Fred Eaglesmith : Le goût du vrai
Musique

Fred Eaglesmith : Le goût du vrai

La vertu cardinale d’un singer-songwriter est l’authenticité, la capacité d’être vrai, de rester en contact avec ses racines et de transcender la commercialisation dont il fait l’objet. Prenez Springsteen. Celui-ci a recouvré sa fonction de porte-parole de la classe ouvrière avec The Ghost of Tom Joad. A ce moment-là, aussi, il quittait souvent son château californien pour son New Jersey natal. Prenez Mellencamp. Du fond de l’Indiana, il a su dépeindre les problèmes des fermiers américains. Puis, un jour, il a viré trip-hop, Bristol, et s’est mis à jouer avec des boucles et des échantillonnages (Mr. Happy Go Lucky). Ses fans l’ont traité d’urbain, d’opportuniste.

Issu d’Alberton, en Ontario, Fred Eaglesmith partage les mêmes origines rurales que Mellencamp. Chez lui, également, personne ne sait qui est Tricky. De 1980 à 1993, année où Fred a surgi avec son cinquième ou sixième opus, Things Is Changin’, il a décrit le drame des fermiers délestés de leur terre par les banques et incapables de nourrir leur famille. Devant ce dur portrait social, ses compatriotes ont fait la sourde oreille.

«C’est parce que le Sud de l’Ontario n’a pas beaucoup la cote au Canada. Cette région est semblable au Centre-Nord des États-Unis: c’est plat, sec, venteux, rural. Quand j’étais petit, j’écoutais les stations de radio de la Virginie et du Kentucky. J’aimais le country rebelle, hillbilly. Aussi, mes chansons n’appartiennent pas à la tradition celtique de la Côte-Est, qui régit toute la musique folk au Canada. Ce milieu élitiste ne s’identifie pas beaucoup à la classe des pauvres gens.»

Les Canadiens, c’est évident, ont toujours renié leur petit côté white-trash. Heureusement pour Fred, son country alternatif, qui contraste avec la variété guimauve de Nashville, séduit les Américains depuis quelque temps. Après avoir longuement dépeint la ferme de son enfance, il offre maintenant une vision plus vaste de l’America Heartland. Ses chansons décrivent la vie des humbles et des foireux, les couples qui nagent vers le désastre, l’ivresse qui permet d’oublier, les trains, les autoroutes, les stations d’essence… C’est la pierre angulaire de Drive-In Movie (1996), mais aussi de Lipstick, Lies & Gazoline (1997). A première vue, ce country-rock peut paraître désuet et isolationniste, mais il sonne vrai. Aussi vrai que Guitar Town, de Steve Earle.

La vérité est justement ce qui préoccupe Eaglesmith. Quand on lui demande ce qui arrivera aux fermiers ou aux conducteurs de camions en l’an 2038, l’homme de quarante ans échappe un rire sinistre. «Bien, nous sommes encore plusieurs de notre espèce, mais nous mourons tranquillement (soupir). J’essaie de ne pas être trop romantique à ce sujet, car c’est le progrès, et on ne peut rien y changer. Je sais aussi que dès un fermier ou qu’un trucker a une trop vaste idée de lui-même, c’est fini. Les truck-stops sont pleins de camionneurs qui jouent à être des truckers, et ça me rend fou. C’est à cause de la télé. Bientôt, le monde ne sera plus qu’une caricature de lui-même.»

Il en va de même des auteurs-compositeurs qui font semblant d’écrire. «La vérité est la seule chose à laquelle je m’accroche. Ce soir, je vais jouer à Pittsburgh. Avant de faire cette entrevue, j’étais dehors en train de réparer ma pompe. Ces deux tâches font partie de la même journée. Mon seul devoir, en tant qu’auteur-compositeur, c’est de ne pas perdre le contact avec la réalité.»

Eaglesmith et ses Flying Squirrels – Ralph Schipper (basse), Washboard Hank (percussions) et le grand Willie P. Bennett (mandoline, harmonica) – seront à Montréal pour la première fois en quatre ans. Authentique, mes amis. Y a pas d’autres mots pour qualifier Fred.y

Le 14 juin
Au Café Campus
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