Tim Brady / Évolutions 2000 : Ouvrir la voix
Musique

Tim Brady / Évolutions 2000 : Ouvrir la voix

TIM BRADY est un musicien éclectique et un chercheur. Figure d’envergure internationale de la musique actuelle, il nous parle de l’événement Évolutions 2000, un happening qui veut mêler les genres musicaux.

À l’occasion d’Évolutions 2000 – Les nouvelles voix, série de quatre concerts consacrés à la voix que nous présente l’organisme Innovations en concert au Théâtre La Chapelle, les 5, 6 et 7 octobre, j’ai rencontré Tim Brady, son directeur artistique actuel. Sympathique anglo bilingue, Montréalais d’origine, virtuose de la guitare électrique et acoustique, il se définit avant tout comme un compositeur. "Même si j’ai commencé par faire de la musique en m’amusant à reproduire des hits des Beatles, à l’âge de onze ans…, confie Brady. Petit à petit, j’ai exploré d’autres genres que le rock et la pop, comme le jazz, puis Debussy, Gershwin, Stravinski."

Il a ensuite étudié sérieusement la composition et la guitare à l’Université Concordia et au Conservatoire de musique de la Nouvelle-Angleterre à Boston. Il avoue qu’à cette époque, à l’instar de bien des élèves, il s’est laissé entraîner dans des recherches de sonorités un peu vaines. "Je composais du faux Elliott Carter, dit-il en riant. Cela m’a permis de décrocher bien des prix… Mais il n’était pas possible de faire uniquement ce type de musique."

"Vers l’âge de trente ans, il y a eu comme une coupure dans mon cheminement: l’intention de l’écriture devait désormais coïncider avec sa réalisation, c’est-à-dire l’exécution. Je préfère de beaucoup me faire dire par des musiciens ayant créé ou joué l’une de mes oeuvres qu’ils ont eu du plaisir à le faire, plutôt que des formules polies, genre: "C’est intéressant…" Quant à la réaction de l’ex-chef attiré de l’Orchestre symphonique de Toronto qui a carrément refusé de diriger LOUD à cause de la simple présence d’une guitare électrique sur la scène avec ses musiciens, ça me laisse assez indifférent. On ne peut pas plaire à tout le monde… Et c’est symptomatique d’une certaine vision européenne du monde de la musique. Les cliques sont beaucoup plus fermées en Europe qu’ici." Il a cependant fondé Innovations en concert parce que cela apparaissait comme la seule avenue possible pour présenter le travail de compositeurs et interprètes ne cadrant pas avec la démarche d’organismes reconnus…

Cordes sensibles
Nous sommes donc invités à entendre, le 5 octobre, Trilogy d’Alcides Lanza, oeuvre écrite entre 1972 et 1988, très personnelle et mêlant très habilement, selon Brady, voix, bande et traitements numériques. "Il faut entendre la voix de la comédienne et chanteuse Meg Sheppard. Ce n’est pas une cantatrice, mais c’est du chant!"

Le programme du 6 octobre est ambitieux. "J’aimerais que ça se transforme en happening où les gens discuteraient au bar entre les numéros vocaux…" Commençant par un mini-concert de jeunes musiciens ayant participé à des ateliers d’impro, la soirée se poursuivra avec la réunion de deux grandes gueules de la poésie sonore, Paul Dutton, de Toronto, et Jaap Blonk, des Pays-Bas. "Il faut les voir se démener sur scène avec leurs grimaces, leurs souffles, leurs cris, leurs hurlements et autres bruits de bouche…" Ensuite, on pourra faire connaissance avec Thomas Buckner, baryton américain auquel se joindront les Montréalais Tom Walsh, trombone et échantillonneur, et Jean René, alto, dans une improvisation en fonction des horaires du métro de New York intitulée Off-Hour Wait State, de Tom Hamilton. Parmi les autres oeuvres exécutées, on peut citer, rien que pour le titre, Music for Baritone with Slow Sweep Pure Wave Oscillator (je renonce à proposer une traduction).

L’Ensemble Vocal Mirror Image, de Waterloo (Ontario), clôturera la série le 7 octobre, en nous offrant notamment Love Songs de Claude Vivier ("Avec le recul, on se rend compte à quel point c’était un visionnaire!") et As It Happened de Tim Brady lui-même. J’ai pu entendre un extrait de cette oeuvre et j’avoue que j’ai été très touché. Brady raconte: "J’écoutais, à la radio de la CBC, l’émission As it happens, quand j’ai éprouvé un choc en entendant les propos de Linda MacDonald. On lui a littéralement effacé la mémoire avec des traitements au LSD et aux électrochocs." C’était au Allan Hospital à Montréal, en 1963, dans le cadre d’expériences financées par la CIA et le gouvernement canadien. "Le sort de cette dame qui a malgré tout réussi à prendre sereinement son sort en main est venu me chercher, comme on dit. J’ai donc demandé et obtenu la permission de transcrire l’entrevue et je m’en suis servi pour composer ma pièce. C’est construit comme un decrescendo en trois parties. Ça démarre en trombe. J’ai voulu ça comme un coup de poing au visage! Dans la dernière partie, j’utilise des ghetto-blasters pour recréer l’effet de l’émission de radio. Je ne sais pas comment le public montréalais va réagir. Ma pièce contient des passages avec homophonie, c’est-à-dire des voix à l’unisson, mais aussi des accords dignes de Metallica. Je suis aussi guitariste, ne l’oublions pas."

Si les précédentes Évolutions (1997, 1998 et 1999) tournaient respectivement autour des guitares électriques, des cordes et des vents, on peut annoncer que celles de 2001 sonneront au rythme des percussions. Et puisque l’on parle d’avenir, Brady sortira le mois prochain 10 Collaborations, son huitième CD sous étiquette Justin Time; et il travaille encore à un concerto pour guitare qui devrait être créé avec le Nouvel Ensemble Moderne en 2002… Pour en connaître davantage sur le musicien, on peut visiter le site multilingue www.generation.net/~tbrady.

Le Panthéon de Tim Brady
S’il devait se retrouver sur une île déserte, voici les musiques avec lesquelles il pourrait survivre: "La Quatrième Symphonie de Charles Ives, la plus grande oeuvre du répertoire occidental, et Sergeant Pepper, avec Tehilim de Steve Reich, les Allman Brothers Live at Fillmore East, Derek and the Dominos avec Duane Allman et Eric Clapton, Let my Children hear music de Charles Mingus, une oeuvre d’un compositeur plus que d’un jazzman; avec un soupçon de Takemitsu. Je n’emporterais sans doute pas mes opéras préférés: Porgy and Bess de Gershwin, qui est une réussite incroyable pour un premier essai "sérieux", contrairement aux premiers Wagner et Verdi qui, en comparaison, ne sont pas du même niveau; Lady Macbeth de Mzensk de Chostakovitch, d’une violence incroyable par moments, et Peter Grimes de Britten."