Urbain Desbois : Agent double
Musique

Urbain Desbois : Agent double

À la fois rat des villes et rat des champs, Urbain Desbois est un drôle de personnage, qui vit à merveille ses nombreuses contradictions. Rencontre avec le justicier de la chanson.

On pourrait le croire schizophrène, mais Urbain Desbois vit plutôt bien sa crise d’identité. Créature bicéphale, l’homme garde en permanence un pied dans une épluchette de blé d’Inde campagnarde, et l’autre dans un bar de la rue Ontario. Et c’est très bien ainsi. Sans cette dichotomie, il n’aurait peut-être pas accouché de ce charmant premier disque, intitulé Ma maison travaille plus que moi.
«On a fait la préproduction du disque à la maison, à Gould (bled de l’Estrie, situé à un jet de pierre de la frontière américaine), explique notre héros. Là-bas, c’est le bois; y a pas de dépanneur au coin de la rue. Pendant deux semaines, on n’a fait que de la musique. On se levait le matin, on jouait; on mangeait, on rejouait; on remangeait et on rejouait encore. Lorsqu’on est revenus en ville, pour le travail de studio, on a enregistré le plus vite possible, sans overdubs ni gros travail de studio.»
Ma maison travaille plus que moi est en effet une leçon de simplicité. Enregistré en janvier, le disque est arrivé sur les tablettes en février. À ce sujet, Urbain ne tarit pas d’éloges à l’endroit des méthodes de La Tribu, sa compagnie de disques, qui s’occupe également de WD-40 et de Gros Mené. «Dans la production comme dans la promotion, les gens qui s’occupent de moi n’essaient pas de farcir la dinde et de rendre ça plus intéressant que ça ne l’est vraiment. C’est servi nature, sans accompagnements ni fioritures.»
Rapidité d’exécution ne signifie pas nécessairement absence de réflexion. Tels des haïkus, que le poète peut coucher sur papier en quelques secondes après avoir médité pendant de longues années, certaines des chansons, en apparence simplettes, de ce premier disque ont mûri pendant toute une décennie. Au début des années quatre-vingt-dix, Urbain présente ses premières «chansons naïves» au cours d’événements plus ou moins confidentiels. Quelques rares privilégiés ont en leur possession l’une ou l’autre des deux cassettes enregistrées à cette époque: Ma maison travaille plus que moi (1993 et Méchants Sons: mes meilleures (1994).
Pourquoi avoir attendu si longtemps avant de graver un disque? «J’attendais le bon moment, dit-il. En fait, au cours des cinq dernières années, je n’étais pas très compétitif; on pourrait même dire paresseux. Si j’ai finalement fait un disque, c’est un peu un concours de circonstances, mais je suis vraiment content de l’avoir fait. En reprenant le titre de ma première cassette, ainsi que quelques chansons de cette époque, c’est comme si j’avais appuyé sur le bouton reset, que j’avais mis ça derrière moi. Maintenant, je peux me consacrer à du nouveau matériel et je pense déjà à sortir un autre disque d’ici un an.»
On ne sait si les nouvelles compositions seront de la même eau que la vingtaine de courtes pièces que l’on retrouve sur Ma maison…, mais on peut le souhaiter. Desbois y expose une langue ludique et poétique, qui sait s’amuser avec le plus banal (Le Pain, Les Pépins) ou évoquer des sujets plus graves comme sur La Folie ou La Pologne. «C’est drôle, parce que lorsque j’ai écrit cette chanson (La Pologne), elle était complètement ironique. Au fil des ans, j’ai abandonné le ton sarcastique du début et c’est devenu une chanson sérieuse.»
Entouré de musiciens fort compétents, dont Patrick Hamilton (basse, guitares et autres), Priscille Gendron (accordéon et piano, remplacée sur scène par Jonathan Audet) et Nicolas Letarte (percussions diverses et scie musicale), il s’amuse dans une sorte de chanson déjantée qui a des airs de croisement entre Tom Waits et Pascal Comelade. L’album compte aussi quelques musiciens invités, au nombre desquels on retrouve le multi-instrumentiste Luc Bonin, qui n’est nul autre qu’Urbain Desbois lui-même. Enfin, c’est peut-être le contraire… «Comme Luc Bonin joue avec des grands noms de la musique, j’ai pensé que ce serait bon pour Urbain de l’avoir sur son disque», explique en rigolant Luc/Urbain.
«Avec Urbain Desbois, je voulais imposer un personnage, une mythologie, poursuit Luc. C’est pouquoi je ne voulais pas qu’on mette ma photo sur le disque. Mais c’est difficile d’imposer le personnage: on me démasque souvent! (Désolé…) Lorsque je travaillais avec la gang des actualistes, ou avec Rhythm Activism, j’étais Luc; et pour mes chansons, j’étais Urbain. Je me sens un peu comme ces gens qui reçoivent deux chèques de B.S.»
Maintenant qu’on l’a démasqué, on ne peut s’empêcher de lui poser la grande question: d’où vient Urbain Desbois? «C’est un surnom qu’on m’a donné il y a une dizaine d’années, répond Luc. Même si je suis à la base un gars de ville, j’ai toujours eu un pied-à-terre à la campagne. Je débarquais au Cheval Blanc – qui a été mon deuxième salon pendant longtemps – avec un manteau qui sentait le feu de camp, alors j’ai hérité de ce surnom. J’aime bien la campagne, mais en ce moment, je me cherche un chalet à Montréal; avec un lac, si possible.»

Le 31 mars et le 1er avril
Au Cabaret
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