Dix ans de Black & Blue : La ville en rose
Musique

Dix ans de Black & Blue : La ville en rose

Le circuit est en ville! Dimanche, des centaines de milliers de watts provoqueront une affluence monstre sous le chapiteau du Stade olympique. On trouvera de quoi fêter: le festival du Black & Blue aura dix ans. Récit d’un success  story.

Comme près de 800 curieux, Hugues Jourdain avait présenté son carton d’invitation et déboursé dix dollars à la porte de l’ancien Hôtel des Encans. C’était la nuit du 13 octobre 1991, et il était venu assister au party du jeune Robert Vézina, une fête candidement baptisé Black & Blue. Hugues ne s’en doutait pas, mais il s’apprêtait à faire un pas dans l’une des plus importantes pages de l’histoire du nightlife montréalais. "Le décor était minimal et la qualité du son laissait un peu à désirer. Mais malgré cela, c’était une nuit rêvée, un véritable avant-goût du ciel. Le genre de nuit où tout va bien, quoi qu’il arrive. Une nuit où il y a toujours plus de musique, plus de monde. Et juste comme je croyais que plus rien ne pouvait m’amener plus loin, de nouvelles mélodies m’encourageaient à danser et à rester davantage", se souvient-il.

Depuis, la fête a fait boule de neige. 3 500 personnes ont assisté à la deuxième édition. Quelques milliers de plus en 1993, et ainsi de suite. L’an dernier, ils étaient plus de 17 000 sur le parquet du Stade olympique. Les organisateurs souhaitent accueillir 20 000 participants lors de la célébration de la fin de semaine. "À l’époque, même dans mes rêves les plus fous, je n’aurais jamais pu m’imaginer que la fête prendrait une telle ampleur", admet Robert Vézina, aujourd’hui à la tête de l’empire du BBCM.

Vision musclée
Au cours de la dernière décennie, les soirées-bénéfice de la Fondation du Bad Boy Club ont insufflé une forte dose de testostérone à la vie nocturne montréalaise. En mettant à l’avant-scène des D.J. de renom tels Mark Anthony, Junior Vasquez, Danny Tenaglia, Susan Morabito, Luc Raymond, Alain Vinet, Billie Carroll, Frankie Knuckles, Stephan Grondin, David Knapp, Eddie X, Little Eric, Victor Calderone, Robert De La Gauthier, Abel, Angel Moraes et Rob DiStefano, le BBCM a fait de Montréal un arrêt incontournable dans le circuit des partys gais.

Quelques coups de fil dans les hôtels du centre-ville et du Village suffisent d’ailleurs pour se convaincre que le Black & Blue est devenu l’une des principales attractions touristiques de Montréal. Tout affiche complet. La firme de sondage CROP estime même que grâce au Black & Blue, les retombées économiques sur la Métropole dépassaient les trente-cinq millions de dollars en 1999, faisant de ce festival le troisième événement touristique en importance au Québec, après le Grand Prix et le Festival de Jazz de Montréal. "Mais le Black & Blue est beaucoup plus qu’un succès de foule et de dollars", estime Denis Brossard, qui en signe cette année la direction artistique en collaboration avec Victor Pilon. "À toutes les époques, les gais ont produit leurs propres modes de vie et espaces de liberté. C’est un peu ce que représente aujourd’hui le Black & Blue. Lorsque les gais se retrouvent si nombreux sur une piste de danse, ils sont au centre d’une véritable communion énergétique. Au coeur d’une mythologie qui contient tous les mythes, d’un rituel qui contient tous les rites. C’est la concrétisation d’un rêve utopique, la force d’attraction du grand nombre, l’éloge de l’homosexualité… Pour quelques heures, les homosexuels vivent dans un espace où l’homophobie n’existe plus. C’est une quête d’identité unique, mais aussi d’une entité collective qui concilie les préoccupations et intérêts communs à tous les homosexuels."

Il croit également qu’à plusieurs égards, les partys du circuit sont une forme de mobilisation et d’action politique. Une fois réunis dans l’antre du Stade, les gais peuvent faire valoir et imposer la manière dont ils se perçoivent. "Pendant des années, les gens ont associé tous les homosexuels au sida. On nous présentait constamment des images de gais aux corps décharnés et rachitiques. Avec l’avènement des partys du circuit, on a assisté à une mise en scène inédite du corps de l’homosexuel. En glorifiant le muscle, les partys du circuit cherchent à contrer cette représentation et à combattre symboliquement la maladie. On a souvent tendance à contester ces représentations de l’homosexuel, mais on oublie de tenir compte des origines d’un tel emballement pour les muscles."

"La pandémie du sida aura toujours été au centre des préoccupations du BBCM, poursuit Brossard. Nous avons perdu trop de nos amis et de nos collaborateurs pour négliger la portée sociale du fléau." Au cours des neuf dernières années, le BBCM a remis plus de 850 000 dollars à divers groupes d’aide directe aux personnes atteintes du VIH/Sida ainsi qu’à d’autres groupes de la communauté. Avec les célébrations du week-end prochain, on compte bien pouvoir amasser la somme nécessaire pour franchir le montant symbolique du million de dollars en donations.

Drama Queen
Pour Peter Rauhofer, l’un des D.J.-vedettes de la dixième édition du Black & Blue, outre le sida comme révélateur social, c’est essentiellement la musique qui rend les partys du circuit indélébiles dans l’agenda des fêtards. "Chez tous les gais, explique le D.J. et remixeur autrichien, il y a une fantasmagorie de "l’ailleurs", un ailleurs qui offre la possibilité de réaliser des aspirations que des milliers de raisons semblent rendre impossibles. Un ailleurs permettant toute la nonchalance qu’on souhaite retrouver. C’est exactement ce qu’offre la musique des partys du circuit. Lorsque les gens vont dans un rave straight, ils peuvent rarement faire la différence entre une chanson et une autre. Tout sonne identique. Dans les partys du circuit, plusieurs D.J. se font un devoir de présenter des mélodies aux paroles incisives. Cette musique peut être perçue comme un opérateur de transformations sociales dans la manière dont les gais se perçoivent eux-mêmes. Pour moi, tout est dans le diva effect. Mes chansons ont toujours des paroles reflétant bien le sens du drame et de l’humour gais, auxquels les straights ne s’identifient pas. Je crois que c’est pour ça que tant de gais ressentent ma musique comme une libération."

Il entrevoit son week-end avec un enthousiasme contagieux: "Il n’y a rien de plus précieux que de pouvoir spiner dans un espace où le son et l’éclairage sont de si bonne qualité. Les Montréalais sont aussi des gens qui savent faire la fête. Je me considère comme privilégié de pouvoir vivre ce dixième anniversaire, je sais ce que ça représente pour les gens de Montréal."

Le 8 octobre
Au Stade olympique
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