Maison Louvain : une agence de talents pour la gastronomie
Restos / Bars

Maison Louvain : une agence de talents pour la gastronomie

S’il existe de nombreuses agences pour la gestion de sportifs ou d’artistes, un jeune entrepreneur lance une agence spécialisée pour représenter le monde bien particulier de la gastronomie…

Avec son nom qui évoque la haute couture et ses codes d’agence d’artistes, Maison Louvain s’inscrit dans la tendance d’amener le glamour dans le milieu de la bouffe, à l’image par exemple des Lauriers de la gastronomie. Une tendance qui s’appuie notamment sur le vedettariat qui prend d’assaut de plus en plus d’acteurs de la restauration. Cuisine et cinéma, même combat?

«Le milieu de la gastronomie est en pleine effervescence en ce moment, et il n’y a rien qui s’occupe de le structurer, de donner des directions aux gens et de gérer l’individu. J’ai des amis artistes et athlètes, et pour eux le développement professionnel et personnel est très structuré grâce à leurs agents.» Pour San Langlois, il y avait une niche à occuper dans le marché. Aux États-Unis, l’agence Creative Artist Agency compte un gros volet culinaire (elle représente notamment Martha Stewart), en plus de faire aussi dans le sport et l’art. «Au Canada y’a pas ça, donc on a décidé de rentrer dans ce marché…»

Inspiré du modèle des agences de talents classiques, San décide au printemps de créer son entreprise, Maison Louvain – qui reprend le mot «maison», très présent dans le milieu culinaire. Il s’associe avec Gabrielle Corbeil, rencontrée au Regroupement entrepreneurial étudiant de l’UQÀM: elle a étudié en finance et s’intéresse à l’alimentation, et prend donc en charge le volet administratif et juridique de Maison Louvain, tandis que San s’occupe du développement des affaires. C’est cette semaine qu’aura lieu le lancement officiel de l’agence.

La mission de l’entreprise: faire rayonner la gastronomie dans la culture populaire. «Ces dernières années, on a vu l’effervescence de l’entrepreneuriat, avec l’ouverture d’incubateurs et d’accélérateurs. Maintenant c’est un milieu plus structuré, analyse San. La gastronomie est en train de monter un peu de cette façon-là et il y aura bientôt plus de monde pour structurer ces personnes. On s’est dit qu’on allait être les premiers à le faire.»

San Langlois et Gabrielle Corbeil, co-fondateurs, et Emmy Rose Bishop, chargée de projets

«Les talents ont juste besoin de créer; nous on s’occupe du reste»

Leurs clients – que l’entrepreneur appelle «talents», reprenant le vocabulaire des agences de représentation -, font tous partie du monde de la bouffe, et sont chef, mixologue, pâtissier ou encore barista. L’entrepreneur va à la recherche de ses futurs clients en écumant les compétitions de mixologie ou de cuisine, en allant dans les écoles ou en furetant sur les réseaux sociaux.

«On choisit des personnes qui excellent dans leur domaine et qui ont un bon potentiel au niveau média, qui sont capables de bien s’exprimer, indique San. On veut que les gens soient bons et qu’ils fassent de belles choses qu’on puisse voir sur les réseaux sociaux ou en restaurant, ou qu’ils gagnent des compétitions. Au niveau de la personne, on regarde comment elle s’exprime, si elle a comme valeur de promouvoir un produit responsable et de qualité; on ne travaillera pas avec quelqu’un qui veut juste faire de l’argent. Ensuite, on développe des projets avec elle.»

Parmi ces projets, beaucoup ont pour objectif de médiatiser la personne en la plaçant dans des émissions télé, en sortant un livre ou en produisant du contenu sur internet. Le plan stratégique et les objectifs dépendent surtout des envies du client. Si certains veulent juste participer à des festivals ou événements, d’autres demandent une «gestion 360», comprenant notamment gestion de l’image, relations publiques et recherche de commandites. La stratégie de Maison Louvain consiste à faire découvrir la personne au grand public, à la positionner en lui créant une identité visuelle de marque puis à la commercialiser. «Les talents, ils ont juste besoin de créer; nous, on s’occupe du reste», résume San.

