Mano Solo : À mort la mort!
Musique

Mano Solo : À mort la mort!

Il y a un mois, nous avons rencontré MANO SOLO à Paris. L’homme va très bien, la trithérapie lui ayant permis de reprendre une vie à peu près normale. Cependant, il semble de plus en plus clair qu’il souhaite passer à autre chose. Il sera au Spectrum, pour un unique concert à guichets fermés, quelques semaines avant de nous présenter un nouvel album annonciateur d’une renaissance musicale.

La dernière fois que tu es venu à Montréal, compte tenu de ton état de santé d’alors, j’avais l’impression, comme beaucoup d’autres d’ailleurs, que c’était peut-être la dernière fois qu’on te voyait sur scène. Est-ce que c’est une chose à laquelle tu pensais à l’époque?

"Les gens pensent beaucoup trop à ce genre de trucs… Si je faisais attention à ce que pensent les gens, ça me détruirait. Au contraire: moi je suis là pour le montrer, que je reviendrai! Et constamment, je suis là pour dire: "Attendez, les mecs, je reviens." C’est peut-être ça qui fait que je dure…"

Mais après avoir écrit toutes ces chansons aussi profondes et noires sur la vie et surtout sur la mort, qu’est-ce qu’on fait à partir du moment où la santé et l’espoir reviennent?

"On fait un album qui va s’intituler Dehors, qui parle de ma vision des autres, et non plus de ce que je vis. Parce qu’effectivement, je suis beaucoup plus libre dans ma tête que je ne l’ai été pendant des années. Mais maintenant, je n’ai plus envie de parler de mon bilan de santé à tout le monde. C’est casse-couilles à la fin… Je ne suis pas en train de vendre mon bilan de santé… Ce n’est pas ma vie, le Sida. Je suis un être humain, je ne suis pas un sidéen. J’ai le droit d’en sortir de temps en temps."

Mais en même temps, ça fait partie de l’univers que tu as présenté à travers tes chansons, et les gens sont conscients de ce qui t’arrive et ils veulent s’assurer que tout va pour le mieux…

"Le public qui vient à mes concerts ne vient pas voir un mec en sursis; je crois qu’il vient surtout voir un mec qui est vivant."

Pourtant, tu as déjà dit dans une de tes chansons que les gens t’aiment parce que tu meurs à leur place…

"Ça, c’était de la provocation. Je l’ai écrit un jour où j’étais de mauvaise foi; et comme la mauvaise foi fait aussi partie de la vie, je l’ai conservé même si je savais que ce n’était pas vrai. C’était simplement pour dire aux gens que je n’allais pas jouer les James Dean pour eux, faut pas délirer! Au contraire, je suis plus le genre de mec qui va continuer jusqu’à ce que vous n’en puissiez plus… Ma vie, si je l’ai chantée comme ça, c’est qu’elle était représentative d’une époque. Sinon, ma vie, elle a peu d’intérêt; et j’ai toujours essayé de mettre un côté universel dans mes textes pour que tout le monde puisse accrocher à des histoires par lesquelles ils ne sont pas concernés. La terre entière n’est pas concernée par le genre de vie que je peux raconter… Je ne suis pas un militant de LA cause; je suis juste un chanteur réaliste et le Sida faisait partie de ma réalité, voilà tout. Ce n’est pas mon fonds de commerce, ce n’est pas ce que j’ai envie de vendre…"

Tu as l’impression d’être allé au bout de ce que tu avais à dire là-dessus?

"Sans aucun doute. À part peut-être de dénoncer l’attitude des laboratoires pharmaceutiques par rapport aux pays sous-développés. Je veux bien dire que les laboratoires sont des gros enculés qui ne permettent pas aux pays sous-développés de produire leurs médicaments génériques afin de se soigner eux-mêmes à moindre coût! Tout ça, pour des histoires de gros sous… Bientôt, les grands laboratoires pharmaceutiques vont diriger le monde; ils vont décider si tel pays va crever du Sida ou d’une autre maladie simplement pour des questions d’argent… Moi, par exemple, je coûte 9000 francs par mois (2000 $) à la sécurité sociale pour mes médicaments; il n’y a pas un seul pays africain qui ait les moyens de payer ça à ses malades. Il faut faire des pressions parce que ces gens-là meurent par milliers alors que nous, on ne meurt plus… C’est ignoble qu’on ne veuille pas soigner des gens juste parce que ce n’est pas rentable."

Sur ton plus récent disque, International Sha La La, tu présentes tes chansons en concert, dans un cadre très intime. Quel était le but visé par cet album?

"J’ai fait International Sha La La pour retrouver mes chansons dans un autre contexte, pour retrouver toute leur vérité. C’est aussi celui qui me ressemble le plus parce que je suis à poil: je chante à moitié bien et je joue plus ou moins bien de la guitare, alors heureusement que j’ai un bon guitariste avec moi… J’avais besoin de revenir à quelque chose de plus simple, parce qu’on attrape facilement la grosse tête avec des productions sophistiquées. Pour l’album d’avant, j’avais dix violons, deux violoncelles, deux contrebasses… Tu finis par croire que t’es fantastique et que c’est toi qui as tout généré, alors que c’est tout le monde qui t’a aidé à y arriver. Et dans mes périodes de crise où je déteste la terre entière, j’ai besoin de savoir ce que je vaux vraiment tout seul. Et encore, j’avais quand même mon pote Jean-Louis Solans pour me rassurer…"

Pour le prochain, Dehors, qui sortira en août, peut-on dire qu’il s’agisse d’une nouvelle étape dans ton oeuvre discographique?

"Absoluement. C’est une galerie de portraits, une suite de personnages dans leur environnement. C’est moins introverti que ce que j’ai fait jusqu’à maintenant où je ne parlais que de moi. Là, je parle des autres parce que j’en avais un peu plein l’cul de ne parler que de moi… C’est plus dynamique et varié sur le plan des textes et de la musique. C’est bien la première fois que je n’ai pas eu besoin de bosser dans l’urgence. On avait le temps et la liberté de travailler comme on voulait… Parce que me retrouver avec un planning où tel jour on enregistre la batterie, tel autre, ce sont les guitares, et puis après je me retrouve tout seul à chanter comme un pauvre con… c’est pas marrant, il n’y a pas de fibres vibratoires. Alors que là, on s’est amusés; il y a du reggae, de la salsa, du jazz, du rock… C’est un disque de voyage; j’espère qu’on le prendra comme ça."

Le 28 juillet
Au Spectrum