Musique

Dix ans du Nem/Coffret Opéra : Tenue de soirée

Le NEM donnait son Grand concert dixième anniveraire la semaine dernière, à la salle Claude-Champagne. Petit retour sur l’événement.

Samedi 1er mai à la salle Claude-Champagne, le Nouvel Ensemble Moderne donnait son traditionnel Grand concert annuel, un événement qui soulignait cette année son dixième anniversaire. En effet, le NEM donnait, le 3 mai 1989, dans cette même salle, son tout premier concert intitulé alors Grand concert classique, sous la direction de sa fondatrice, Lorraine Vaillancourt.

Exceptionnellement, le NEM n’était pas seul pour ce Grand concert anniversaire. L’ensemble vocal Soli Tutti de France, dirigé par Denis Gautheyrie, interprétait quelques ouvres en première partie, dont une création conjointe faisant appel aux deux chefs.
Vortex Temporum, de Gérard Grisey, ouvrait le programme, en hommage au compositeur décédé récemment. La subtilité de la musique spectrale peut être ingrate en début de concert, et ce fut le cas. On toussait à qui mieux-mieux dans la salle! Les Webern interprétés par Soli Tutti furent plutôt décevants, alors que la Symphonie opus 21 pour neuf instrumentistes redonna du corps au concert. Elle précédait Les Jeux de Rabelais du jeune compositeur français Régis Campo, une découverte fascinante qui n’est pas sans rappeler Clément Jannequin, et qui mettait en scène à la fois Lorraine Vaillancourt et Denis Gautheyrie, dirigeant chacun son ensemble.

En seconde partie, le NEM nous revenait au complet, avec une oeuvre d’Isabelle Panneton, qui lui est dédiée. Créée à Paris en février dernier lors du Festival Présences 99 de Radio-France, Travaux et jeux de gravité est une pièce magnifique, tourmentée, profonde – grave? – et superbement interprétée. Pour terminer le concert, le NEM avait préparé un cadeau pour son public, une ouvre qui soulignait avec force une des vocations premières de l’ensemble: jouer les classiques du XXe siècle. Le Kammerkonzert de Ligeti, toute première ouvre montée par le NEM, est devenu depuis sa carte de visite. La version qu’en fait l’ensemble a été, dès le début, une référence.

Le public était là, fidèle, et les fans du Nouvel Ensemble Moderne se sont manifestés chaleureusement. Ce concert dixième anniversaire du NEM n’était toutefois pas le plus réussi des événements auxquels nous ont conviés Lorraine Vaillancourt et ses musiciens au cours de la dernière décennie. La présence de l’ensemble vocal Soli Tutti, si elle nous a permis d’entendre une ouvre très riche du jeune Campo, nous a malheureusement tenus à distance du NEM durant la première partie. Le niveau d’excellence de l’ensemble est tel que son association avec un autre groupe nous a privés du plaisir de l’entendre seul d’un bout à l’autre du concert. Soli Tutti interprète certes bien la musique d’aujourd’hui, mais sa sonorité et son homogénéité laissent à désirer; ce qui n’est bien entendu pas le cas du NEM… D’autre part, le programme, conçu pour répondre à différentes exigences dont la présence de Soli Tutti et l’hommage à Grisey, manquait quelque peu de cohérence. Mais qu’importe! Le NEM est là pour rester, et nous promet encore de merveilleux moments.

Così fan tutte, de Mozart par le Concerto Köln dirigé par René Jacobs (Harmonia Mundi)
Il faut saluer avec enthousiasme la parution de ce coffret consacré à Così fan tutte, de Mozart. Pour plusieurs raisons. Rares sont les enregistrements qui combinent à ce point qualité d’interprétation et qualité de présentation. Ici, les deux aspects sont à ce point réussis qu’on ne sait par où commencer…

Permettons-nous tout d’abord d’admirer l’interprétation vraiment extraordinaire de Così qui nous est proposée par le chef René Jacobs, les musiciens du Concerto Köln et les chanteurs de la distribution: Véronique Gens dans le rôle de Fiordiligi, Bernarda Fink dans celui de Dorabella, Werner Güra dans le rôle de Ferrando, Marcel Boone dans celui de Guglielmo, Pietro Spagnoli dans celui de Don Alfonso et, finalement, Graciela Oddone dans celui de Despina.

Bien qu’il ne s’agisse pas d’une version live, ce Così en a toutes les qualités. En d’autres mots, il possède à la fois les qualités du live: vie et chaleur, et celles de l’enregistrement en studio: perfection technique, beauté du son. Il est déplorable de penser qu’il a fallu attendre 1910 pour que cet opéra de Mozart sur un livret de Da Ponte connaisse à nouveau une interprétation digne de ce nom, après des années d’irrespect. Si cette date est importante dans l’histoire de Così, 1999 l’est aussi…

Jacobs – pour qui Così fan tutte est un des sommets de l’opéra non seulement mozartien, mais bien de toutes les époques – réussit à donner une telle évidence à ses choix esthétiques qu’on est littéralement conquis. Le naturel, la grâce du phrasé, de l’articulation, la couleur et l’implication superbe de l’orchestre ainsi que les magnifiques accompagnements des récitatifs suffisent déjà à nous convaincre. Quant aux chanteurs, ils semblent n’avoir jamais rien fait d’autre dans leur vie que de chanter avec bonheur cet opéra. On voudrait pouvoir entrer avec eux dans l’ouvre et vivre leurs vicissitudes amoureuses. Véronique Gens est particulièrement remarquable, donnant un relief insoupçonné au personnage complexe qu’elle interprète. Sa voix, à la fois légère et sombre, possède dans sa sonorité même les aspects contradictoires de Fiordiligi. Les ensembles, déjà d’une beauté troublante chez Mozart, sont magnifiés par l’interprétation. Qu’on pense par exemple au duo de Fiordiligi et Dorabella, «Ah guarda, sorella», ou au quintette «Di scrivermi ogni giorno».

Ce coffret s’accompagne comme à l’accoutumée d’un livret, mais également d’un cédérom très complet intitulé À la découverte de Così fan tutte, visite interactive dans le monde de l’opéra mozartien, permettant d’aborder l’ouvre avec des connaissances utiles à son appréciation. Agrémenté par une superbe iconographie, comprenant un théâtre d’ombres dont l’idée et la réalisation sont admirables, ce cédérom nous fait passer à travers les questions importantes concernant l’époque de Così, la situation politique, le contexte esthétique, la fidélité, la genèse de l’ouvre, sa création, sa difficile postérité, sa réhabilitation récente, etc. On peut y suivre le livret tout en écoutant l’ouvre, aller au cour de l’action, explorer les caractéristiques des personnages, bénéficier d’entrevues avec les membres de la distribution et avec René Jacobs. Un document exceptionnel, ponctué d’extraits musicaux, avec des textes de qualité. Pour ceux qui ne disposent pas d’un lecteur, on a soigné également le livret d’accompagnement, qui donne des explications fort intéressantes à propos de l’ouvre et de son interprétation.