SXSW et bouche-à-oreille

Parmi ses talents, l’agence cherche aussi «des gens qui innovent, qui font des choses différemment et vont apporter quelque chose de nouveau au paysage de la gastronomie». C’est le cas d’Isabella Grandic, qui fait de la recherche en agriculture cellulaire afin de produire de la viande en laboratoire. La jeune Torontoise est actuellement en finale pour participer à la conférence South by Southwest (SXSW) sur le futur de l’alimentation, qui aura lieu prochainement au Texas. «La gastronomie, c’est un domaine un peu particulier. Pour qu’un chef monte, il faut qu’il passe par des restos et qu’il ait de l’expérience, et cette expérience n’est pas nécessairement rentable. Il ne fera pas de gros salaire comme en sport ou en art, explique San. Travailler avec nous est une façon d’aller chercher une crédibilité tout en essayant d’avoir un peu d’argent.»

Les premiers clients – Maison Louvain en compte actuellement huit -, San est allé les chercher: «Je connais pas mal de monde dans l’industrie et je sais ce qu’ils veulent faire. Ceux qui avaient des projets publics, on est allés les voir.» Mais il s’agit aussi de bien expliquer le concept de l’agence, pionnière dans le milieu. «Notre approche, c’est de leur dire qu’on peut les aider à concrétiser certains projets. Un peu comme un incubateur, compare l’entrepreneur. On a aussi eu la chance de signer rapidement Valentine Thomas, qui est connue.»

Le milieu de la gastronomie au Québec étant petit, le bouche-à-oreille se fait vite. Un petit milieu qui accélère les contacts, mais qui a ses avantages comme ses inconvénients: «Ça facilite les choses parce que je connais tout le monde. Mais choisir un talent plutôt qu’un autre, ça peut aussi créer des frustrations.»

Appelez mon agent

Le financement? Comme les agences d’artistes, Maison Louvain prend des commissions sur les projets qu’elle gère. «On peut pas aller chercher d’aussi grosses marges dans ce domaine, comme les salaires sont pas si hauts, indique San. Mais on se finance beaucoup avec des projets pour des marques. Dans les contrats de consultation, on utilise l’expertise des gens avec qui on travaille pour aller chercher de l’argent.» L’agence vise ainsi des événements ou campagnes, comme ce lieu éphémère pour lequel elle a monté une carte d’alcools uniquement avec des produits québécois.

Si San n’a pas d’expérience en représentation de clients (il est diplômé de l’ITHQ en gestion de tourisme et de l’UQÀM en études urbaines), il reste confiant quant à l’avenir de Maison Louvain: «Je côtoie beaucoup de monde du cinéma et du sport, je sais comment ça fonctionne, les contrats, etc. J’ai fait un stage chez Juste pour rire, puis du marketing pour Parcs Canada. Là j’ai vu l’autre côté, la négociation avec les agents. L’Association des clubs d’entrepreneurs étudiants du Québec a aussi eu un rôle déterminant dans mon parcours entrepreneurial, au niveau des contacts et de l’expérience.»

Les contrats signés actuellement par l’agence sont d’une durée d’un an, pour s’ajuster plus tard au besoin. À plus long terme, l’agence aimerait grandir suffisamment pour avoir tous les services à l’interne, comme le graphisme, qu’elle sous-traite actuellement. Verra-t-on d’autres agences du même genre émerger? Le principal défi, s’il ne réside pas dans le fait de trouver des clients – les wannabe vedettes sont légion –, semble plutôt résider dans la structure financière. Quant aux acteurs de la gastronomie, il s’agira de pas oublier que l’essentiel se passe dans la cuisine.