Les Rita Mitsouko : L'éternel retour
Musique

Les Rita Mitsouko : L’éternel retour

Icônes de la pop française des années 80, Catherine Ringer et Fred Chichin nous ont offert l’un des plus beaux retours de l’année avec Cool Frénésie, premier album studio en plus de sept ans. Rencontré en avril, lors de la première parisienne de la tournée des Rita Mitsouko, le couple a peu changé: toujours cool, et tout aussi frénétique.

«C’est bon ça, Les Rita Mitsouko?» L’énormité de l’interrogation m’a carrément scié en deux. Après avoir réfléchi à l’âge de mon interlocutrice, qui feuilletait distraitement le programme des FrancoFolies, il m’a fallu me rendre à l’évidence: pour quelqu’un de vingt ans, Marcia Baila, Marc et Robert ou Andy ne sont que des noms sans histoire, pas des stèles dans l’histoire de la pop. Les mots me manquent pour tenter d’expliquer le choc qu’a provoqué l’arrivée de Catherine Ringer et de Fred Chichin dans le paysage musical francophone des années 80. Groupe français par excellence, symbole du cool parisien au même titre que Jean-Baptiste Mondino et Jean-Paul Gaultier, qui furent leurs alter ego visuels, Les Rita Mitsouko ont tout chamboulé à l’aide de quelques singles absolument indémodables.

Le public français, lui, n’a pas oublié Les Rita, comme on a pu le constater lors de leur rentrée parisienne à La Cigale, en avril dernier. Cette soirée magique, dans la salle du boulevard Rochechouart où ils ont connu la gloire, avait des airs de réunion de famille. Entendre mille personnes reprendre en choeur le refrain de C’est comme ça, ça vous réchauffe le coeur en moins de deux. Le groupe a passé presque une semaine à, La Cigale, à renouer avec ses fans, anciens et nouveaux. En fait, certains spectateurs parmi les plus enthousiastes devaient être encore au biberon à l’époque de Marcia Baila. Rencontrés à leur sortie de scène, Fred et Catherine semblaient satisfaits de leur triomphe parisien. Mais pourquoi se taper La Cigale six soirs de suite, alors que le groupe aurait pu se payer un Zénith, voire un Bercy? «On aime bien la salle, ce contact direct avec le public, explique Fred. «Ce qui est bien, c’est qu’on peut choisir d’être assis ou debout et que ce soir, tout le monde semblait content: les assis comme les debout», enchaîne Catherine. Mais les Rita n’ont jamais fait de musique pour les assis, non? «On fait un peu des deux, poursuit Fred. Mais évidmment, en concert, on veut que ça bouge!»

Sept ans de réflexion
Sur la scène de La Cigale, Catherine, aussi déchaînée qu’à la belle époque, déballe les chansons de leur récent Cool Frénésie avec le même aplomb qu’elle insuffle à ses classiques, tous au programme ce soir-là. Elle s’amusera même à présenter l’un d’eux en lançant: «Andy, ça fait déjà quinze ans que je te suis!» N’est-elle pas lasse de le poursuivre en vain depuis toutes ces années? «Je ne sais pas, je crois qu’il y a une espèce d’obstination de ma part, lance Catherine. En fait, on ne se lasse pas de cette chanson parce que c’est un bon funk: le riff est marrant, et la rythmique sonne bien. Je ne sens plus vraiment le texte, que j’approche presque phonétiquement, comme si c’était en langue étrangère, mais le groove, lui, est intact.» «C’est un morceau fun, renchérit Fred. Et puis, on peut y apporter un tas de petits changements. Il n’est jamais pareil, on ne peut donc pas en avoir assez.»
Les retrouvailles se sont donc bien passées sur scène, et on peut en dire tout autant du retour sur disque. Pourtant, sept années séparent le dernier véritable album studio, le décevant Système D, du récent Cool Frénésie. Forts de cette période de repos – qui n’en fut pas vraiment une puisque le groupe a enregistré un album acoustique et réalisé quelques projets extra-Rita -, le duo est revenu avec une force étonnante. Sur Cool Frénésie, Catherine brille de mille feux: la voix est plus juste, plus maîtrisée. «Merci, il y a beaucoup de travail là-dedans, lance-t-elle. C’est une évolution musicale normale, mais aussi personnelle; je ne suis plus la même personne qu’avant.» «Pour moi, il fallait que la voix change, parce que Catherine veut exploiter des sentiments différents, poursuit Fred. Il fallait trouver un nouveau langage musical pour témoigner de cette évolution. Je pense que le prochain album risque d’être vraiment intéressant…»

Il le sera si le groupe suit cette méthode de travail plus libre, bien palpble sur Cool Frénésie, assez proche, somme toute, de l’esprit initial des Rita. «C’est vrai qu’au début, on faisait tout tout seuls, alors que les albums qu’on a faits avec Tony Visconti employaient une formule plus classique, explique Fred. Pour Cool Frénésie, on a presque tout fait nous-mêmes, c’est pourquoi une fois en studio, on n’a pas pris de producteur, seulement un mixeur.»

