Elliott Smith : Glace sèche
Musique

Elliott Smith : Glace sèche

Elliott Smith , on le savait, n’aime pas beaucoup parler de lui. En fait, les interviews sont pour lui un mal à peine nécessaire, une obligation tributaire d’une popularité qu’il n’arrive toujours pas à comprendre, et encore moins à accepter. Si, sur disque, sa voix semble insensible aux lois de la gravité, lorsque vient le temps d’affronter les journalistes, elle s’enfonce six pieds sous terre.

Elliott Smith

, on le savait, n’aime pas beaucoup parler de lui. En fait, les interviews sont pour lui un mal à peine nécessaire, une obligation tributaire d’une popularité qu’il n’arrive toujours pas à comprendre, et encore moins à accepter. Si, sur disque, sa voix semble insensible aux lois de la gravité, lorsque vient le temps d’affronter les journalistes, elle s’enfonce six pieds sous terre. Hésitantes, timides et presque inaudibles, ses réponses sont aussi vagues que ses chansons sont limpides. «C’est vrai, je n’aime pas parler de moi, mais ce que je déteste par-dessus tout, c’est répéter les mêmes choses. Règle générale, les interviews se passent toujours de la même façon: j’ai au bout du fil quelqu’un qui essaie de me convaincre que je suis un chanteur folk porté sur l’intériorité et la confession, et je dois me défendre. Plus je m’oppose, plus les gens insistent.» On imagine la frustration du chanteur, d’autant que Smith n’est pas du genre que l’on range aisément dans un tiroir précis. S’il nous a livré quelques plages magnifiques de folk intimiste (notamment sur le brillant Either/Or), il est aussi capable de grands moments de pop orchestrale purement beatlesque, qui fleurissent çà et là sur son récent Figure 8. «Bien sûr, j’adore les arrangements que George Martin a faits pour les Beatles, bien que je n’oserais jamais comparer ce que j’ai fait à son oeuvre…»
Il consentira à expliquer que le titre de son plus récent disque lui fut inspiré par ces boucles en huit répétées ad infinitum par les adeptes de patinage artistique. «J’adore ce genre de geste qui n’existe que pour et par lui-même, dit-il. Ces efforts inlassables vers la beauté absolue, une beauté qui n’a besoin du regard de personne pour exister, me touchent beaucoup.»
De là à en déduire qu’il s’agit d’une métaphore pour illustrer son rôle d’ouvrier de la chanson, remettant vingt fois l’ouvrage sur le métier, il n’y a qu’un pas, qu’on ne peut s’empêcher de franchir. «Je pense que le fait d’avoir choisi cetitre est assez explicite en soi, non?» Bien vu. Si l’on se contentera aisément de cette réponse en guise d’explication, le titre de travail de l’album, Place Pigalle, mérite quant à lui quelques précisions. «J’ai passé quelques semaines à Paris et j’avais deux ou trois morceaux qui parlaient de la place Pigalle, mais comme je ne les ai pas gardés pour l’album, je trouvais ridicule de conserver ce titre.» Du reste, Smith écrit des chansons qui se passent très bien de références culturelles ou géographiques, bien qu’on puisse déceler des traces de New York ou Los Angeles, ses deux ports d’attache, au détour de quelques textes. Règle générale, ses «petits films fragmentés», comme il les appelle, semblent exister en marge du monde, flottant en un ensemble parfaitement cohérent mais détachés de tout courant de mode. «Je ne pense jamais en termes de singles. Lorsque vient le temps de monter l’album, j’ai toujours quatre ou cinq chansons qui me plaisent vraiment, et tout le reste est une affaire d’agencement: je choisis des pièces qui s’imbriquent bien les unes dans les autres et j’essaie de faire un truc qui se tienne.» Ainsi soudées les unes aux autres, les chansons de Smith n’ont besoin de rien ni de personne: ni des arrangements somptueux de Figure 8, ni du public sans cesse croissant qui les attend avec impatience. «Parfois, je me dis qu’il vaudrait mieux revenir à l’intimité de mes débuts, enregistrer sur huit pistes des petites chansons anonymes tout seul dans mon sous-sol. Comme ça je n’aurais pas à passer des journées entières à me justifier.»

Le 22 mai
Au Spectrum

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