Bourges Live : Printemps de Bourges
Musique

Bourges Live : Printemps de Bourges

Le Printemps a décidé de revenir à sa vocation de représentant des nouvelles tendances, et celles-ci, du dub à l’électro, en passant par le rock d’avant-garde et les fusions ethniques, étaient fort bien représentées.

Printemps de Bourges

Du 19 au 24 avril
Bourges, France

Fidèle à sa promesse de revamper le Printemps, aux prises avec de graves problèmes de financement et de direction artistique, le grand manitou de l’événement, Daniel Colling, a proposé une affiche éclatée, allumée, et populaire à la fois, puisque plus de cinquante mille places de concert auraient été vendues.
Le Printemps a décidé de revenir à sa vocation de représentant des nouvelles tendances, et celles-ci, du dub à l’électro, en passant par le rock d’avant-garde et les fusions ethniques, étaient fort bien représentées. Mais on n’a pas exclu les vedettes; ainsi, les Alain Souchon, Lou Reed, Cheb Mami et Louise Attaque étaient aussi de la partie.
Ces derniers ont d’ailleurs donné le véritable coup d’envoi du Printemps, en compagnie de Dionysos, excellent jeune groupe français dans la lignée des Little Rabbits. Malgré une jambe cassée, le chanteur Matthias s’est démené comme un diable dans l’eau bénite, beuglant dans un téléphone des paroles pas toujours audibles, en raison d’une sono approximative. Lorsque Louise Attaque a pris d’assaut la scène de l’immense chapiteau de L’Igloo, on a compris pourquoi il s’agit du groupe rock le plus populaire en France en ce moment. Bien qu’un brin répétitives, leurs mélodies accrocheuses ont eu tôt fait de gagner les milliers de spectateurs, qui reprenaient en choeur les paroles de presque toutes les chansons.
Le lendemain, dans une salle plus modeste, on a pu découvrir le visage de rocker de l’écrivain Michel Houellebecq. Enfin, rocker est un bien grand mot: s’il chante et bouge comme un écrivain, c’est probablement parce que c’est exactement ce qu’il est. On attendra le disque avant de se prononcer définitivement, mais sur scène, l’auteur des Particules élémentaires n’a rien d’un grand entertainer et sa poésie était carrément inaudible sous les riffs de son groupe. Autour de Lucie, autrefois défenseur d’une pop sucrée et mélancolique dgne de Françoise Hardy, s’est avancé à tâtons dans les eaux plus troubles du trip-hop, entouré d’une armée de machines. Avec une certaine gravité, la chanteuse Valérie Leuillot a débité presque toutes les pièces de leur excellent nouvel album, Faux Mouvement, qui devrait paraître chez nous à l’automne, négligeant les chansons de leurs albums précédents.
Toujours du côté pop, Day One, véritable révélation de l’année en Europe, n’a disposé que d’une petite demi-heure pour prouver qu’il était plus qu’un groupe de studio: avec un show plutôt rock, la signature-vedette du label Melankolic nous a bien rassurés. Sorti des limbes, Elastica s’est présenté sans prétention, comme un groupe de covers new wave, et nous a laissé le souvenir de la toujours sexy et de plus en plus trash Justine Frischmann. Les excellents Gomez, qu’on croyait d’abord sortis du delta du Mississippi, ont retrouvé leurs racines britanniques avec un son plus près de Manchester que des States. Dans une salle qui avait des airs de sauna, Yo La Tengo a présenté les compositions introspectives et nocturnes de son fabuleux dernier disque, And Then Nothing Turned Itself Inside Out. Malheureusement, ce n’est pas le genre de concert que l’on peut apprécier dans des conditions de festival. On les reverrait bien au Cabaret, par contre. Dans un tout autre registre, le concert, très attendu, d’Anna Karina et de Katerine avait tout du rendez-vous manqué. Bien que Katerine lui ait composé de jolies ritournelles, l’ex-actrice fétiche de Godard n’avait visiblement plus la voix pour les transmettre au public, et ses minauderies de jeune fille ne l’ont aidée en rien. Quelques jolis échanges entre les deux K, notamment sur Jamais je ne t’ai dit que je t’aimerais toujours, oh mon amour, de Rezvani, ont toutefois mis un baume sur nos oreilles éprouvées.
