Musique

Live à Montréal : Sleater-KinneyBen HarperThomas Fersen / Urbain DesboisCaféïne

Sleater-Kinney
Au Cabaret, le 20 septembre

L’importance critique dont jouit Sleater-Kinney n’a malheureusement que bien peu de choses à voir avec la musique. Lorsque vient le temps de juger de leur oeuvre, c’est toujours à l’aune de la politique sexuelle qu’on évalue ce trio de riot grrls. Chiennes enragées dans le jeu de quilles machiste de l’industrie musicale, les filles de Sleater-Kinney revendiquent tout bonnement le droit à la rage binaire post-punk qui est le pain et le beurre de tant de leurs contemporains mâles. Leur grand talent consiste à coller des paroles signifiantes, livrées avec force émotion, sur des musiques relativement simples. Elles ne sont pas les premières à le faire, même que plus elles raffinent leur langage musical, plus elles semblent se rapprocher de ce qu’ont fait (dix ans) avant elles les Throwing Muses. Moins brutales que L7 ou Bikini Kill, elles partagent même quelques penchants pop avec Elastica, dont elles représentent pourtant l’envers moral. Dieu merci, en concert, Sleater-Kinney nous permet d’évacuer une bonne part de ces considérations sociopolitiques au profit d’une expérience tout ce qu’il y a de plus rock’n’roll. Jeudi dernier, au Cabaret, les pièces de leur plus récent disque, All Hands on the Bad One, semblent avoir touché droit au coeur un public d’habitués, qui s’est aussi régalé des quelques perles brutes empruntées à Dig Me Out. Dans une succession de brûlots qui aurait pu devenir lassante, les morceaux plus consistants tirés de The Hot Rock, l’album précédent, ajoutaient un peu de relief. On a donc eu droit à un concert efficace, bien que pas transcendant, qui a finalement atteint son but: personne n’a osé dire que c’était «pas mal pour un groupe de filles». C’était pas mal, point. (Nicolas Tittley)

Ben Harper
Au Théâtre du Centre Molson, le 22 septembre
Il est toujours fascinant de voir évoluer un artiste de la trempe de Ben Harper. De visite en visite (et elles furent nombreuses), il franchit les échelon de la popularité, de la fidélité et de la conversion de nouveaux fans, qui l’amenèrent du vieux Club Soda au Spectrum, puis au Métropolis, et, finalement, au Théâtre du Centre Molson, vendredi dernier.
Dès les premières minutes du spectacle, après nous avoir servi Mama’s Got a New Girlfriend Now (tirée de son premier album) et Burn to Shine (la pièce-titre de son dernier), le grand Ben, bien installé sur sa chaise recouverte d’une couverture africaine, s’est lancé dans une série de remerciements sincères à tous ceux et celles qui l’ont suivi dans son ascension vers la reconnaissance publique. Sans s’en rendre compte, en quelques minutes, il venait de parler davantage à la foule qu’il ne l’avait fait lors de tous ses précédents concerts montréalais réunis!
Cette prise de contact verbale accentuée avec son public fut d’ailleurs la seule véritable adaptation d’Harper au contexte «show d’aréna». Pas de stimuli visuels grandiloquents (même les éclairages étaient sobres), pas de mouvements inutiles sur scène. Il ne se leva qu’à la fin du concert pour se défouler sur son plus récent single, Steal my Kisses, et se rassit lors du premier rappel acoustique qui installa un silence impressionnant dans de telles circonstances. Au finale, cependant, alors qu’on aurait pu s’attendre à un grand moment rassembleur à la I’ll Rise, il aura plutôt opté pour une superbe reprise de Sexual Healing de Marvin Gaye et un medley intégrant une de ses pièces à Whole Lotta Love de Led Zeppelin. Si l’on n’a pas eu droit à l’intimité et à la communion de ses précédents concerts, on est tout de même ressortis du temple de la bière à 5,25 $ avec l’impression que notre Ben semble de plus en plus à l’aise avec son double statut de pop star et d’icône rock mystique. (Eric Parazelli)

Thomas Fersen / Urbain Desbois
À l’Olympia, le 23 septembre
Pour leur deuxième concert sur la scène de l’Olympia, Thomas Fersen et Urbain Desbois ont offert un doublé en oraux nombreux amateurs de chanson française présents dans la salle. Devant un public qui ne l’attendait pas, Urbain a fait mouche. En deux coups de cuiller à pot, le chanteur a mis le public – attentif à ses moindres et nombreux jeux de mots – dans sa poche arrière. L’avantage d’avoir des chansons aussi courtes que les siennes, c’est que l’on peut prendre le temps de discuter avec les spectateurs, même lorsqu’on joue en vedette américaine. Et Urbain ne s’en est pas privé, renforçant à chaque intervention la sympathie du public à son égard. Aussi, lorsqu’il a lancé à la blague: «C’est merveilleux d’avoir un type comme Thomas Fersen en deuxième partie pour le même prix», on était prêt à croire que les gens s’étaient effectivement déplacés pour lui. Chose certaine, ils sont sûrement nombreux à s’être procuré son récent disque, États d’âne (voir critique dans la section Disques), en quittant la salle. «On en a vendu soixante en une semaine, s’est étonné Urbain. À ce rythme-là, on va avoir un disque d’or dans dix ans!» C’est tout ce qu’on lui souhaite.

Lorsque Fersen s’est présenté à son tour sur scène, on avait encore en tête les rimes d’Urbain et la plainte de la scie musicale de son batteur; mais le petit homme en complet rayé a vite prouvé qu’il était la star de la soirée. Galopant en rond durant Bucéphale, grimaçant vers une spectatrice invisible lors d’Élizabeth, Fersen rayonnait. S’il endosse encore son personnage de raté sympathique (qu’il chante si bien dans Dugenou, reprise en choeur par la foule), Fersen est aujourd’hui bien conscient de son charme, tout maladroit soit-il. Jamais Fersen n’aura tant cabotiné, affectant avec nonchalance une voix un peu empâtée, que l’on pouvait croire causée par un abus de bière locale (c’est du moins ce que l’on se disait après le rot sonore qui le força à interrompre une chanson). Mais on ne lui en voudra pas pour si peu, au contraire: avec ses airs d’élégant poivrot des bords de Seine, son bestiaire fantastique (La Chauve-Souris, Le Moucheron), et ses musiques au chame suranné, Fersen est à la fois le défenseur et le dépoussiéreur d’une certaine tradition de la chanson française. (Nicolas Tittley)

Caféïne
Au Café Campus, le 25 septembre
Un mot en terminant sur le spectacle que donnait au Café Campus la formation Caféïne, question de célébrer le lancement de son nouvel album, l’énergique et décadent Pornstar. Une salle pleine; une heure composée exclusivement de nouveau matériel ayant tout de même réussi à retenir l’attention; une attitude à la fois baveuse et sympathique; une exécution musicale sans faille, shootée à l’énergie pure du rock’n’roll; un Xavier en très bonne forme vocale et aux déhanchements de plus en plus assumés; et, en rappel, des interprétations de quelques chansons tirées de l’album précédent, qui n’ont jamais paru aussi solides. Bref, comme me le disait à la blague son gérant de père: «J’trouve qu’ils ne s’améliorent vraiment pas avec le temps!» Oui, le groupe Caféïne est maintenant prêt à passer à un niveau de reconnaissance supérieur. Et on sera là pour l’accompagner…