Lulu, le chant souterrain : Voix du futur
Musique

Lulu, le chant souterrain : Voix du futur

Le techno sort des discothèques: Alain Thibault, compositeur, signe un opéra techno, Lulu, le chant souterrain, créé par Chants libres à l’occasion de son 10e anniversaire.

Le compositeur Alain Thibault pensait à Lulu depuis 1992. Ce personnage mythique de femme fatale, apparu sous la plume de Frank Wedekind en 1901, a inspiré au musicien québécois un opéra techno, Lulu, le chant souterrain, qui sera créé prochainement par Chants libres.

Opéra techno: qu’est-ce à dire? «Dans ma musique, explique Thibault, je suis toujours allé chercher des éléments de langage associés à une culture de masse pour les intégrer dans un contexte culturel. Dans Lulu, j’ai voulu mixer le techno avec la voix d’opéra, mais ce n’est pas la mode qui a conditionné mon choix: c’est une musique que j’ai appris à aimer, à apprécier. Il y a une culture techno qu’il faut connaître, et pour moi, c’est important de savoir ce qui se passe dans la rue afin de faire des oeuvres très ancrées dans le moment présent.»

Afin de nous faire voguer du sublime au vulgaire – une expression qu’Alain Thibault a empruntée à Henry Miller -, le compositeur crée toujours une musique de contrastes, tributaire des nouvelles technologies, de la tradition classique et des influences populaires. Dans Lulu, la rencontre de l’humain et de la machine est déterminante. D’un côté, la voix de la soprano Pauline Vaillancourt qui assurera la partie chantée (et celle, parlée, du comédien Paul Savoie); de l’autre, de la musique sur bande, donc produite par des machines. Le travail de mise en scène fait par Wajdi Mouawad exploite lui aussi cette piste créatrice. «Nous avons un peu la même vision de l’oeuvre, les mêmes références cinématographiques nous inspirent, rapporte Alain Thibault, parlant de sa relation avec Mouawad: Lost Highway de David Lynch, et Crash de David Cronenberg notamment, qui explore le rapport de la sexualité avec la technologie.» On est loin ici de Ne blâmez jamais les Bédouins, une oeuvre d’Alain Thibault et René-Daniel Dubois, première production de Chants libres, et qui présentait une Pauline Vaillancourt entièrement a cappella du début à la fin de l’opéra! «Lulu n’a rien à voir avec Les Bédouins!» confirme d’ailleurs Thibault.

Femme d’exception
Lulu, le chant souterrain ne doit que peu à Wedekind – si ce n’est la création du personnage -, et encore moins à l’opéra d’Alban Berg. Tant le librettiste Yan Muckle que le compositeur ont pris leurs distances vis-à-vis de ces références créatrices qui ont marqué le XXe siècle. «Au départ, confie Alain Thibault, je voulais travailler à partir de certains motifs. J’ai lu beaucoup d’analyses de l’opéra de Berg, mais finalement, tout ça a pris le bord.» Et sur le plan de l’émotion, le compositeur viennois a-t-il laissé sa marque? «Pas vraiment, non.» Le livret aussi actualise le personnage de Lulu. La femme telle que vue par Wedekind au début du siècle et la femme telle qu’elle est maintenant sont évidemment bien différentes. La magie du personnage est qu’il représente un archétype, tel Don Juan, qui peut être vu par différents yeux et à différentes époques sans perdre ses caractéristiques fondamentales — pensons par exemple à la mise en scène de Don Giovanni de Mozart par Peter Sellars. Le titre, très évocateur, a inspiré le compositeur. Le chant souterrain, dans l’imagination de chacun, peut signifier des choses différentes. Mais il m’a amené, en tout cas, à travailler avec des basses très profondes.»

La relation entre un homme et une femme, ce qu’elle comporte de mystère, de non-dit, de jeu de pouvoir et de désir, émet elle aussi un chant souterrain, qu’on veut bien entendre ou nier. Lulu n’est pas un personnage léger et transparent. Elle traîne dans son sillage la cruauté du désir, la possession, la destruction. «Quand nous sommes entrés dans la salle, je suis allé écouter la musique, témoigne Alain Thibault. Sans penser que c’était moi qui l’avais écrite, j’ai été pris par une étrange émotion, parce qu’il y a un côté très sombre à tout ça. Le techno, au départ, c’est quelque chose de positif, de joyeux, d’un peu peace and love. Mais ça comporte aussi un côté dark et je l’ai exploité dans Lulu. En entendant ma musique dans l’espace de la salle, j’ai ressenti une sorte d’angoisse, qui va avec le personnage. C’est le genre de choses qui m’inspirent beaucoup.»

Lulu, le chant souterrain est une coprésentation de Chants libres et de l’Association pour la création et la recherche électroacoustique du Québec, dont le directeur artistique est Alain Thibault. La scénographie est l’oeuvre de David Gaucher, les éclairages – très importants – sont d’Axel Morgenthaler et les costumes, de Liz Vandal.

