Overbass : Le monde libre
Musique

Overbass : Le monde libre

Et si, avec son troisième album, le groupe montréalais sans guitariste mais avec deux basses atteignait une certaine maturité? Chose certaine, chez eux, la liberté est effectivement beaucoup plus qu’une marque de yogourt…

La planète a beau vibrer latin depuis quelques semaines, dans la tornade Ricky Martin, au Québec, et plus spécifiquement à Montréal, il y a longtemps que les fans de hardcore s’y sont mis. Bien avant Living la vida loca, n’importe quel fana de la scène alternative locale vous citera El Toro, La Cucaracha et autres Libertad, toutes des chansons d’Overbass, la formation montréalaise qui n’a jamais voulu faire les choses comme les autres… pour le meilleur et pour le pire.

Overbass, c’est d’abord et avant tout un groupe à deux basses, refusant la six cordes en ses rangs. C’est celui qui rejette une seule langue d’usage, pariant plutôt sur la pluralité des langages: le français, l’anglais et l’espagnol. C’est l’idée qu’on se fait du groupe alterno, archi-autonome, parfois arrogant, mais profondément convaincu de la nécessité d’un solide réseau de contacts, qu’ils soient internationaux ou locaux. Overbass, finalement, c’est la rencontre de deux personnalités qui, de prime abord, n’ont pas grand-chose en commun, si ce n’est un caractère à toute épreuve: Shantal Arroyo et Joel Tremblay.

Arroyo, c’est la bombe d’énergie et de charisme, au sourire meurtrier. Une fille qui emprunte autant à l’ange qu’au démon, et qui, au fil des ans, a su assumer ses atouts sans gêne et sans remords. Irrésistible. Joel, c’est le cerveau musical qui a fondé Overbass. Effacé, moins sociable et porteur d’une moue propre à intimider n’importe quel inconnu. Le genre de gars qui ne se laisse apprivoiser que très lentement.

Différents, donc, au point où pour plusieurs, Overbass est carrément la formation de Shantal Arroyo: «C’est une vision de journalistes, estime Joel. Nos fans savent qu’il ne s’agit pas de SON groupe. De toute manière, je suis habitué, puisque mon premier groupe comptait aussi une fille. C’est normal que Shantal capte l’attention, puisqu’elle est la chanteuse, qu’elle a du charisme et que tout le monde dit que j’ai l’air bête. Au moins, je n’ai pas à être fin avec tout le monde. C’est un peu comme No Doubt, où tout le monde affirme qu’il s’agit du groupe de Gwen Stephanie, alors qu’elle est très consciente de l’importance du band en arrière. À un moment donné, un groupe, c’est une pure et simple question de chimie.»

Au fil des ans pourtant, il nous a semblé que Shantal Arroyo prenait de plus en plus de place, au point où Overbass a embauché une claviériste à temps plein, histoire de la laisser se concentrer sur son boulot de chanteuse: «Il est arrivé un temps où j’ai aussi assumé mon rôle, explique-t-elle. C’est parfois fatigant de savoir que les gens tripent sur le band juste parce que la chanteuse est une fille. Je n’avais pas envie que les gens aiment le groupe parce que je me mettais un petit top sexy. On aurait pu le faire, mais tomber là-dedans était trop facile. Je voulais que le monde découvre notre potentiel musical. Je pense que c’est fait et là, tranquillement, j’accepte le fait que je suis sur le devant de la scène, ou qu’on identifie Overbass à moi. Jamais, toutefois, je n’oublie qu’il y a un groupe derrière, indispensable afin de m’appuyer.»

Comment pourrait-il en être autrement? C’est Joel qui, après avoir sabordé son groupe Kapitalist, dessine, en 1992, les plans d’Overbass, une formation qu’il veut unique en son genre, à l’image de Voivod, un modèle pour les membres de cette formation embryonnaire. Il jongle avec l’idée d’un groupe à deux basses depuis qu’il est tout jeune, si bien que quand le bassiste Max Ouellet lui propose de collaborer, il n’hésite pas longtemps: «À l’époque, j’avais envie d’un son différent des autres, avance Joel. On est vite devenu un sujet à critiques, notamment parce qu’on essayait quelque chose de différent. Les bassistes nous regardaient bizarrement, et les guitaristes me demandaient régulièrement pourquoi je ne les aimais pas…»

À cette période, Shantal Arroyo fréquente Overbass sans en faire partie, bien qu’elle écrive certains textes, dont El Toro. Elle a beau rêver de former un groupe, elle n’a pas assez de discipline pour apprendre un instrument: «Et puis, en revenant d’un show de Me, Mom and Morgentaler, Max, qui les voyait pour la première fois, a eu le flash de m’intégrer. Je viens d’une famille de musiciens, j’ai vu ma mère faire tellement de shows que je savais que je pouvais le faire. Et puis, tant qu’à être dans le groupe, aussi bien inclure plus de textes en espagnol, surtout qu’à ce moment-là, j’étais plus à l’aise pour écrire dans cette langue. On s’est aussi rendu compte que c’était une langue parfaite pour le hardcore. Ça peut être agressif, très doux, saccadé…»

En avant la liberté!
Depuis 1992, Overbass a donc proposé trois albums, élargissant à chaque occasion le nombre de ses fans, tout en continuant à être la cible de certains observateurs, incapables de les piffer. C’est que leur rock, il faut l’admettre, a parfois pris des allures un peu brouillonnes, particulièrement sur les disques, immanquablement réalisés à petit budget. C’est – encore une fois – le lot de Libertad, leur tout dernier, même s’il ne se compare nullement aux deux premiers, tant sur le plan de la réalisation que de l’éventail stylistique mis de l’avant. Comme si Overbass ne se sentait plus obligé de tout défoncer sur son passage, sans s’arrêter,= ne serait-ce qu’une toute petite seconde pour reprendre son souffle. Hardcore, bien sûr, mais aussi progressif, purement hispanique, classique, reggae, punk et même traditionnel québécois.

