Dick Annegarn : Le Hollandais volant
Musique

Dick Annegarn : Le Hollandais volant

Il est arrivé en France au début des années 70 et on a voulu le faire entrer dans la petite boîte des babas cool. Il est reparti, s’est exilé, pour mieux revenir, toujours en phase avec l’époque.

L’histoire de Dick Annegarn débute au début des années soixante-dix, dans une France qui baigne encore dans l’après-coup d’un printemps houleux. L’ébullition culturelle de l’époque permettra à ce Néerlandais atypique, fils spirituel de Bob Dylan, de Robert Johnson et d’Alfred Jarry, de s’insérer sans peine dans le paysage musical français avec des chansons comme Bruxelles, Ubu ou Mireille. En 1974, deux ans à peine après son arrivée en France via la Belgique, Dick Annegarn se paie l’Olympia. Quatre ans plus tard, complètement aliéné par le show-business français, il organise une conférence de presse durant laquelle il annonce, avec tambours et trompettes, son retrait de la compétition, et disparaît de sous les projecteurs.

Exilé volontaire ou victime opprimée par un système trop mercantile? «On n’est jamais marginal tout seul, on est marginalisé par un systèmeª, précise le chanteur. J’ai fait le choix d’être indépendant, et ça m’a valu d’être ostracisé. Polydor (sa compagnie de disques de l’époque) m’avait proposé de porter des petites boucles d’oreilles pour faire plus hippie. On voulait faire de moi le baba cool de service, alors que je ne voulais faire que de la variété, au sens le plus noble du terme: je voulais être capable de passer de Kurt Weill à Iggy Pop, de faire du Jacques Brel ou de jouer la tantouze. Brel faisait de la variété à sa façon, et il adaptait sa musique à son propos. Lorsque, à la fin de sa vie, il a écrit Orly, il a fait une musique d’aérogare; quand il écrit Les Bourgeois, il fait une musique bourgeoise; et lorsqu’il chante Les Toros, il le fait sur une musique couillue. C’est ce que je voulais; mais ni la compagnie de disques ni mon public baba cool n’étaient prêts à ça.»ª
Durant les années 80, Dick Annegarn profite de sa retraite pour vivre un bon coup. Il voyage, de la Thaïlande au Maroc, en passant par la Hongrie, s’installe sur une péniche, et revient sporadiquement à la chanson, lançant des disques discrets, limités à un public d’initiés. Puis, quelques petits nouveaux, hérauts de ce qu’on baptise alors la «nouvelle chanson française», se mettent à étaler l’admiration qu’ils vouent au bonhomme. Mathieu Boogaerts l’invite à participer à une tournée, et la réaction du public confirme l’incontournable actualité de Dick Annegarn. «Ça m’a réconforté de me sentir près de ces gens-là, parce que j’avais peur d’être devenu une espèce de diplodocus soixante-huitard. Je ne me suis jamais senti à l’aise avec ma génération, et je me sens plus près de la culture du malaise de Dominique A ou de Mathieu Boogaerts. Ce sont des petits travailleurs acharnés, de véritables indépendants. Ce sont des abeilles poétiques qui butinent à gauche et à droite, et qui soignent leur cire.»

ªAnnegarn tient lui aussi de l’abeille poétique, et son récent retour sur disque, avec le magnifique Approche-toi, témoigne bien du butinage culturel auquel il s’est livré durant les dernières années. En compagnie de Joseph Racaille (arrangeur de Thomas Fersen, notamment) et de deux ensembles à cordes (le quatuor Tir-Cordes et l’ensemble Alhambra), le grand Dick reprend du service. L’influence de ses pérégrinations se fait sentir: sous la voix grave à l’accent impossible, les mélodies se font arabisantes (Rabbi Jésus), ou est-européennes (sur Les Tchèques ou sur la magnifique Attila Jozsef), sans délaisser le blues, interprété dans le texte (Send My Body Home). Dans le phrasé étrange qui les caractérise, les mots dansent. Comme plusieurs artistes qui ne sont pas nés avec le français, Annegarn approche sa langue d’adoption avec une fraîcheur inouïe, et accouche de petites perles désarmantes qui brillent par leur caractère universel. S’il se dévoile un peu plus, notamment en s’adressant amoureusement au «petit homme, déjà grand »ª, le chanteur refuse systématiquement de se regarder le nombril. «L’art autobiographique, je trouve ça indécent; ça a quelque chose de pas propre, lance Annegarn. Si je chantais ma vie amoureuse, ça n’intéresserait que mon amant, et ça ennuierait tous les autres. Pour moi, l’intimité poétique est beaucoup plus subtile.»

Son spectacle au Bataclan, au printemps dernier, a prouvé à quel point le public parisien était prêt à le suivre dans son aventure poétique. Chez nous, sur les planches du Cabaret, le contact risque d’être encore plus intime puisque Dick sera seul en scène. Après ce premier passage à Montréal, il reviendra au Festival d’été de Québec, en compagnie de son quatuor à cordes et d’un pianiste, et on ne saurait trop vous encourager à voir les deux concerts. «Je suis comme un cheval de Troie: j’entre chez vous discrètement, mais j’ai une armée de petits soldats de bois à l’intérieur.»ª Laissez-vous envahir.

Les 4 et 6 juin
Au Cabaret
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