Ana : Généalogie maudite
Scène

Ana : Généalogie maudite

Ana nous invite à un éclectique voyage autour du monde à la rencontre d’une lignée de femmes au pouvoir mystérieux, prisonnières d’une accablante malédiction.

Première femme née de la déesse sumérienne Inanna dotée du pouvoir de se multiplier, Ana se dédouble à son tour chaque fois qu’elle se trouve devant un choix. Ainsi, lorsqu’elle devient mère, l’une décide de garder l’enfant, l’autre le tuera. De cet infanticide, les descendantes de l’Ana meurtrière garderont le souvenir, qu’elles soient Viking, prostituée durant la Révolution française, victorienne ou clocharde à Montréal en 2012.

Ayant germé dans la tête de l’Écossaise Clare Duffy et du Québécois Pierre Yves Lemieux, le duo d’auteurs à l’origine de cette pièce bilingue, l’idée de décliner en diverses époques, divers âges et divers coins du monde une femme portant le stigmate de sa lignée maudite promettait un regard original sur la filiation. Outre le métissage culturel, la pièce permet de confronter plusieurs destins de femmes et leurs visions du monde à travers l’histoire, avec quelques clins d’oeil amusants dont cette femme voilée dans un pays en guerre qui lit la poésie d’une hippie de Vancouver des années 1970. L’exercice s’éparpille toutefois en un assemblage bigarré de tableaux créant une oeuvre inégale. Les constants va-et-vient entre les registres comique et dramatique, virant parfois au pathos, et l’accumulation de personnages très contrastés étourdissent.

La mise en scène soignée de Serge Denoncourt épouse pourtant avec grâce certaines transitions grâce à un éclairage élégant et des projections tout en mouvement et en subtilité, mais entre les nombreux tableaux, un maître de cérémonie incarné par Alain Goulem nous fait des mises à jour du déroulement de la pièce qui en brisent le rythme. Cet acteur canadien-anglais qui joue tous les rôles masculins de la pièce ne relève qu’en partie le défi, moins à l’aise dans ses rôles francophones qu’anglophones. À ses côtés, la solide distribution (notons la performance endiablée de Catherine Bégin en peintre itinérante) ne trouve pas sa constance dans l’éclectisme de l’oeuvre.

Créature magique, bête de cirque, première femme sans être l’Ève du mythe judéo-chrétien, Ana n’en demeure pas moins porteuse d’une faute, le tabou ultime de l’infanticide dont elle ne parvient pas à se débarrasser. Tour à tour prostituée, hystérique, mère incapable, folle ou artiste rejetée à la rue, la femme demeure tout au long de la pièce un être stigmatisé. Plutôt réductrice, voire misogyne, la représentation de la femme souffre en partie de la multiplication des personnages qui freine l’approfondissement de sa psychologie, mais surtout de l’image déprimante d’un héritage négatif dont on n’arrive pas à s’extirper. Malgré une scénographie et un jeu de qualité, Ana demeure une oeuvre hétéroclite et fataliste.