Festival international de duo-piano du Québec : Deux pianos, quatre mains
Musique

Festival international de duo-piano du Québec : Deux pianos, quatre mains

Après des premières éditions impressionnantes, le Festival international de duo-piano du Québec présente cette année deux spectacles: les Moscovites Sorokina-Bakhchiev et les Sibériens Pystine-Tsygankov. Une programmation placée sous le signe du contraste.

La présidente du Festival international de duo-piano du Québec, Dominique Morel, ne cache pas son enthousiasme. Pour sa quatrième édition, le Festival reçoit deux des plus importants duos de Russie: les Moscovites Elena Sorokina et Alexander Bakhchiev ainsi que les Sibériens Gennady Pystine et Igor Tsygankov. «Mon grand but, cette année, était de faire venir ces deux duos, confie Dominique Morel. Avoir les deux en même temps, c’était ce qu’on pouvait faire de plus fou, de plus gros. Dans les autres festivals où ils sont connus, on va se demander comment nous avons fait! Je me suis dit: ça coûtera ce que ça coûtera, tant pis.» Une des grandes qualités de cette rencontre inespérée est le contraste. Contraste entre l’explosion fulgurante des passions déchaînées que nous font vivre les Pystine-Tsygankov, et l’émotion ardente et intime des Sorokina-Bakhchiev. «Avec Sorokina-Bakhchiev, évoque la fondatrice du Festival, on a une intégrité, quelque chose d’intense, mais d’intime en même temps, et aussi un immense respect, un dévouement incroyable dans l’expression et dans le raffinement.» Et les Pystine-Tsygankov? «Des volcans!» s’exclame tout simplement la pianiste.

On l’aura compris, les Pystine-Tsygankov et les Sorokina-Bakhchiev sont, chacun dans leur sphère, des têtes d’affiche du duo-piano en Russie, presque des vedettes populaires. Il faut dire que ce pays est une terre fertile pour les pianistes duettistes. «On a beau entendre et faire beaucoup de duos, témoigne Dominique Morel, qui a joué la saison dernière en Sibérie en compagnie de son acolyte de toujours, Douglas Nemish, on est toujours surpris quand on arrive là-bas. Ici, on voit parfois des femmes qui, après avoir élevé leur famille, retournent à l’enseignement du piano. Mais en Russie, la folie, c’est qu’après avoir élevé leurs enfants, les femmes retournent au duo-piano! Elles parlent de leur quatrième, de leur cinquième petit, non sans évoquer avec fierté le fait que leurs deux premiers se sont déjà mis à l’étude du piano quatre mains… Et ça joue bien!»

Dans ce contexte, les Sorokina-Bakhchiev ont une notoriété que l’on ne soupçonne pas chez nous, lorsqu’on songe à des pianistes duettistes. Quand ces deux musiciens ont participé à une série d’émissions à la télévision russe, rapporte encore Dominique Morel, les compositeurs se sont mis à écrire massivement pour cette formation, et le grand public, à s’intéresser à ce répertoire. Derrière toutes ces considérations, on sent poindre, mal dissimulé, le désir de la pianiste de faire de Montréal un autre centre du duo-piano. En quatre ans, avec le Festival, elle a établi des contacts, créé de nouveaux circuits, attiré l’attention du public sur cette formation au point de recevoir le prix Opus du «Diffuseur de l’année» en 1998. Pourtant, encore une fois, les subventions se font légères cette année. Après des premières éditions impressionnantes, comprenant cours de maîtres, rencontres et quantité de concerts, le Festival se retrouve, en 1999, avec deux concerts, heureusement coproduits avec la Chaîne culturelle de Radio-Canada. Point.

En plus des problèmes financiers, Dominique Morel admet n’avoir pas consacré assez de temps à l’organisation de l’événement, carrière oblige. En effet, le duo Morel-Nemish a connu une année très fertile, qui l’a amené la plupart du temps à l’étranger. Mais ce n’est que partie remise, indique la présidente, qui compte bien continuer à lutter pour la place du duo-piano au sein de la vie musicale québécoise. Totalement comblée par cette édition, elle n’affiche pas une ombre de découragement. Au programme du premier concert, entièrement donné par le duo Sorokina-Bakhchiev, des ouvres de Mozart, Czerny, Weber, Schubert, Rachmaninov. Des noms familiers, certes, mais des ouvres qui le sont moins… «Ces deux pianistes sont connus pour avoir en leur possession beaucoup de partitions sur lesquelles d’autres pianistes aimeraient bien mettre la main», indique prudemment Dominique Morel. Le second concert sera plus diversifié puisqu’il nous fera entendre les deux duos russes, ainsi que le duo Morel-Nemish dans la Sonate pour deux pianos de Poulenc. Les Sorokina-Bakhchiev interpréteront le Concerto en mi bémol majeur, KV 365 de Mozart, et les Pystine-Tsygankov joueront deux ouvres de Schnittke, la Suite «Gogol» pour deux pianos et le Concerto pour piano à quatre mains et orchestre de chambre. L’orchestre de chambre I Musici de Montréal, sous la direction de Yuli Turovsky, accompagnera les pianistes.

Si le Festival se résume cette année à ces deux concerts, si importants soient-ils, Dominique Morel se réserve quand même la possibilité d’offrir des cours de maîtres. «Les musiciens arrivent le 10 août à Montréal, au cas où, et s’il y a assez d’intéressés, on pourrait offrir des master classes. Ce sont des gens tellement fantastiques que je souhaite à tout le monde de pouvoir les rencontrer. Nous avons besoin de cette science, de cette grande vision de la musique.»

Les 18 et 19 août
À la salle Pierre-Mercure

Disque

Nouba Hijâz al-mashriqî, Orchestre Abdelkrim Rais de Fès, direction Mohammed Briouel (Erato)
La nouba marocaine est une suite musicale chantée, soutenue par des instruments. On y entend essentiellement un chour et des voix solistes, le luth (oud), la vielle à cordes frottées en forme de barque (rebab) et une percussion du type membranophone, qui soutient la nouba et la caractérise. Il s’agit d’un art savant, étayé par des règles précises et perpétué par la tradition. Typiquement, la nouba enchaîne des pièces qui se terminent toutes sur une accélération propre à préparer l’entrée de la pièce suivante, créant pour le profane une sensation d’urgence et d’envoûtement sonore puissant. Avant l’écoute de ce disque, je ne connaissais pas l’existence de la nouba, ou du moins je n’aurais pas su la nommer et la décrire. Cette interprétation marocaine de la nouba Hijâz al-mashriqî m’a conquise. Il semble toutefois qu’elle ne soit pas orthodoxe, puisqu’on y retrouve une voix de femme, celle de Françoise Atlan, au sein d’un art qui se perpétue au masculin. Cette interprète, formée également à la tradition judéo-espagnole, se coule à merveille dans la nouba marocaine pour une raison simple: la musique arabo-andalouse, telle qu’elle se pratique de nos jours au Maroc, ne fait pas appel au micro-intervalle. Voilà sans doute pourquoi nos oreilles occidentales, souvent intolérantes aux subtilités intervalliques, se laissent charmer si facilement par cette nouba à la marocaine.