De quoi donner tout son sens au mot Libertad, sur lequel on pourrait également épiloguer de longues heures, tant les événements extramusicaux ont été légion au cours des dernières années dans l’entourage d’Overbass. Ce troisième disque a ainsi été réalisé sans la férule de leur ancien label, MPV, divorce qui aurait laissé des traces d’amertume dans les deux camps. Libertad, donc? «Le titre n’a vraiment rien à voir avec notre départ de chez MPV, jure Joel. C’est un hasard. C’est la première chanson du disque, et, si tu lis le texte, tu vas voir que c’est très positif. C’est pour dire aux jeunes de croire en leurs rêves et de foncer. C’est vrai que depuis, plusieurs personnes nous ont dit qu’elles voyaient un rapport avec notre ancienne compagnie de disques, surtout que la pochette montre une pièce de monnaie, mais vraiment, ce n’était pas voulu.»

Donnons cette fois le bénéfice du doute à Overbass, mais exigeons tout de même des explications relativement à la chanson Plein mon cass, qui passe au tordeur les menteurs, les tricheurs et les manipulateurs. Règlement de comptes avec le label? «Encore une fois, ce n’est pas ça du tout, assure Shantal. Je l’ai écrite pour des chums et des bands, qu’on croyait nos alliés, et qui nous ont laissés tomber. C’est une chanson sur le manque de solidarité légendaire des musiciens montréalais. Tout le monde parle de solidarité, et affirme qu’on se soutient mutuellement. Bullshit. C’est chacun pour soi. Nous, on avait une vision très punk, on aurait été le genre à former un syndicat de musiciens pour se battre et monter au front. Trop souvent on a eu l’impression de se battre pour les autres, de regarder derrière, et de ne plus voir personne pour nous soutenir. C’est arrivé avec Noël dans la rue, un show-bénéfice où on a réalisé qu’il y avait du "passage de cash dans les poches" de tout le monde… À un moment donné, j’en ai eu plein mon casque, et j’ai écrit la chanson. On est peut-être trop révoltés, trop chefs de syndicat…»

Accusez-moi de chercher des poux là où il n’y en a peut-être pas, mais il me semble qu’on ne coiffe pas son album d’un titre aussi puissant et évocateur que Libertad en raison d’une seule chanson. Qu’on le veuille ou non, la simple mention du mot «liberté» possède plus de force, d’espoir et de signification que le mot «râteau» ne pourra jamais rêver d’en porter en mille ans d’existence. Sans donner dans le sensationnalisme, le potinage de bas étage ou l’espionnage marital, il convient tout de même de rappeler que ce disque a été conçu et pensé dans les mois suivant la séparation de Shantal et Joel, mariés depuis plusieurs années. Et que pareil événement ne peut qu’influencer le processus créatif installé depuis des lustres au sein d’une formation…

Liberté créatrice? «Ça n’a pas été facile, et ça ne l’est pas encore, admettent-ils. Ça n’a, par contre, rien changé en termes de rapport de force. Des fois, c’est clair, on arrivait aux répétitions, et on se haïssait; mais c’est drôle, plusieurs bonnes idées ont émergé de ces sessions. Probablement parce que le groupe devenait notre seul pôle d’attraction, la seule affaire qui nous restait. Quand tu casses avec ta blonde, t’es content de rentrer chez vous, et de trouver ton chien qui t’est resté fidèle. Nous, notre chien, c’était le groupe. Et puis il n’était pas question de saborder Overbass, ne serait-ce que pour Max et Chooby (batteur) qui y avaient investi beaucoup d’efforts. On est un peu comme les parents du groupe, et on ne voulait pas montrer à notre enfant que ça n’allait pas. On y est vraiment parvenu puisque les autres membres s’en sont rendu compte seulement plusieurs mois plus tard.»

Viva latina
Depuis quelques mois, la planète s’est donc mise à l’heure de la musique latine, même le très sérieux Time lui a consacré sa couverture. Chez Overbass, pourtant, voilà maintenant sept ans que l’espagnol croise le français et l’anglais, d’abord sous la forme de clins d’oil, mais désormais de plus en plus assumé. Pas surprenant qu’un album complet dans la langue de Castro soit parmi les projets en devenir: «Au départ, on faisait des chansons drôles parce qu’on se disait que personne ne comprenait, explique Shantal. On s’est toutefois vite rendu compte que les jeunes étaient curieux, qu’ils cherchaient à les traduire pour tout saisir. Mais il n’y a rien d’exceptionnel dans notre démarche, la Mano Negra chante en espagnol depuis très longtemps. Et c’est normal que le phénomène émerge finalement, l’espagnol ouvre un marché tellement plus immense que le français.»

N’allez cependant pas croire qu’Overbass veuille faire la passe de cash via l’espagnol. Pas question d’aller tourner en Amérique latine, pour des questions de sécurité, pas plus qu’on ne prévoit lancer Libertad là-bas: «Quand je compose un quatrième album, et que je sais que plein de gens écoutera ça, c’est une partie de ma paye, avance Joel. On ne fait pas de la musique pour vendre vingt millions d’albums, on espère simplement pouvoir voyager, rencontrer plein de monde et pas trop se casser la tête pour payer le loyer. On est sur la bonne voie…» La voie de la Libertad, sans aucun doute.

Le 6 août à 23 h
Au Spectrum
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