Musique

Semaine de musique québécoise pour le piano : Bonnes notes

La Semaine de musique québécoise pour le piano fut effervescente, pleine de découvertes. Bilan d’un événement  réussi.

On se souviendra du printemps 98 comme d’une saison où la musique contemporaine québécoise aura été à l’honneur. Et non seulement à l’honneur, mais appréciée par des publics chaleureux et enthousiastes, tels qu’on les souhaiterait à longueur d’année…

Après le Festival Musiques au présent, qui avait lieu à Québec au début de mai, c’était au tour de La Semaine de musique québécoise pour le piano. Présentée à Montréal du 19 au 23 mai, la Semaine était organisée par la Société québécoise de recherche en musique en association avec la Chapelle historique du Bon-Pasteur et la Société de musique contemporaine du Québec. Cette fois encore, on peut parler de franc succès, et même de succès exceptionnel, compte tenu de la relative spécialisation de l’événement.

La Chapelle du Bon-Pasteur affichait complet chaque soir de concert, et l’on a dû à deux reprises ouvrir la salle du fond afin de permettre aux derniers arrivants de s’asseoir. Pour ceux qui ne connaissent pas la Chapelle, disons que la salle du fond se situe à l’arrière de la scène, et donc derrière les musiciens…, ce qui n’est pas l’idéal pour écouter un concert. Le vendredi 22 mai, une classe est même venue assister à la première partie !=- fort longue – du concert du pianiste Marc Couroux. L’initiation semble s’être bien déroulée si on considère le grand calme dans lequel était la salle, malgré la présence de nombreux jeunes adolescents, dûment prévenus néanmoins de l’acoustique très résonante du lieu!

Voix parallèles
La Semaine de musique québécoise pour le piano offrait deux conférences et quatre concerts, de quatre pianistes différents. Un des intérêts du choix des interprètes résidait justement dans leurs différences, soulignées à la fois par le jeu, par l’âge et par le choix du répertoire. Les quatre pianistes nous offraient en quelque sorte un panorama de la musique pour piano de chez nous, composée au cours des dernières décennies, ainsi que de différentes approches interprétatives. On y retrouvait des styles parfois complémentaires, parfois carrément opposés esthétiquement, permettant d’avoir une idée de la diversité bienfaisante dans laquelle nous baignons.

Le premier soir, le pianiste André Ristic – un musicien de la jeune génération – présentait un concert varié d’ouvres de jeunes et un peu moins jeunes compositeurs, presque toutes en création. On retient, entre autres, quelques magnifiques préludes de Silvio Palmieri, Mistero, Alba, Splendore et Il giorno della mia morte, dont les trois derniers étaient donnés en création. La sensualité et l’expressivité de ces préludes – qu’on pourrait qualifier de «beaux» si le mot n’était pas dangereux aujourd’hui – étaient bien comprises et admirablement rendues par Ristic, lui-même compositeur et interprète de grand talent. Les autres créateurs au programme étaient Marie Pelletier, Francis Ubertelli, Sean Pepperall, Marc Hyland, Éric Morin et Serge Provost.
Le second soir, le doyen du piano contemporain québécois, Louis-Philippe Pelletier, donnait un concert très particulier consacré uniquement à deux créations: Les Planètes de Walter Boudreau et Variations parallèles de Michel-Georges Brégent. Les deux ouvres avaient été commandées par Pelletier il y a plus de douze ans, mais n’avaient pu voir le jour «pour une multitude de raisons trop compliquées à énumérer ici», élude Walter Boudreau dans le programme. Il s’agit, comme on peut s’y attendre avec le pianiste Louis-Philippe Pelletier, de deux ouvres intransigeantes, «pures et dures» chacune à leur façon.

Les Planètes sont issues d’un matériau structurel extrêmement riche, qui débouche sur une série d’événements sonores ne relevant plus uniquement de la construction formelle, mais également d’une véritable inspiration poétique. Les Variations parallèles, par contre, laissent l’auditeur irrité de n’avoir pu entrer réellement en contact avec l’objet sonore proposé. Même en se laissant «pénétrer» par l’ouvre, comme il nous était suggéré de le faire en guise d’avertissement, l’opacité du propos demeure, et on se sent face à un mur de sons incompréhensibles. Le mérite de Brégent n’était certes pas de communiquer par sa musique, mais plutôt de remettre en question les capacités d’écoute de l’être humain… Pelletier, visiblement dans son élément, respirait l’énergie et la maîtrise de soi tout au long de ce concert performance. Encore disponible après l’exécution de deux ouvres d’une exigence inouïe, il a même offert un rappel à son public, jouant avec grâce les Six Petites Pièces pour piano op. 19 de Schönberg.

Rythmes du monde
Marc Couroux, musicien incontournable de la jeune génération, qui joue partout où le piano contemporain a sa place, donnait le troisième récital de cette Semaine de musique québécoise pour le piano. Présent au début du mois à Québec pour interpréter le Concerto pour piano de Ligeti, cet élève de Louis-Philippe Pelletier proposait cette fois une série d’ouvres qui lui tiennent à cour, puisque la plupart ont été écrites spécialement pour lui: flung loose into the stars de James Harley, Envolées-Marées de Sean Ferguson, Fantasia Stravagante de Jean Lesage et Cycle Tarkosvky de Michael Osterle.

La seule exception était Chute-parachute de Michel Gonneville, que le pianiste a d’ailleurs un peu moins bien réussie que les autres pièces programmées. Ce très long concert se terminait par la création du Cycle Tarkovsky, extrêmement intéressant à plusieurs chapitres. Cet hommage au cinéaste se terminait par la projection d’un court extrait de film. Le style pianistique très percussif de Pelletier a trouvé un prolongement chez Couroux, qui en use malheureusement un peu trop, du moins pour l’acoustique de la Chapelle du Bon-Pasteur et du piano Faziolli qui fait ses beaux jours. Malgré l’intérêt du programme, il y avait saturation…

L’événement se terminait par la prestation de Jacques Drouin, connu pour son travail admirable au sein du Nouvel Ensemble Moderne. Le pianiste avait choisi de présenter, dans ce concert où on lui donnait carte blanche, des ouvres mixtes, pour piano et bande, ainsi qu’une ouvre pour piano et danseur à claquettes. Raffiné et perfectionniste, avec un toucher plus subtil que celui des trois autres interprètes de la semaine, Drouin représente une autre approche musicale: celle du chambriste humble et respectueux des ouvres, toujours éminemment présent, et qui sait laisser respirer la musique lorsqu’elle en a besoin.

Non dénué d’humour, Drouin amorçait son concert par une ouvre de Marc Tremblay, Don’t Shoot the Piano Player!, dans laquelle l’interprète se fait aussi comédien. La très belle Naine blanche, de Michel Frigon, suivait, avant une ouvre solidement construite de Claude Lassonde, Ouverture des sables de l’enfer. Au dernier vivant les biens, de Claude Schryer et Jacques Drouin, précédait l’ouvre la plus forte du programme, Figures de rhétorique, de Robert Normandeau, une réussite musicale absolue. La Maison aux lumières brûlées, de Luc Marcel, présentait des jeux rythmiques complexes grâce auxquels le danseur à claquettes Olivier Loubry nous a donné une éclatante démonstration de virtuosité. Une semaine épuisante, certes, mais ô combien stimulante!