Il y a 15 ans : Bran Van 3000 – Discosis
Anniversaires d’albums marquants

Il y a 15 ans : Bran Van 3000 – Discosis

Publiée sur une base régulière, cette chronique vise à souligner l’anniversaire d’un album marquant de la scène locale. 

Lancé en grande pompe le 28 mai 2001 sous Grand Royal, l’étiquette californienne des Beastie Boys, le deuxième album de Bran Van 3000 n’a pas eu le succès qu’il méritait. Loin de l’engouement international de son prédécesseur, Discosis a été miné par la faillite inopinée de son label, provoquant ainsi la léthargie du collectif montréalais. Quinze ans plus tard, on revient sur sa création et son impact, en compagnie du leader James Di Salvio, maintenant exilé à Los Angeles.

L’aventure Discosis est essentiellement tributaire du succès indéniable de Glee, paru le 15 avril 1997 au Canada. «Quelques semaines avant la sortie de notre premier album, Denis Wolff (directeur artistique chez Audiogram) et moi, on est allés à SXSW pour faire du hustle. On a profité de la campagne de promo de l’album de Lhasa, La Llorona, pour passer quelques cassettes blanches, sans artwork, de Glee. J’avais inscrit mon numéro de téléphone à la main sur chacune d’entre elles», raconte James Di Salvio. «J’ai donné des copies à tout le monde, dont une à Moby, que je connaissais un peu comme DJ. Il a tellement aimé ça qu’il a donné sa copie à un gars de chez Geffen. Le gars m’a rappelé, et je lui ai dit qu’on jouait live et qu’on avait un spectacle de prêt. C’était complètement faux!»

Devant l’engouement suscité, Di Salvio et sa bande louent les Foufounes électriques pour un mémorable spectacle de lancement. «Sur place, il y avait des représentants d’Atlantic, Maverick, Geffen, Columbia et Capitol. Pendant l’after, on a rencontré tous les membres un par un. C’était magique, pareil comme dans un film», se souvient-il. «Après ça, il y a eu un bon trois mois de courtisanerie de part et d’autre. On est finalement allés à L.A. pour un gros meeting afin de closer cet esti de deal-là. Il y a une fille d’Atlantic qui nous a dit une phrase dont je me souviendrai toujours : ‘’On n’appelle pas ça une guerre de labels pour rien… Tous ceux que tu ne choisiras pas, ils vont s’en rappeler longtemps.’’»

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Courtoisie James Di Salvio

Le collectif choisit finalement l’offre de Capitol Records, alors détenu par EMI. «C’était l’étiquette des Beastie Boys. Pour nous, ça allait de soi comme choix vu qu’on avait une belle amitié avec Mike D, qui a toujours été un grand héros pour moi», dit-il.

Glee parait sous Capitol en mars 1998, et le simple Drinking in L.A. obtient un succès international, tout particulièrement en Europe et au Canada. Pendant que le groupe sillonne le monde avec son unique mélange de hip-hop, de rock alternatif et d’électronique, il y a de l’action dans les bureaux de l’étiquette. «Le directeur de Capitol, Gary Gersh, quittait pour se consacrer à Grand Royal», dit-il, à propos de cette étiquette créée en 1992, sous laquelle ont paru plusieurs albums des Beastie Boys (en collaboration avec Capitol). «Dans son contrat, il y avait une clause stipulant qu’il pouvait amener avec lui deux artistes. Il a choisi les Beastie Boys et nous.»

Création spontanée, enregistrement de longue haleine

Heureux de la tournure des événements, le noyau dur du collectif (soit Rob Joanisse, Nick Hynes, Jayne Hill, Stéphane Moraille, Gary Mackenzie, Sara Johnston, Liquid, E.P. Bergen et James Di Salvio) entreprend spontanément la création du deuxième album, alors qu’il accumule les dates de spectacles. «L’autobus, c’était notre salle de répétition», explique Di Salvio. «Sur la route, il y avait toujours quelqu’un ou presque qui jouait de la musique. Parfois, ça nous inspirait des ébauches de chansons. Ça a été comme ça pendant un peu plus de deux ans. Je me rappelle d’une fois en particulier, où Sara jouait l’air de Loaded quand on s’approchait de Chicago. On était tous animés par la joie de créer en band, en s’inspirant des idées des autres.»

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En tant que grand chef de la bande, James Di Salvio doit toutefois faire face à la pression du deuxième album. «J’étais obsédé à l’idée de la perfection. Je voulais vraiment pas décevoir. Bref, j’étais dans le classique syndrome du deuxième album», confie-t-il. «J’avais en tête un album ambitieux, quelque chose qui ramènerait au goût du jour le disco. Un peu comme Daft Punk a fait avec Random Access Memories 10 ans plus tard. Plus que jamais, on voulait jouer avec les notions de pop. C’était assez audacieux comme idée… Après tout, on avait un background très rock. On a grandi en écoutant Nirvana et les Pixies.»

