Disques : Bonnes notes
Musique

Disques : Bonnes notes

Padre Antonio Soler, Neuf Sonates. Joseph Petric, accordéon de concert (Analekta fleurs de lys, FL 2 3116)

Padre Antonio Soler à l’accordéon, un sacrilège? Pourquoi s’aventurer dans le répertoire classique, alors qu’il existe tant d’oeuvres légères – musette et compagnie – pour cet instrument au timbre souriant? Ces questions, pertinentes certes, ne s’appliquent pas lorsqu’on parle du génie de Joseph Petric, l’un des plus grands accordéonistes de concert au monde. Dans ses propres arrangements de sonates de Soler, Petric transcende une fois de plus l’instrument, pour en faire le véhicule d’une expression musicale raffinée. Ces oeuvres, qui rappellent les sonates pour clavier de Domenico Scarlatti – dont Soler fut l’élève -, constituent la partie la plus connue de l’oeuvre du compositeur espagnol. Petric s’attaquait donc à un corpus nous permettant de comparer les vertus de l’accordéon à celles, plus évidentes, des claviers… Et c’est d’abord là que s’exprime le génie de l’interprète. Le choix s’avère extrêmement judicieux et cette musique légère et rythmée, entremêlant formes traditionnelles et esprit populaire, s’adapte à merveille à l’instrument. À moins que ce ne soit l’inverse… Le jeu de Petric est à la fois pétillant et intense, intelligent et presque moqueur par moments, toujours précis. Le bruit de la mécanique de l’accordéon n’est aucunement gênant et rappelle plutôt celui de certains orgues portatifs, au charme un peu désuet. Un disque qui s’écoute avec une oreille d’abord amusée, puis séduite.

Airs baroques, volume 2. Yoshikazu Mera, alto (Bis-CD-1029)
La voix de Yoshikazu Mera est, comme celle de la plupart des altos masculins, une énigme. Et comme les autres, elle possède sa personnalité propre, qui n’est pas tributaire uniquement du registre étonnant qu’elle couvre. Chez Mera, on se trouve par moments en présence d’une voix enfantine, à laquelle se mêle une sensualité subtile, très nuancée. Si ses aigus sont d’une grande pureté, Mera possède également un grave superbe, ainsi qu’une grande égalité sur tout le registre. Ses interprétations sont empreintes de grâce, mais parfois un peu froides. S’il nous émeut dans Then shall the eyes of the blind be open’d extrait du Messie de Haendel, qui ouvre le disque, il nous touche moins par la suite. L’accompagnement du Collegium Bach du Japon dirigé par Masaaki Suzuki manque de relief et ne permet pas toujours à l’interprète principal de s’épanouir pleinement dans ces oeuvres de Haendel, Ahle, Buxtehude, Schütz et Bach. Parmi les chanteurs qui participent aux duos et trios, on retrouve la soprano Ingrid Schmithüsen – qui chante souvent chez nous -, ainsi que Midori Suzuki, John Elwes, Gerd Türk, Makoto Sakurada, Stephan Schreckenberger et Yoshitaka Ogasawara.

Meninas. Le Trio de guitare de Montréal (Atma ACD 2 2211)
Ce premier enregistrement du Trio de guitare de Montréal (TGM) est très prometteur. Le jeune ensemble, composé de guitaristes diplômés en interprétation de l’Université de Montréal, est remarquable par son originalité. Originalité de la formation, d’abord, mais aussi du répertoire, fait essentiellement d’arrangements du TGM lui-même. Par leur esthétique particulière, ces musiciens créent des paysages sonores non conformistes. Tangos de Piazzolla, empreinte brésilienne de Gismonti, musique de film de Morricone, oeuvre originale composée pour le Trio par Andrew Senior, tout passe au crible de l’esthétique du TGM. Malgré le parti pris peu classique de ce premier disque, on ressent une volonté d’aborder tout répertoire avec le sérieux qu’exige la musique de concert; le sérieux n’excluant pas, bien sûr, le plaisir de jouer ensemble. Fougueux, excellents rythmiciens, apparemment rompus aux exigences de l’harmonie et sensibles aux couleurs de leur instrument, ces trois interprètes n’ont pas de difficulté à nous captiver. Bravo à Glenn Lévesque, Marc Morin et Sébastien Dufour.

Hoquetus, musique vocale de l’Europe médiévale. Paul Hillier, Theatre of Voices (Harmonia Mundi HMU 907185)
L’ancien procédé appelé «hoquet», très utilisé au moyen âge, consiste à répartir une mélodie entre plusieurs voix en alternances très rapides, le silence des uns coïncidant avec les notes des autres, afin de donner l’illusion d’une seule ligne mélodique. La sensation de continuité mélodique, réelle et fausse tout à la fois, crée plutôt l’effet d’un hoquet que celui d’une succession naturelle de sons émis par une même voix. Il en résulte une impression de complexité rythmique et de frémissement expressif très éloquent. Ce procédé, bien que remontant au moins au XIIe siècle, n’a rien perdu aujourd’hui de son potentiel de fascination. Présent également dans la musique africaine, il est, en fait, probablement beaucoup plus ancien que la notation musicale. Paul Hillier a donc décidé d’y consacrer un disque, qui réunit sous la bannière du Hoquetus, ou hoquet, des oeuvres françaises, anglaises et italiennes des XIIIe et XIVe siècles. «Il n’y a pas de hoquet dans chacune des pièces, spécifie Hillier dans les notes d’accompagnement, mais, en dehors de celles qui sont simplement destinées à apporter un contraste pour l’oreille, la plupart comportent quelque forme caractéristiques de fièvre rythmique.» On peut donc envisager cet enregistrement comme un tout, une sorte de recueil à l’architecture cohérente. La perfection technique des chanteurs du Theatre of Voices est admirable. Un très beau disque qui nous donne à entendre un moyen âge d’une grande délicatesse.

Lully, Grands Motets, volume 1. Le Concert spirituel, Hervé Niquet (Naxos 8.554397)
Cette production du Centre de musique baroque de Versailles, parue récemment chez Naxos, est en fait un enregistrement de 1993. On y retrouve, à coût minime, un Concert spirituel très en forme, dans la magnifique musique de Lully, empreinte de splendeurs royales. La musique religieuse de Monsieur le Surintendant de la Musique du Roy et Compositeur de la Chambre de Sa Majesté reste tout aussi fastueuse que si elle avait été composée dans un esprit de pur divertissement, avec, pourtant, une place pour les contrastes expressifs et l’émotion religieuse. Bref, un nid de recueillement au coeur même des pompes de la cour. Hervé Niquet et ses musiciens en font ressortir toute la richesse, avec un allant très communicatif. On y entend une musique chatoyante, vivante, glorieuse, parfois profonde, qui génère un plaisir immédiat et durable, l’interprétation vivifiante du Concert spirituel y étant certainement pour beaucoup.