Bebel Gilberto : La fille d'Ipanema
Musique

Bebel Gilberto : La fille d’Ipanema

On n’aura jamais tant parlé de la musique brésilienne qu’en cette cinq centième année de présence portugaise en Amérique du Sud. Au cours des dernières années, la musique du Brésil a pu compter sur de nombreux ambassadeurs: de l’infatigable David Byrne aux électroniciens férus de percussions de Bahia, en passant par Beck, qui signait, sur Mutations, une bossa intitulée Tropicalia. Samba, bossa, tropicalia, batucada… chaque région de cet immense territoire possède des dizaines d’idiomes musicaux distincts. Les artistes présents au Festival cette année représentent d’ailleurs très bien la diversité des cultures qui composent le paysage musical du Brésil. De Timbalada, fiers représentants de la musique de carnaval du Nordeste, à Lenine, l’une des voix les plus marquantes de la Musica popular brasilera (MPB) post-tropicaliste, en passant par la chanson langoureuse de Marcio Faraco, la bossa nouveau genre de Bebel Gilberto et les métissages électroniques du collectif Bossa très… jazz, c’est à une véritable orgie pour les sens que nous convient les invités brésiliens du Festival. Boma festa!

Le Festival International de Jazz ne pouvait imaginer meilleure ambassadrice pour souligner en beauté l’anniversaire du Brésil, aujourd’hui cinq fois centenaire. Quelque part entre tradition et modernité, aux confluents de la bossa-nova et de l’électronica, Bebel Gilberto est l’incarnation même du métissage qui fait de la musique brésilienne l’une des plus excitantes au monde. Comme tant d’autres de ses compatriotes avant elle, Bebel a quitté son pays pour mieux y revenir, flirtant avec l’élite musicale internationale avant de renouer avec ses racines, et celles de son illustre famille. Fille de João Gilberto, l’un des musiciens brésiliens les plus importants des cinquante dernières années (il est l’un des créateurs de la bossa-nova), et de la chanteuse Miúcha (l’une des plus grandes voix d’un pays qui en a à revendre), Bebel porte en elle un riche héritage culturel, qui est aussi un fardeau. "Il m’a fallu quitter le Brésil pour travailler, car là-bas, les attentes du public étaient trop grandes: je ne pouvais être autre chose que la fille de mes parents, explique-t-elle, dans un anglais cassé et traînant. Je ne voulais plus du traitement royal que l’on me réservait chez moi; et lorsque je suis arrivée aux États-Unis, j’ai rencontré des gens qui s’intéressaient à moi simplement à cause de ma musique, pas à cause de celle de mon père; ça m’a libérée créativement."
À l’heure où tout le monde semble vouloir devenir brésilien, Bebel Gilberto joue les citoyennes du monde. Établie à Londres, après avoir séjourné à New York, où elle est née, elle change de lieu au gré de ses humeurs et de ses collaborations. "Avec le recul et l’éloignement géographique, j’ai compris que je voulais faire de la musique brésilienne, mais pour le monde entier, lance Bebel. Bien sûr, le Brésil demeurera toujours ma patrie, et j’y retourne très souvent; mais je me sens chez moi partout. Je suis un peu caméléon, du genre à m’adapter très facilement à mon environnement. Je parie que si je reste plus de trois jours à Montréal, je vais finir par me dire montréalaise!"
Au Brésil, Bebel a collaboré à certains albums de figures légendaires, de la trempe de Caetano Veloso ou Chico Buarque, alors qu’à Londres et à New York, son chemin a croisé celui de gens comme Arto Lindsay, Towa Tei, Arling and Cameron et même Kenny G! Mais lorsque vint le moment de coucher sur disque ses propres compositions, c’est à São Paulo que la chanteuse de trente-trois ans est allée enregistrer Tanto Tempo ("Tellement longtemps"), son délicieux premier album. "J’ai fait ça surtout pour des raisons logistiques, explique-t-elle. Je voulais travailler avec Suba (le regretté réalisateur et compositeur d’origine croate malheureusement emporté dans l’incendie de son appartement il y a quelques mois) et plusieurs musiciens brésiliens, et il était tout simplement impensable d’emmener tout ce monde à Londres ou à New York. Ça m’a fait tout drôle d’enregistrer là-bas, parce que je suis une fille de Rio, qui est une ville beaucoup plus relax, avec sa plage et son carnaval. Aller à São Paulo, ça voulait dire travailler sérieusement. Et c’est ce que j’ai fait!"
Installée dans la mégalopole brésilienne, la dame a fait appel à une armée de musiciens d’exception, dont les percussionnistes João Parahyba et Carlinhos Brown, qui ont oeuvré sous la gouverne éclairée de Suba, dont on sent la touche sophistiquée d’un bout à l’autre du disque. De sa voix caressante, elle interprète ses propres compositions et quelques classiques brésiliens, toujours avec une certaine retenue. En témoigne cette version épurée de Sem Contenção, composée par le duo hollandais Arling and Cameron, beaucoup moins électronique que celle que l’on avait découverte sur l’excellente compilation Brasil2Mil. Car bien qu’elle ait collaboré avec des ténors de la musique techno (on retrouve sur Tanto Tempo une musique d’Amon Tobin, ainsi qu’une collaboration avec Thievery Corporation), la bossa nouveau genre de Bebel est exécutée dans le respect absolu de la forme. "Ce n’est pas de la techno-bossa ou quelque chose du genre, insiste-t-elle. Je sais qu’il y a une frontière que je ne peux traverser, parce que je porte en moi le poids d’une certaine tradition. J’ai une vision presque cristallisée de la bossa-nova qui m’impose un certain respect; en fait, je suis assez conservatrice…" À preuve: elle reprend la célèbre Samba de Benção de Vinicius de Moraes et Baden Powell, ainsi que Bananeira, une composition de Gilberto Gil et João Donato, qui est venu jouer lui-même des claviers. " J’étais tellement contente d’avoir pu inviter Donato à jouer sur mon disque; c’était un ami de mon père et je l’ai souvent rencontré lorsque j’étais petite, se souvient Bebel. Il y a tellement de gens avec qui je voudrais faire de la musique: mon père et ma mère, Sade, Nana Vasconcelos… la liste est infinie!"
Si l’on en juge par l’accueil chaleureux réservé à Tanto Tempo, la chanteuse aura tout le loisir de se livrer à de tels duos. En attendant, que pense Bebel de l’engouement actuel pour la musique de son pays natal? "Il était temps! lance-t-elle avec un éclat de rire. Je suis vraiment heureuse d’avoir patienté si longtemps avant de faire mon premier disque, parce que j’ai l’impression que l’on vit une période très fertile en ce moment. La musique brésilienne est tellement riche; j’espère que le monde entier va la découvrir !

Le 9 juillet
Scène Groove Bleue Dry
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