Entre les spectacles, l’enregistrement des démos de Discosis s’amorce en 1999 à Saint-Sauveur, au studio Wild Sky du compositeur et producteur montréalais Pierre Marchand (Lhasa, Sarah McLachlan). BV3 transporte ensuite l’ensemble de ces sessions aux mythiques studios Electric Lady, à New York, où il enregistre la plus grande partie de l’album. Les chansons plus électroniques sont, quant à elles, enregistrées aux Angel House Studios, à Los Angeles, tandis que la postproduction se déroule conjointement à Montréal (au studio Audio Z) et à Londres (aux Olympic Studios).

C’est Ric Ocasek (ex-chanteur des Cars) qui est à la barre de la réalisation, et Di Salvio s’impose comme le «cocapitaine». Pour le groupe, Discosis est l’occasion de donner vie aux rêves qu’il caresse depuis longtemps.  «En studio, on était comme des kids dans un candy store», image le rappeur et DJ. «Grâce aux Beastie Boys et à Craig Aaronson (un responsable A&R de Grand Royal), on avait la chance de collaborer avec tous les artistes qu’on aimait.»

Kane et Mayfield

Du lot, le nom de Big Daddy Kane résonne avec excitation.  Après quelques négociations, la légende du rap new-yorkais accepte de participer à deux chansons : Loaded et Discosis.  «Il est passé avec tout son entourage au Electric Lady. C’était vraiment une belle gang de gentlemen», se rappelle Di Salvio. «Il a amené ses maquettes, et on a créé la chanson tous ensemble. Pour moi, c’était un honneur. Rakim et lui, ce sont les George Washington et Abraham Lincoln du hip-hop.»

Beaucoup d’autres artistes de renom se joignent au projet, notamment l’emblème sénégalais Youssou N’Dour, le chanteur pakistanais Badar Ali Khan, le musicien reggae Eek-A-Mouse, le maître de la chanson québécoise Jean Leloup et le roi du soul américain Curtis Mayfield.

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La collaboration avec ce dernier est particulièrement significative pour le groupe. «Il était tellement le king du monde dans le temps!» s’exclame Di Salvio. «On n’a jamais pu le voir en personne parce qu’il était trop malade. Il avait toutefois pris le temps de s’installer un studio dans sa chambre d’hôpital. De notre côté, on lui envoyait des maquettes, que lui nous renvoyait avec des modifications à faire et des beaux mots d’encouragement. En fin de compte, il n’a pas pu chanter directement sur la pièce, mais il nous a permis de piger dans les vieilles sessions inutilisées de son chef d’œuvre Move On Up. On a tout de suite trouvé que c’était un fit parfait. C’est la dernière chanson officielle de sa vie puisqu’il est mort quelques mois plus tard, le 26 décembre 1999.»

Le résultat, Astounded, est le premier simple de l’album, officiellement lancé au début du mois de mai 2001. La signature disco du groupe surprend quelques fans, d’autant plus que la voix de James est absente de la chanson. «Certains ont adoré ça, mais d’autres voulaient juste un autre Drinking in L.A.» admet-il. «De mon côté, j’étais complètement obsédé par la production. J’étais constamment à la recherche du meilleur sounding. C’est un peu pour ça que j’ai délaissé le micro, autant sur cette chanson que sur l’ensemble de l’album.»

Tomber de haut

Mélange encore plus dynamique et varié que Glee, Discosis est assemblé à l’image d’une mixtape, telle que le conçoit James Di Salvio : «Je crée des mixtapes depuis que je suis kid. Pour moi, c’était une grande joie de mélanger les styles et les légendes de la musique au sein d’une même œuvre.»

Après une semaine de campagne promo en Europe, durant laquelle Di Salvio accumule les DJs sets en solo, Discosis est finalement lancé, le 28 mai 2001. À sa première semaine, il entre en cinquième place du palmarès des ventes canadiennes.

Mais le bonheur et la satisfaction du travail accompli sont de courte durée.

Dans les jours qui suivent la parution, le groupe voit son rêve virer au cauchemar. Il apprend que son étiquette est au bord du gouffre financier. «En 24 heures, notre vie a complètement changé. Les Beastie Boys avaient décidé qu’ils étaient tannés de la business et que, désormais, ils voulaient uniquement se concentrer sur la musique. Grand Royal a donc fermé ses portes», se rappelle le DJ, sans amertume. «Ce qui est bien, c’est qu’on avait la distribution avec Virgin UK, ce qui a fait que plein de gens ont pu se procurer l’album en Europe et en Asie. L’endroit où il était le plus difficile de se procurer l’album, c’était paradoxalement en Amérique du Nord.»