Les 10, 11, 12, 15, 16 et 19 février 2000
À l’Usine C

Rouge de Vinci, une toute nouvelle création de l’ensemble Tuyo
Le plus récent spectacle de l’ensemble Tuyo, Rouge de Vinci, s’inspire de l’esprit d’invention de Léonard de Vinci, ingénieur et même musicien à ses heures. Rien de nouveau pour Tuyo, direz-vous, puisque le groupe a toujours évolué au rythme de ses instruments inventés, recherchant sans cesse de nouvelles avenues sonores à explorer. Peut-être, alors, serait-il plus juste de parler de rencontre? Rencontre entre la créativité d’un Vinci et celle, inépuisable également, du directeur artistique de Tuyo, Carol Bergeron? «En fait, je me suis intéressé au personnage pour mieux m’en éloigner, précise Bergeron. Léonard de Vinci a conçu des instruments qu’il n’a jamais vraiment construits – première différence. Il essayait de créer des mécanismes pour que certains instruments puissent jouer le plus vite possible, des machines musicales qui auraient fait en sorte que l’humain soit un superhumain. Sans dire que je suis totalement à l’opposé de ça, je dirais qu’avec Tuyo, l’instrument cherche plutôt à faire bouger le musicien au maximum.»

Dans Ancienne Modernité, le précédent spectacle de l’ensemble, on avait pu constater le grand souci gestuel de Carol Bergeron, le besoin de mettre la musique en scène, et la parenté des instrumentistes de Tuyo avec les danseurs. Dans Rouge de Vinci, c’est la grandeur de la Renaissance italienne, sa magnificence, qui a guidé le directeur artistique dans ses choix instrumentaux. «Il y a une espèce de grandiloquence à aller chercher dans cette époque-là, mais sans la mimer. Je l’ai évoquée en utilisant des instruments qui suscitent des gestes d’amplitude exagérée.» S’il a quand même reconstitué certains instruments pensés par Léonard, Bergeron a préféré préserver l’aspect visuel du spectacle. «Je me suis rendu compte que faire un spectacle en mettant en scène des machines, ça ne m’intéressait pas du tout. Il va peut-être y en avoir, je n’en suis pas sûr encore, mais c’est certain que si elles sont là, elles vont jouer beaucoup moins vite que nous! Autant les machines de Vinci essayaient d’aller rapidement, autant celles que j’ai construites vont aller lentement…»

Son et lumière
À l’instar d’un de Vinci, Carol Bergeron a, lui aussi, de multiples inventions non abouties dans son local. «Il faut dire que Tuyo est de moins en moins un groupe d’instruments inventés. Le gamelan devient assez défini et je ne mettrai pas nécessairement quelque chose de nouveau sur scène simplement parce que c’est une invention. Musicalement, ce n’est pas intéressant.» Pourtant, seulement la moitié des instruments utilisés dans Ancienne Modernité se retrouvent dans Rouge de Vinci. « C’est vrai, mais parfois les nouveaux ne sont que des excroissances d’anciens instruments. Je fonctionne beaucoup en échangeant avec les compositeurs et, parfois, ils vont me dire, pour un arrangement ou une composition, ici ça me prendrait une quinte de plus, par exemple. Alors j’essaie, sans jamais être sûr que ça va fonctionner!» On pourra quand même faire très prochainement la connaissance de «Moby Dick», un des petits derniers de Bergeron…

Les compositeurs qui ont oeuvré à Rouge de Vinci sont pour la plupart québécois. Carol Bergeron, Clermont Bouliane, Benoît Brodeur, Jean Derome, Bill Frisell, Michel Gonneville, René Lussier, Thelonious Monk, Charles Papasoff, Anthony Rozankovic et Louis Sclavis ont signé des pièces de styles très différents. «C’est une sorte de centre d’achat de la musique. Il y a de tout, avec plus de jazz et d’improvisation que dans le précédent spectacle.»

Côté visuel, le titre nous donne déjà une piste. Mais attention: le décor sera blanc, de même que les vêtements des instrumentistes. Des extraits de films d’animation de Pierre Hébert, de l’ONF, et des dessins de Léonard de Vinci apparaîtront sur ce fond neutre. «Le rouge, le fuchsia et le rose sont pour moi les couleurs de la Renaissance italienne. Léonard s’habillait en rose! Alors je suis allé dans la couleur. Les films projetés ont des images très colorées, souvent rouges. Hébert travaille avec clarté et précision. Ses couleurs sont franches. L’éclairage est moins sophistiqué que dans d’autres productions parce que je voulais mettre plus de temps sur la musique, mais aussi parce que je veux de plus en plus me servir des films comme éclairage.»

Autant Ancienne Modernité jouait sur le noir et le blanc, autant Rouge de Vinci, nous annonce Carol Bergeron, éclatera de couleurs vives. La mise en scène est signée Carl Béchard; les chorégraphies, Louise Lussier, et les costumes, Caroline Mercier.

Les 9 et 10 février, salle Pierre-Mercure
du Centre Pierre-Péladeau, 20 h
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