Disques : Thèmes et variations
Musique

Disques : Thèmes et variations

Musiques contemporaine canadienne, italo-allemande et française sont au programme de très bons enregistrements. Petite recension des meilleurs disques parus récemment.

Whale Spirit Rising. I Musici de Montréal, Yuli Turovsky. (Chandos)

I Musici de Montréal et son chef Yuli Turovsky se font une spécialité des oeuvres du XXe siècle au langage accessible, teintées de romantisme et d’accents jazzés. Après un enregistrement exceptionnel de Gorecki et Pärt, l’ensemble québécois s’attaque à des oeuvres d’Amérique du Nord, toujours sous étiquette britannique Chandos. On y retrouve une pièce du musicien de jazz canadien Roddy Ellias, Whale Spirit Rising («L’esprit des baleines s’élève»), qui a donné son titre à l’enregistrement; Fantasia… sul linguaggio perduto du Canadien Marjan Mozetich, et finalement l’Élégie pour violon et orchestre à cordes de l’Américain Keith Jarrett, que la violoniste Eleanora Turovsky a déjà admirablement interprétée en concert avec l’ensemble. En soi, le fait d’enregistrer des Canadiens sous un label européen est déjà un exploit. Mais c’est la sensibilité très particulière de Yuli Turovsky à l’égard de ce type de musique qui confère tout son intérêt à ce disque au caractère fortement élégiaque. L’intensité que transmet le chef à ses musiciens y est palpable. On y admire également un sens du phrasé exceptionnel. Les solistes – Eleanora Turovsky dans le Jarrett et le saxophoniste David Mott dans le Ellias – font un excellent travail. Les oeuvres programmées sont toutefois d’un intérêt limité, et l’on souhaiterait le talent d’I Musici et de son chef mis au service de compositions plus stimulantes, qui ne manquent pas dans le répertoire local.

Busoni, Concerto en ut majeur pour piano, orchestre et choeur d’hommes, op. 39. Marc-André Hamelin, City of Birmingham Symphony Orchestra, direction Mark Elder. (Hyperion)
En 1996, le pianiste Marc-André Hamelin s’attaquait à une oeuvre qu’il qualifiait alors de «légendaire», le Concerto pour piano, orchestre et choeur d’hommes de Ferruccio Busoni, compositeur italo-allemand du début du siècle. Immense «machine de guerre romantique», l’oeuvre requiert des ressources physiques quasiment illimitées, malgré un rôle parfois secondaire du piano. Peu jouée en concert à cause de ses exigences, son interprétation au Festival de Lanaudière par le pianiste québécois constituait un événement de taille. Trois ans plus tard, Hamelin en produit une version discographique, appelée elle aussi à faire date dans l’histoire du répertoire pianistique. Avec le City of Birmingham Symphony Orchestra sous la direction de Mark Elder, le concerto en huit mouvements, intégrant un choeur de voix d’hommes, a maintenant une interprétation qui deviendra peut-être, à son tour, «légendaire»… La puissance du jeu d’Hamelin, nécessaire à la réussite de cette machine, y est plus que jamais évidente. Le musicien paraît épanoui dans la construction formelle complexe de l’oeuvre, et parfaitement à l’aise dans les circonvolutions du langage de Busoni, qui exigent du pianiste un travail presque surhumain. «J’aime particulièrement les choses qui sont denses, avec des mouvements harmoniques foisonnants, et aussi les pièces qui explorent les possibilités illimitées du piano comme instrument orchestral», confiait Hamelin en 1996. On peut en juger d’après le plaisir apparent de l’interprète tout au long de cet enregistrement d’une durée de 70 minutes. Grande qualité de l’enregistrement par rapport au concert: le piano y est plus audible, moins perdu dans la masse orchestrale. La complicité d’Hamelin et du chef Mark Elder est remarquable, et l’orchestre accomplit un très beau travail de précision et de transparence facilitant l’approche de ce concerto gigantesque.

Joseph Bodin de Boismortier, Sérénades chez Marie Leczinska. Le Concert spirituel, Hervé Niquet. (Naxos, région Lorraine)
L’image qu’on nous a laissée du compositeur français Joseph Bodin de Boismortier (1689-1755), contemporain presque exact de Bach, diffère on ne peut plus de celle des compositeurs romantiques accouchant dans la douleur et vivant dans l’indigence. Si certains ont dénigré Boismortier de son vivant, c’est à cause de l’abondance de sa production et de sa grande capacité d’adaptation, qui en ont fait un compositeur riche et reconnu là où il le fallait.

C’est afin de nous faire découvrir plusieurs aspects de cette oeuvre que le Concert spirituel nous présente cet album, qui se veut un florilège. Les deux disques nous offrent un tour d’horizon (restreint, certes) de la production instrumentale de Boismortier, grâce à des Sérénades françaises et à des Suites pour clavecin et pour flûte traversière – ces dernières interprétées par la claveciniste Béatrice Martin, la flûtiste Anne Savignat et la gambiste Christine Plubeau. Tout au long de ces deux disques, on est frappé par la grande variété de timbres et de formes utilisés pas le compositeur qui, s’il a beaucoup écrit, a su explorer différents genres et ne pas limiter son style. Les musiciens y sont absolument excellents et le Concert spirituel nous mène par moments au bord de la jubilation, par la richesse des timbres et le dynamisme de ses interprétations. Coloré.