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Dorion et la banalisation du poil féminin

C’est toujours fascinant de voir les réactions autour de Catherine Dorion. Suffit de coller son nom à un sujet pour que les commentaires explosent.

On lui reproche souvent de chercher l’attention. Bien qu’elle doit chercher de la visibilité sur certains sujets, je pense qu’elle en reçoit beaucoup plus qu’elle en recherche sur d’autres. Je pense qu’elle ferait du transfert d’attention si elle pouvait. Il y a quelque chose du principe de la saucisse Hygrade. Plus les médias en parlent, plus les gens réagissent (partagent et commentent) et plus les gens réagissent, plus les médias en parlent.

Ce paradoxe de souligner que, comme députée, elle n’est pas «payée» pour défendre le poil. Quand on y pense, elle a juste fait un statut Facebook. Peut-être un gros 10 minutes pour faire ce statut. On est loin d’une monopolisation de temps et d’énergie. Elle n’a pas demandé une commission d’enquête ou parlé de ça dans une allocution à l’Assemblée nationale, ni fait une conférence de presse sur le sujet. Juste un statut Facebook. Et si elle a dû y mettre de l’énergie ensuite, c’est parce que les gens ont surréagi.

Mais bon, je ne cherche pas à défendre Catherine Dorion ici, malgré le taux de connerie qui s’est dit, mais plutôt défendre le #Maipoils.

Il y a ce paradoxe, avec ce sujet – le poil sous les aisselles, ou sur les jambes, ou sur le visage, bref, le poil sur les corps féminins – tous ces commentaires disant à quel point c’est banal comme sujet, que ça ne mérite aucune attention, que c’est un faux combat, que c’est aussi révolutionnaire que porter un chandail du Che, bref, que c’est niaiseux. C’est vrai qu’il y a des enjeux plus importants (l’avortement aux États-Unis, par exemple), mais c’est vraiment loin d’être le sujet le plus niaiseux qui fait parler. C’est même plus profond que ça en a l’air.

J’ai vu plusieurs messieurs ridiculiser le mouvement. L’un qui montre son absence de poil sur sa poitrine. Un autre qui montre sa barbe et sa «contribution» à cette «révolution». Un autre qui se vante de ne s’être jamais rasé de sa vie.

Je sais bien qu’il y a, dans le lot, du simple trollage, mais malgré tout, j’ai vraiment un malaise de vous voir, messieurs, comparer votre pilosité à celle des femmes. Ce n’est pas parce que c’est banal pour vous que c’est banal pour tout le monde.

Si un couple homosexuel déclare: «on a enfin osé s’embrasser en public», j’imagine mal un couple hétérosexuel répondre: «bien là, c’est banal, on le fait tout le temps nous!» Le geste est le même, mais pas le regard de la société.

Il suffit d’aller lire les commentaires sous le statut de Catherine Dorion ou avec le mot clic du #Maipoils pour se rendre compte à quel point il y a une pression sociale et même une violence envers les femmes qui portent le poil.

Je porte la barbe depuis 20 ans, bien avant que ça devienne une mode. On m’a taquiné, on m’a posé des questions, ma mère m’a souvent demandé de me raser pour être plus beau, on m’a même déjà dit un «ark», mais ça ne se compare pas du tout, en quantité et en intensité, aux commentaires et aux insultes que les femmes reçoivent, encore aujourd’hui, lorsqu’elles décident de ne pas se raser les jambes, les aisselles, le pubis et encore plus le visage. Encore plus quand le poil est foncé. Ne pas me raser ne m’a jamais demandé de courage, d’énergie ou de conviction particulière. Juste de la paresse.

Suffit qu’une mannequine pose avec du poil sous les aisselles pour créer un scandale. Quand est-ce qu’un mannequin a vécu ça? Quand un politicien a-t-il fait scandale pour avoir montré ses aisselles poilues déjà?

Cette pression va bien au-delà du choix esthétique. C’est tellement présent qu’il y a des femmes qui pensent qu’elles ne doivent pas avoir de poil pour des raisons de santé ou d’hygiène, alors que ça n’a absolument pas rapport. J’ai même l’impression que le rasage comporte plus de risques que le non-rasage.

Le nombre de fois, dans ma vie, que j’ai entendu des gars dire que jamais de leur vie ils ne s’épileraient – plusieurs scènes de film humoristique jouent sur cette image. Pourtant, ces mêmes gars ne se sont jamais inquiétés du fait que des femmes faisaient ce truc «débile».

Peut-être que pour vous, messieurs, le poil ne vous dérange pas, autant le vôtre que celui qu’une femme peut porter. Tant mieux. Mais banaliser le courage que ça demande à plusieurs femmes de le faire, ce n’est pas drôle, c’est juste de mauvaise foi. Si vous trouvez vraiment ça niaiseux, trollez ceux qui s’offensent, pas celles qui font et affichent ce choix!

Surtout que le Maipoils ne souhaite pas que toutes les femmes portent le poil, mais simplement que ça devienne un choix personnel et non une pression sociale, comme si c’était la seule option. Ça devrait être banal, mais visiblement, ça ne l’est pas.

Ça ne devrait qu’être un goût personnel, mais c’est loin d’être aussi facile que ça pour les femmes. Et c’est ça que questionne le Maipoils (et Catherine Dorion).

Pour en savoir plus, évidemment, le site du Maipoils, mais aussi cette discussion à Urbania ou encore cette entrevue que j’ai faite sur le sujet l’an dernier.