, de passer par-dessus.

En cette semaine de sensibilisation à la diversité corporelle avec la campagne «Le poids? Sans commentaire!» mené par ÉquiLibre et dont je suis l’un des ambassadeurs/ambassadrices, j’ai décidé aujourd’hui d’en parler d’une manière plus personnelle, émotive, et concrète, surtout.

Affiche Mickaêl Bergeron pour la campagne «Le poids? Sans commentaire!»

Cette histoire de mon amie m’a beaucoup touché… parce que je l’ai vécue, plusieurs fois, et que je la vis encore, aussi.

Physiquement, il n’y a probablement pas grand-chose qui relie les femmes que j’ai aimées ou pour lesquelles j’ai eu une attirance. L’une faisait 5 pieds 2, une autre 6 pieds, l’une était mince, l’autre dodue, une autre était costaude et une autre assez frêle, une autre était rousse, brune, noire, avec ou sans tâches de rousseur, lèvres charnues ou subtiles, grosses ou petites fesses, fesses rondes ou fesses plates, petits, moyens ou gros seins, bref, c’est assez éclaté.

Je suis toujours un peu triste quand j’entends une personne avoir des critères physiques pour son ou sa partenaire. Il doit être grand, elle doit être blonde, il doit avoir une barbe, elle doit avoir des gros seins, il doit avoir des petites oreilles, elle doit avoir des ongles. Pour moi, tout ça est absurde.

Je comprends qu’on puisse avoir des préférences. Moi, j’ai un faible pour les rousses, et pour les tâches de rousseur. Je trouve presque toujours ça cute. Et je craque moins en général pour les blondes. Ça ne veut pas dire que je trouve seulement les rousses belles et que je ne trouve aucune blonde charmante. Au contraire!

La beauté est partout et souvent là où on ne l’attend pas. En s’ouvrant les œillères, on finit par la voir. La beauté surprend et se dévoile. J’aime trouver la beauté des gens. Je suis souvent en contemplation devant la beauté du monde. Je me note souvent des « nouvelles » beautés, des détails que je n’avais pas encore remarqués, même chez des ami.e.s que je connais depuis des années.

Sauf que nous sommes dans un monde de standards, de cases, de normes, de moules sociaux, d’idées préconçues, de fausses croyances. On placarde partout que la beauté mesure tant de centimètres par tant de centimètres et que la norme repose sur rien de naturel, sur rien de normal, ironiquement.

Devant toutes ces images bombardées dans notre mémoire depuis nos livres d’enfance aux films d’aujourd’hui, je suis atypique, et c’est un euphémisme. Les rares personnes m’ayant dit que j’étais beau, dans ma vie, étaient la plupart du temps des personnes très ouvertes d’esprit, qui, dans plusieurs aspects de leur vie, se tenaient loin des normes sociales, ou les remettaient en question.

Coïncidence ou non, si, physiquement, il n’y a aucun lien entres celles que j’ai aimées ou eu une attirance, il y a en a une dans la personnalité. Elles questionnaient toutes, à leur manière, la société.

Ça n’a pas empêché ces femmes de figer devant mon corps, comme la situation de mon amie évoquée au début. Sauf à une exception près, il est toujours arrivé un moment où mon corps a créé une distance. Parfois pas longtemps, mais assez pour se freiner dans leur élan, assez pour remettre en question leur affection envers moi, assez pour me blesser, même involontairement. Je me suis toujours un peu senti comme Quasimodo.

Toutes ne sont pas toujours arrivées à me le dire concrètement. Encore moins sur le coup, ou sans difficulté. Une, par exemple, me l’a raconté que plusieurs années plus tard, comprenant elle-même que plus tard pourquoi elle avait bloqué.

Des fois, je comprends leur blocage par leurs questions qu’elles ont sur mon corps. Ou par des remarques lâchées involontairement. Des fois c’est via leur incapacité à me toucher physiquement, malgré la profonde chimie, malgré la tendresse qui ressort de partout, mais qui frappe un mur, à un moment.

Je ne leur en veux pas un centième de seconde. Même si parfois ça fait mal. Même si ça m’a fait croire, pendant presque toute ma vie, que jamais personne ne me trouverait beau.

Ce que ça démontre, toutefois, c’est que même pour les personnes ouvertes d’esprit, qui remettent en question les normes sociales, qui elles-mêmes dénoncent les canevas de beauté et valorisent la diversité corporelle, mêmes ces femmes sensibilisées frappent un mur avec mon corps anorme.

Je ne pense pas aujourd’hui que ce soit parce que je suis profondément laid. Je sais que plusieurs personnes doivent le penser, mais ce n’est pas tant une question de beauté ici. C’est une question de réflexe, d’une imagerie très profondément ancrée dans nos esprits, y compris le mien.

Partout, depuis notre enfance, les gros et les grosses sont des personnes asexuées. Ce ne sont jamais des amants, parfois, dans le cas des filles, un fétichisme, mais sans plus (on demeure dans l’objectification des femmes). C’est comme si, malgré peut-être une volonté ou un certain désir, on ne savait pas quoi faire avec ça. Comme si ces personnes étaient devant une formule mathématique indéchiffrable, un vertige similaire à celui qu’on peut avoir en pensant à l’infinité de l’Univers.

Un peu comme lorsqu’on prend une nouveau-née dans nos bras la première fois. On sait, mais on a peur. Si on écoute notre instinct, ça va habituellement bien aller, mais notre tête nous lance un tas de phrases épeurantes, craintives et stressantes. Pourtant, on sait quoi faire et ça se place.

On tombe dans une zone trouble, comme une incompréhension, une sorte de : « mais je ne sais pas quoi faire avec ce corps? », comme si ça demandait une nouvelle compétence, comme s’il fallait un cours, une initiation, une préparation. Ça demande peut-être une adaptation, mais rien qu’aucune discussion et un peu de temps peut faire… comme dans la plupart des relations.

Et si tout ça est si fortement ancré dans nos cerveaux, c’est parce qu’on ne présente pas de diversité corporelle. Quand on parle d’une personne grosse, c’est pour faire une blague, ou c’est pour un numéro spécial d’un magazine. On offre du linge en haut de x-large? On le souligne, c’est du spécial, pour du monde pas « normal ». Une personne obèse, dans un film ou à la télé, sort avec une autre personne? C’est presque automatiquement avec une personne obèse aussi. Comme si ça ne se pouvait pas, un.e mince et un.e gros.se, un.e dodu.e avec un maigrichon.ne. Les grosses personnes avec les grosses personnes. Pas de mixité, svp, sinon, ça serait vraiment indécent!

La diversité corporelle est importante comme la diversité culturelle est importante. Et si la campagne actuelle porte surtout sur le poids, cette diversité corporelle dépasse la simple question du poids, c’est aussi pour les personnes avec un handicap ou avec une différence physique venant d’une maladie, de la génétique ou d’un accident.

La norme est changeante. Elle fluctue selon les valeurs, selon les modes, selon l’évolution des idées. Changeons cette norme, elle ne nous sert à rien, sinon qu’à faire mal à des gens qui n’ont rien fait pour.

Pour le titre, il n’y a pas de mode d’emploi. Si vous tombez en amour avec une personne dont le poids vient vous confronter et vous remettre en question, faites comme lors d’un premier essai de parachute: sautez. C’est très sain se poser des questions, mais si ce n’est que ça qui accroche, essayez-le au moins. On est tellement confortable, en plus!