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Du gaz dans l’eau

(Recension de MOUSSEAU, Normand, La révolution des gaz de schiste, Éditions MutiMondes, Québec, 2010. Rédigée en 2011.)

On le sait : le nucléaire — voyez le Japon — présente d’énormes risques; le pétrole se raréfie et devient cher; le charbon est sale et polluant au possible.

C’est dans ce contexte que se déroule sous nos yeux, un peu partout — en Amérique du nord, mais aussi en Europe et en Asie, notamment en Chine — une véritable ruée vers le schiste, nouvel eldorado énergétique.

Gaz de schiste : il y a deux ans à peine la plupart d’entre nous en ignorions jusqu’au nom. Et nous sommes encore en général, avouons-le aussi, toujours très ignorants des tenants, des aboutissants et des enjeux — énergétiques, géologiques, politiques, scientifiques, écologiques, économiques, géo-stratégiques — de ce dossier, qui devient rapidement technique.

Il faut donc saluer la publication du livre de Normand Mousseau, professeur de physique à l’Université de Montréal, qui apporte sur ces questions cet indispensable éclairage scientifique sans lequel des décisions rationnelles et démocratiques ne peuvent être prises.

L’information scientifique …

Mousseau commence par nous rappeler qu’au sens strict, on devrait parler de gaz de shale et non de schiste. Querelle sémantique pour géologues, diront certains : mais j’y vois aussi un indice que les choses ne sont que rarement simples dans ce dossier et qu’elles sont souvent autres que ce qu’elles peuvent d’abord sembler (notons que Mousseau se résout à employer la dénomination gaz de schiste, devenue commune).

L’auteur traite son sujet en quatre moments.

Pour commencer, il dresse un panorama énergétique mondial dans lequel il situe le gaz naturel, qui «occupe une place à part parmi les hydrocarbures» (p. 9) puisqu’il se consomme très proprement, loin devant le pétrole ou le charbon. Il explique ensuite pourquoi la demande pour le gaz naturel croît et est appelée à croître. Mais, rappelle-t-il aussi, cette ressource est très inégalement distribuée sur la planète («la Russie, le Qatar et l’Iran possèdent plus de la moitié des réserves courantes», p.13), ce qui force la plupart des pays à l’importer et les rend dépendants de leurs fournisseurs. De plus, son transport est coûteux.

Tous les pays qui n’ont pas gagné à la loterie du gaz naturel cherchent donc de nouvelles voies pour s’approvisionner. Le gaz de schiste arrive à ce moment dans l’équation, ces pays apprenant qu’il existe dans leur sol des roches appelées shale qui contiennent un gaz abondant et dont l’exploitation, désormais technologiquement possible, serait économiquement viable.

La deuxième partie de l’ouvrage dresse le portait scientifique de la révolution du schiste que tout cela annonce. Mousseau explique d’abord, très clairement, la géologie des shales et rappelle comment cette roche très feuilletée se trouve gorgée de gaz naturel. Mais tout cela était depuis longtemps bien connu et si la révolution du schiste est à nos portes, c’est en raison d’une percée technologique très récente, que Mousseau rappelle ensuite : la «fracturation hydraulique» (p. 39). En gros, on injecte à haute pression de l’eau, du sable et quelques additifs profondément sous terre : les roches contenant le gaz sont fracturées, ce qui lui permet de remonter à la surface.

Mousseau examine ensuite les risques environnementaux que présente cette pratique : dérangements pour les populations, risques pour l’eau (par la contamination des eaux souterraines et par (mauvais) traitement des eaux usées); et, finalement, contribution aux changements climatiques. Ce dernier aspect est crucial : car si la combustion du gaz naturel est, on l’a vu, bien moins dommageable pour l’environenment, son bilan écologique global, quand on prend en compte ce que génère de gaz à effet de serre son exploration, son exploitation et son transport «pourrait s’approcher de celui du charbon» (p. 56).

Convaincu que c’est sur la base d’une information la plus complète et objective possible que le débat démocratique doit se tenir, Mousseau rappelle ensuite (troisième partie) divers modèles d’exploitation du gaz de shale ( aux Etats-Unis, au Canada, et hors de l’Amérique du Nord), avant de se concentrer (quatrième et dernière partie) sur les aspects économiques de leur exploitation, en examinant plus particulièrement les exemples de la Norvège, de l’Alberta et du Québec.

Mousseau conclut que bien des avenues s’offrent au Québec, qui peut soit refuser cette ressource, soit se convertir au gaz naturel, soit opter, comme la Norvège, pour son exploitation accompagnée d’un soutien aux énergies propres. Mais le Québec pourrait aussi «repenser l’ensemble de sa filière énergétique» et, refusant le simple calcul économique, «porter le débat à un niveau supérieur qui tienne compte non seulement des retombées à l’interne, mais également du reste du monde » (p. 145).

Avec ce livre, Mousseau apporte une précieuse contribution à la réflexion collective que cela exige.

… au service de l’action citoyenne et de la démocratie, bien malmenées

Hélas, pour le moment, trop d’indices donnent à penser que ce débat pourrait bien ne pas avoir lieu, confisqué qu’il est par des margoulins et élus à courte vue et qui ne connaissent du vert que la couleur des billets. Car le fait est que nos institutions économiques ne laissent que bien peu de chance, voire aucune, à un tel débat.

La gestion de ce dossier par le gouvernement en place a en tout cas été accablante et démontré un extraordinaire déficit démocratique fait de coupables connivences et de cadeaux mirobolants aux gazières, ces puissantes compagnies qui embauchent désormais des dizaines de lobbyistes pour chanter leurs louanges.

Le percutant documentaire de Josh Fox, Gasland, qui porte sur l’exploitation du gaz de schiste aux Etats-Unis, contient d’ailleurs une scène qui vaut son pesant de pellicule. Un citoyen qui a, comme des milliers d’autres Américains, vendu des droits d’exploitation du schiste sur son terrain — c’est le citoyen-propriétaire qui accorde ou non cette permission aux ÉU, et non l’État comme chez nous — ouvre son robinet puis approche la flamme d’un briquet de l’eau qui coule : pschitt : l’eau prend feu.

Vous prendrez bien un verre d’eau pour faire passer ça?