Ensemble Anonymus : L'enfance de l'art
Musique

Ensemble Anonymus : L’enfance de l’art

L’Ensemble Anonymus présente un spectacle consacré à Guillaume de Machaut, figure importante de la musique et de la composition, né il y a sept cents ans. CLAUDE BERNATCHEZ, directeur artistique de l’Ensemble, nous présente l’homme et l’oeuvre.

Peu d’oeuvres ont autant marqué l’histoire de la musique que la Messe de Nostre Dame de Guillaume de Machaut (1300-1377). En cette année du 700e anniversaire de naissance du compositeur et homme de lettres français, le musée new-yorkais The Cloisters a demandé à l’ensemble québécois Anonymus de présenter cette oeuvre majeure du XIVe siècle.

Les publics de Québec et de Montréal ne seront pas en reste. Les 9 et 10 mars, Anonymus sera respectivement dans les deux villes pour un concert tout Machaut, comprenant la Messe. Claude Bernatchez, directeur artistique de l’Ensemble, a voulu habiller l’oeuvre d’éléments profanes afin de la faire entrer en résonance avec l’atmosphère particulière du concert. «Le principal problème, analyse Bernatchez, est que la Messe n’est pas faite pour être donnée en concert. Cette notion n’existait pas comme telle à l’époque, il fallait donc un apport artistique extérieur pour créer un contexte favorable. C’est pour ça qu’il s’agit plutôt d’un portrait de Machaut que de la reconstitution d’un office religieux.»

Naissance du compositeur
Le programme de ce concert Machaut comprend, entrelacés aux six parties de la Messe chantée a cappella, des oeuvres instrumentales et vocales: motets, ballades, rondeaux et virelais. Pour les parties vocales, l’ensemble québécois s’est adjoint les chanteurs Robert Huard et Richard Duguay. Au sein de la formation de base d’Anonymus, Claude Bernatchez et Guy Ross chanteront en plus de jouer respectivement des percussions et du luth, alors que Lucie Brosseau jouera de la vièle et Pierre Langevin de la cornemuse, des flûtes et du chalumeau. «Les oeuvres choisies ont été écrites à la même époque que la Messe, vers la fin de la vie de Machaut, précise le directeur artistique, qui signe aussi les arrangements. Ce sont en quelque sorte des oeuvres satellites, parce qu’on ne pouvait vraiment pas mettre n’importe quoi à côté des résonances de ce monument de l’histoire de la musique.» Par rapport au dernier spectacle de l’Ensemble, Inventio, celui-ci, baptisé simplement Guillaume de Machaut, a demandé moins de travail d’élaboration, puisqu’il s’agit plutôt d’une collection de pièces articulée autour d’une oeuvre maîtresse que d’une construction formelle élaborée à partir d’oeuvres de différentes sources.

La musique de Machaut est cependant très difficile à interpréter, et Claude Bernatchez ne s’en cache pas. Figure centrale du mouvement Ars Nova qui a habité le coeur du XIVe siècle musical, le compositeur a écrit une musique très élaborée rythmiquement, d’une précision d’écriture inhabituelle pour l’époque, richement ornée à la manière de l’architecture gothique, dont elle est contemporaine. Et ce, sans parler de la poésie pénétrante qui s’en dégage, semblable à un parfum entêtant dont le souvenir ne nous quitte plus même après sa disparition dans l’atmosphère. «Machaut est un des créateurs qui a fait que l’écriture musicale est devenue un métier, rapporte Claude Bernatchez. Avant lui, la musique se composait surtout par la pratique. Les oeuvres s’élaboraient par l’interprétation et on les notait quand elles arrivaient à maturité. L’outil qu’est l’écriture permet au contraire de jongler avec une certaine abstraction. C’est Machaut, le premier, qui a prouvé que c’était possible. Il a introduit la notion de compositeur, c’est-à-dire d’un musicien de métier qui, avec son talent et son expérience, est capable de se pencher sur une feuille blanche et de se servir de l’outil qu’est l’écriture pour concrétiser un projet et faire en sorte qu’une oeuvre existe, avec toutes ses dimensions, sur le papier.»

Moderne attitude
On comprendra pourquoi le compositeur français, déjà grandement admiré de ses contemporains, a eu un tel impact sur les créateurs des générations suivantes, et jusqu’à aujourd’hui, près de sept siècles plus tard… En cette année anniversaire de Bach, il ne faudrait surtout pas oublier l’apport très important de Machaut. «C’était le Bach de son temps, appuie justement Bernatchez. Quand on déconstruit un peu la Messe de Nostre Dame, on constate que tous les procédés compositionnels qu’il y a là-dedans, Bach les a amplement utilisés. Les compositeurs de l’école de Vienne – Berg, Schoenberg, Webern – l’ont fait eux aussi, de façon encore plus évidente. C’est incroyable de voir que la modernité qu’il y a dans cette oeuvre est encore si sensible aujourd’hui.» Plus près de nous, le compositeur Gilles Tremblay est lui aussi un fervent admirateur de Machaut…

Anonymus donnera son spectacle Guillaume de Machaut à New York, le 12 mars, dans le cadre de la série Concert at The Cloisters, et les 9 et 10 juin au Berkeley Early Music Festival. La représentation montréalaise aura lieu à la salle Pierre-Mercure du Centre Pierre-Péladeau le 10 mars. Il est à noter que l’entrée est libre, avec contribution volontaire, une nouvelle formule qu’Anonymus emploie avec succès. «C’est un rapport de confiance que nous établissons avec le public, qui nous permet de passer outre à l’aspect promotion et vente de billets, toujours très lourd pour un organisme musical. On s’est aperçus que ça donnait un résultat satisfaisant et qu’on avait deux fois plus de monde à nos concerts. De toute façon, pour arriver à percer le bruit médiatique avec des produits culturels de qualité, il faudrait dépenser plus d’argent que ce que nous gagnons!»

Parole digne du MAL! (Le Mouvement des arts et des lettres, groupe de pression dénonçant la situation précaire des conditions de création au Québec.)

Rien à Voir 7
La série Rien à Voir en est à sa septième édition. Comme à l’accoutumée, elle nous présente une programmation riche et foisonnante répartie sur quatre jours, avec neuf événements diffusés par un orchestre de 35 haut-parleurs, et quatre compositeurs invités. Le Montréalais Louis Dufort, le Torontois John Oswald, la Britannique Natasha Barrett et le Français Jean-Claude Risset nous feront découvrir plusieurs aspects de la musique électroacoustique qui se crée aujourd’hui à travers le monde, grâce à Réseaux. Chaque soirée, consacrée à un des quatre invités, comprend deux concerts: un premier donnant carte blanche au compositeur – qui y présente des oeuvres de son choix, l’ayant particulièrement marqué -, le second présentant ses propres oeuvres (19 h et 21 h). Le samedi, un concert à 17 h permettra d’entendre les oeuvres de nos jeunes créateurs en électro. Rien à Voir est maintenant domiciliée au complexe Ex-Centris. Du mercredi 8 au samedi 11 mars.

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