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Bran Van 3000 en une du Voir (juin 2001).

Laissé à lui-même, le groupe ne peut donc pas compter sur la même machine qui l’avait si bien supporté pour la sortie internationale de Glee. «Quand le bateau a quitté le quai, on s’est retrouvés sans gérance. La tournée qu’on rêvait de faire, ce n’était plus possible» se souvient le Montréalais. «Ça a été l’occasion pour tous les membres du groupe de retourner vivre leur vie : de retourner à l’école, de prendre du temps pour leur famille, de retomber en amour, d’avoir des enfants… J’ai tendance à glaze les côtés optimistes de l’affaire, mais c’est sûr qu’on est tombés de haut. On vivait un grand rêve, on était les chouchous du moment.»

Exil et renaissance

Devant la situation inattendue, Jayne Hill déménage à Boston, tandis que Sara Johnston, Liquid et Stéphane Moraille entament éventuellement des carrières solos. De passage à CKOI pour une entrevue, quelques jours après la sortie de l’album, James Di Salvio met à exécution un plan de rêve et retombe rapidement sur ses pattes. «J’ai demandé aux auditeurs s’ils avaient un chalet à louer. Il y a plein de fax qui sont rentrés, je n’en revenais pas», raconte-t-il, en riant. «On a finalement trouvé un chalet sur une île privée dans le bout de Saint-Donat. De début juin jusqu’à l’automne, on a vécu la 60’s life. À un moment donné, j’ai même brûlé ma guitare! Il y avait aussi Jean Leloup qui était passé pendant un bon bout de temps pour jammer et vivre avec nous.»

«Après ça, je suis parti en Jamaïque», poursuit le globetrotteur. «C’est là que mon amour pour le dub a été exploré avec mon ami James Donovan. Je me suis payé le grand luxe de m’abandonner au pouvoir des fréquences. Le projet est jamais sorti, mais c’est juste une question de temps. Ça s’appelle Rainbows and Black

En 2006, James Di Salvio convoque sa bande pour un troisième album. Loin d’être amers, les amis musiciens se regroupent dans la paix et la fraternité. «On a toujours été très unis», indique-t-il. «Bien sûr, il y a déjà eu des chicanes, mais c’est le cas de toutes les familles. Pour cette raison, je dirais qu’on est un peu comme Earth, Wind & Fire : l’ensemble est plus grand que l’individu.»

Deux ans plus tard, BV3 donne son premier spectacle en plus de sept ans. Pour l’occasion, il fait les choses en grand, en offrant un concert extérieur au Festival international de jazz de Montréal. Dans ce qui est maintenant considéré comme l’une des plus grandes foules de l’histoire du festival, le groupe rassemble plus de 100 000 personnes. «C’était tout un retour!» s’exclame le DJ. «Jamais j’aurais pu me douter qu’on donnerait notre premier spectacle depuis Discosis devant autant de gens.»

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Bran Van 3000 au FIJM 2008. Crédit : Anirudh Koul

Et le tout semble encore plus impressionnant lorsqu’on sait que le groupe a été complètement absent de la carte musicale montréalaise pendant autant d’années. «C’est pendant ce temps-là que la scène du Mile End a explosé et que YouTube s’est mis en vie. Nous, on n’avait pas de gérance, ni de label, mais nos fans mettaient nos chansons et nos clips sur Internet. On avait des millions d’écoutes», relate Di Salvio.

Ainsi, malgré les problèmes financiers qui ont freiné son essor, Bran Van 3000 a sans contredit marqué les esprits avec cet ambitieux deuxième album. Le collectif a servi d’exemple aux groupes montréalais désirant s’exporter à l’international, en commençant par ceux qui, au milieu de la décennie, ont propulsé la scène indie rock.

Loin d’être un fiasco, Discosis a tout de même été vendu à plus de 60 000 exemplaires au Canada. Réédité en format CD en 2008 par Spectra, l’album pourrait éventuellement être pressé en vinyle, selon ce qu’affirme Audiogram (qui détient maintenant les droits, mais qui refuse toutefois de se commettre à un quelconque échéancier).

«Le vinyle, ça serait un rêve… Un artiste, c’est comme un romantique, il aime tout le temps recevoir des fleurs et des huîtres», indique James Di Salvio, en riant. «Bref, c’est certain que j’aimerais que cet album ait une seconde vie. Audiogram a tous les masters en main, donc ça leur appartient.»

Discosis en vente sur iTunes.

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