On n’a pas que d’l’amour à vendre…
Il n’y a pas que le son et la voix qui aient évolué sur Cool Frénésie. En effet, les textes de Catherine sont de plus en plus travaillés, tantôt poétiques, tantôt très personnels. Le plus remarquable, celui de C’était un homme, raconte l’histoire de son père, juif polonais survivant d’Auschwitz. Pourquoi avoir abordé un sujet si délicat? «Je ne pourrais pas répondre précisément. C’était dans l’air, en Europe du moins; on a beaucoup parlé de la Shoah et ça m’a mis la puce à l’oreille.» Par pudeur ou par lassitude, Catherine n’élaborera pas sur le sujet. Mais sur scène, l’émotion était palpable. Dès les premières notes de C’était un homme, on a immédiatement senti un frisson traverser la foule, pourtant survoltée, lorsque Catherine s’est mise à chanter l’histoire de son père, interné dans «neuf camps différents». Puis, avec un sens de l’à-propos un peu tordu, Catherine a désamorcé le dramatique de la chose en enchaînant avec la chanson suivante, Singing in the Shower (!). Malgré quelques rires nerveux, on pouvait sentir un certain malaise dans la salle. «Honnêtement – la vérité si je mens! -, je n’y avais pas pensé avant le concert, lance Catherine. On a fait la liste des chansons pour la soirée et le seul endroit où l’on arrivait à caser Singing in the Shower, c’était là. J’ai trouvé ça plutôt amusant, comme coïncidence et ça m’a permis de faire une petite blague. Finalement, la vie fait bien les choses.»
On retrouve bien là l’esprit des Rita Mitsouko, venus dédramatiser les tristes années 80 avec leur cirque musical. Ce n’est d’alleurs pas la première fois que Les Rita abordent le sujet des camps de la mort. Il y a quelques années, Le Petit Train, malgré son air entraînant, n’évoquait-il pas, lui aussi (de manière plus cryptée, soit), le voyage de non-retour vers Auschwitz? «Je ne trouve pas scandaleux de parler de choses graves avec légèreté, explique Catherine. Les gens qui ont souffert savent bien que l’humour est un sentiment utile, voire essentiel, à la survie. Tout comme la mélancolie et la tristesse, d’ailleurs.»

Il est comme ça, Cool Frénésie. À l’image des nombreuses textures sonores qu’il recèle, les sujets de ses chansons y sont parfois graves, parfois ridicules, parfois complètement banals («On ne dit pas banaux?», s’esclaffe Catherine). Prenez Gripshitrider in Paris, par exemple, qui raconte les aventures de l’un de ces ramasse-merde motorisés qui sillonnent les rues de la capitale française. «Ah, on est très forts, très modernes, de ce côté-là; je crois que ça impressionne beaucoup les étrangers qui débarquent à Paris, lance Fred. Pour moi, ça a un côté très Jacques Tati: je paie mes impôts, alors je m’attends à ce que l’État ramasse les crottes de chiens de façon ultramoderne. En fait, la morale de cette histoire, c’est qu’à Paris, tu as le choix: ou tu admires la beauté de l’architecture et tu marches dans la merde, ou bien tu regardes ou tu vas et tu manques tout. La vie est une affaire de choix comme ceux-là…»

Malgré leurs boutades, Fred et Catherine savent aussi être sérieux. Qu’il s’agisse de l’inexorable marche du temps avec Femme de Moyen-Âge, ou de proto-féminisme, avec La Sorcière et l’Inquisiteur, conte poétique sur une femme condamnée au bûcher parce qu’elle charme les hommes de sa voix enchanteresse, l’album est riche en contenu. «C’est une chanson sur tous les intégrismes, sur les gens qui ont souffert. En effet, il y a ce côté féminin, sur le pouvoir de l’érotisme et tout un tas de choses. Mais ce ne sont pas là des trucs qui s’expliquent en quelques mots los d’une interview. C’est du domaine la poésie et ça devrait rester comme ça.» La sorcière a parlé.

Le 29 juillet
Au Métropolis

Le 30 juillet
À l’Olympia

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