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Les sophismes de la gratuité scolaire

S’il y a une notion que j’ai retenue de mes cours de philosophie, c’est bien celle du sophisme : une argumentation non valide. Ce genre de raccourci intellectuel qui sert les tribuns dans les débats publics populistes ou émissions d’affaires publiques, mais qui donne de l’urticaire à toute personne en quête de semblant d’objectivité (car l’objectivité absolue n’est peut-être pas une faculté que l’être humain peut atteindre). Nous faisons parfois des sophismes dans une argumentation endiablée, sous le coup de l’émotion, mais lorsqu’on fait une campagne d’information, il vaut mieux les oublier pour ne pas tomber dans la désinformation. Ainsi, la vidéo suivante a été publiée et financée par l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC):  La gratuité scolaire: impossible ?

Cette vidéo contient quelques écueils qu’il vaut la peine de soulever.

1) « Seulement 30 cents par jour par contribuable »

Nous comprenons tous l’analogie avec le fameux 50 cents par jour de Jean Charest. L’extrait est drôle, évidemment. Toutefois, définissons ce qu’est un contribuable. Un contribuable, c’est quelqu’un qui contribue aux dépenses publiques. En d’autres termes, c’est un payeur d’impôts. Au Québec, en tenant compte de la multitude de crédits et de la prééminence de la substance économique sur la forme juridique, on finit par se rendre compte que plusieurs Québécois ne paient pas d’impôts. Ainsi, les enfants, les gens à faibles revenus, les assistés sociaux, et autres ne paient pas d’impôt.

Donc, en fonction de la satire présentée, faisons un calcul.

Coût annuel de la gratuité :        670 000 000 $

Si on compte qu’il y a 365 jours dans une année, il faudrait 6 118 721 contribuables au Québec. Nous sommes environ 8 millions de Québécois. Ainsi, cela voudrait dire que 76 % des Québécois paient de l’impôt incluant ceux qui ne sont pas en âge de travailler. Vraiment?

2) « 670 000 000 $ par année, ça représente moins de 1 % du budget annuel du Québec »

Voici en quelque sorte un « faux dilemme ». En effet, en affirmant que le budget du gouvernement est de 72 milliards de dollars et que la gratuité représente moins de 1 %, on crée une hyberbole argumentaire. Comme si on avait le choix entre se payer la gratuité et dépenser ailleurs. Il y a aussi l’option de réduire de budget et de diminuer les impôts. Présenter le montant de 670 000 000 $ en le ramenant sur la base du budget annuel de la province a pour but de minimiser son importante valeur. Toutefois, faisons l’exercice inverse. Avec 670 000 000$, on pourrait aussi nourrir beaucoup de monde au Kraft Diner. À un prix unitaire de 1,15 $ (taxes de 14,975 % incluses), nous pourrions fournir une boîte par famille durant 582 jours à 1 million de familles ! En d’autres termes, jouer avec les statistiques en faisant du relativisme semble une façon de marquer l’imaginaire sans apporter d’essence à l’argumentation. Le premier exemple, comme le deuxième sont irrecevables.

3) Comparer l’aide financière aux entreprises avec le coût de la gratuité

L’erreur de présentation se situe au fait qu’on ne parle pas des bénéfices générés par l’aide aux entreprises : emplois, occupation de territoire, développement d’expertise provinciale, etc.  Le simple fait de comparer relativement des chiffres, ça frappe l’imaginaire, mais en quoi cela est-il comparable? Il faut comparer le rendement de l’investissement et non pas le montant en valeur absolue.

4) « Juste avec les 23 milliards qu’Hydro-Québec va gaspiller d’ici 10 ans »

Encore ici, on oublie d’actualiser les montants avant d’effectuer une comparaison (pour les gens moins forts en finance, on parle ici de mettre la valeur en dollars constants dans le temps, ou d’en ajuster la valeur pour le comparer à une date fixe en tenant compte des intérêts courrant sur toute somme d’argent). Qui plus est, on semble ne pas saisir que la capacité excédentaire de HQ pourrait éventuellement être un actif nous permettant de développer notre économie. Peut-être y a-t-il eu des erreurs stratégiques chez HQ, mais cela ne justifie pas d’en faire une autre.

5) Un calcul fiscal très erroné 

Premièrement, on compare le coût d’un baccalauréat avec un diplôme d’études collégiales en faisant une comparaison ne tenant pas compte de l’argent dans le temps.

Ainsi, comparer les 65 000 $ de trois années de baccalauréat dépensées immédiatement avec les impôts totaux supplémentaires d’un bachelier de 380 000 $ récoltés d’ici la fin de la vie du travailleur, c’est complètement erroné. Ça ressemble drôlement au  raccourci intellectuel utilisé par Régis Labeaume pour parler de la rentabilité de l’Amphithéâtre de Québec.

En actualisant les deux montants, on se rendrait compte que le rendement fiscal est inférieur à ce qui est présenté dans la publicité.  Par exemple, si le salaire du bachelier génère des impôts annuels de 10 000 $  plus élevés que celui du technicien en moyenne sur 38 ans (pour arriver au montant de 380 000$ de la vidéo), nous obtenons une valeur actuelle nette de 168 680 $ avec un taux d’actualisation de 5%. Donc, le calcul présenté est totalement biaisé et disproportionné quant à la réalité. Pourquoi doit-on actualiser les montants? Simplement parce que l’argent investi dans la gratuité pourrait être utilisé outre part pour réduire la dette, faire des investissements, etc. Ainsi, c’est un coût de renonciation ou un rendement espéré dans le temps. Augmenter le coût de renonciation (taux d’actualisation) désiré c’est diminuer encore la rentabilité d’un diplômé. D’ailleurs ici, l’hypothèse de 10 000 $ par année est optimiste puisque l’écart entre les salaires se creuse avec le temps. Par conséquent, leur impact net est moindre puisque cet écart est actualisé sur une plus grande période.

6) Une erreur majeure de logique financière

Parmi toutes les erreurs de calcul, le fait de dire que la gratuité sera rentable est d’oublier le concept de valeur actuelle nette. Ainsi, le bon calcul serait de présenter le nombre supplémentaire d’étudiants qui auront accès aux études universitaires à cause de la gratuité. Il faut être logique, sans gratuité scolaire et les diplômés existent quand même. Donc, pour savoir si la gratuité est « rentable financièrement », comme la vidéo le prétend, il faut comparer les coûts de la gratuité avec la contribution marginale des étudiants supplémentaires sur les bancs universitaires.  Et tout cela, il faut le faire en tenant pour acquis qu’il y aura des emplois pour tous les diplômés supplémentaires, qu’il n’y aura pas de gaspillage lié à la gratuité, etc.

Conclusion :

Présenter de l’information objective, c’est une question de « vo-lon-té ». Peu importe notre point de vue dans ce débat commençant à prendre des proportions débiles, il demeurera stérile d’effectuer des raccourcis intellectuels de la sorte. À moins bien sûr que le but soit de tomber dans un dialogue de sourds à la Duhaime contre Lisée.

Indexer les frais de scolarité en fonction du coût de la vie, ce n’est pas nuire à l’accessibilité, mais plutôt maintenir le même niveau que celui des générations précédentes. Il est temps de retourner sur les bancs d’école et de montrer à la population que le Québec de demain vaut la peine d’être encouragé.

La prochaine fois que l’Alliance de la Fonction publique du Canada a de l’argent à perdre sur une vidéo se voulant informative, je lui offre gratuitement mes services pour analyser la logique des calculs avant la publication.  Parce que faire la promotion d’une telle vidéo, c’est démontrer l’analphabétisme financier de son organisation.