Il y a eu aussi du gros rock sale, à Bourges, avec des groupes comme Alabama Thunder Pussy ou Boss Hog, «le groupe le plus sexy du rock», claironnaient tous les journaux hexagonaux. On rtiendra surtout la performance complètement survoltée des Ramones japonais de Thee Michelle Gun Elephant, qui ont donné une leçon de punk-rock carré façon seventies à un auditoire carrément sidéré. Les New Bomb Turks ont aussi foutu le feu, grâce à leur chanteur, toujours aussi démentiel. Le père de tous ces déjantés, le grand Lou Reed, se présentait avec plus de réserve et à guichets fermés au théâtre de La Hune, devant un public qui fut rassasié par un concert de plus de deux heures, clôturé par les incontournables Vicious et Sweet Jane.
La soirée funk visait à réunir les différents pôles du genre: les Français de Demon ne se sont jamais pointés, mais l’ancêtre Roy Ayers a montré à tout le monde comment ça se passait à la belle époque de James Brown. Beaucoup de solos inutiles, mais un show efficace. Romanthony, adulé et présenté comme le sauveur de la house, aurait dû en prendre de la graine. Outrageusement comparé à Prince, l’homme a donné un spectacle répétitif, ennuyeux et sans vie. Idem pour Superfunk, qui, malgré sa bonne volonté, aurait été plus à l’aise à Bouge de là que dans le grand centre sportif de Bourges. Le ska français s’est exposé avec les punkisants La Ruda Salska, plutôt efficaces, mais pas autant que leurs potes de Marcel et son orchestre, absolument délirants dans leurs costumes de carnaval. Malgré la fulgurante ascension du dub et de ses dérivés (le succès de Smith & Mighty l’a confirmé), le hip-hop n’est pas mort en France; et les représentants de la troisième vague ont fait bonne figure. Le Saïan Supa Crew a donné le ton avec une performance sans tables tournantes, accessoire inutile pour un groupe qui dispose de beat-boxe et de platines «humaines». Plus lourds, les rappeurs hardcore de La Brigade ont refroidi l’atmosphère, que 113 a toutefois vite fait remonter vers les sommets.
Le Réseau découvertes, élément indispensable du Printemps, nous permet chaque année de prendre le pouls des musiques émergentes, de France et d’ailleurs. Les organisateurs du Printems se vantent, à juste titre, d’y avoir accueilli avant tout le monde des artistes aujourd’hui reconnus (dont notre belle Lhasa), et entretiennent une certaine fidélité envers ceux-ci. Ce fut notamment le cas des Belges Venus (Découverte 1999), présentés cette année en tête d’affiche en compagnie de leurs compatriotes de Soulwax. C’est à Mara Tremblay que revenait la tâche de représenter l’antenne Québec cette année, et notre chanteuse country-trash préférée nous a fait honneur. Malgré une toute petite demi-heure de prestation à trois heures de l’après-midi, elle a attiré quelques centaines de curieux à La Hune pour une performance électrique (avec Fred Fortin… à la batterie!) qui a poussé le journal local, Le Berry Républicain, à déclarer: «Reste là, Mara, encore un peu, tabernacle!» Mais la dame ne pouvait rester, puisqu’une semaine de concerts l’attendait au Sentier des Halles, à Paris. Le Réseau récompense chaque année ses meilleurs espoirs, et c’est le Belge Daniel Hélin, pour qui l’étiquette «découverte» est presque insultante, qui a gagné le prix bien mérité dans la catégorie chanson. Mais le groupe que l’on retiendra surtout fut Cosmik Connection, qui a remporté la palme dans la catégorie musiques électroniques, avec une hallucinante mixture live de drum’n’bass, dub et techno, coiffant au poteau une autre bande de fanas de dub, les excellents Ezekiel. À notre grande joie, le groupe d’Île-de-France nous rendra visite dans le cadre du MEG au mois de juin. Courez-y, il faut absolument voir ce batteur fou sur scène…
On gardera de cette vingt-quatrième édition du Printemps le souvenir d’une fête réussie. Avec des affiches variées et éclatées (L7, Titan et Cypress Hill dans le même show, faut le faire!), des partys mémorables (Sergent Garcia, qu’on a malheureusement manqué, Ska P, le génial Brésilien Lenine et l‘Orchestre National de Barbès), et un tas de découvertes, la petite ville du Berry peut encore aujourd’hui s’enorgueillir de posséder l’un des plus grands t des plus beaux festivals de musique populaire d’Europe.