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Attaquer gratuitement une librairie

La librairie, un lieu qui se veut plus qu’un lieu où l’on vend des livres. Des endroits où l’on vend des livres, il en pullule, à la pharmacie, au dépanneur de la gare, chez Loblaws, Wal-Mart, Costco. La libraire, la vraie, celle née d’une vocation me donne une émotion peu commune quand je pénètre en son antre.

Hier, Marsi a eu un coup de foudre pour la librairie Le Port de Tête. J’en étais toute heureuse car c’est moi qui la lui ai présentée. Je n’y avais jamais mis les pieds et j’étais curieuse de la visiter. À chaque fois que j’en entendais parler, j’y sentais, même de loin, de l’effervescence. Plusieurs lancements y ont cours et je comprends maintenant pourquoi, elle m’a fait sentir ce quelque chose qui ressemble à s’y sentir chez soi, par affinité. Deux grandes pièces éclairées, rayonnantes de rayonnages, des planchers de bois blond qui craquent, des libraires qui déballent les livres devant nous, balaient les feuilles d’automne qui entrent en même temps que le client devant nous. Mais surtout une énergie qui ressemblent à « on est heureux d’être là, on croit à ce que l’on fait ». Le neuf côtoie le déjà lu, ce dernier à l’apparence si soignée que l’on distingue difficilement un de l’autre. J’ai aimé cette confrérie.

Dans ma région (l’Estrie), il a été instauré récemment les Cafés de village, pour souligner ces établissements où le client se sent chez lui. Il y aurait pour moi des librairies de village. Pareil au journal qui a son identité, une maison d’édition, son éditorial, la librairie a sa couleur. Elle porte un message par sa sélection de livres. La bouquinerie n’est pas là pour offrir le plus de titres possibles dans le plus d’espace possible. Le libraire n’est pas qu’un vendeur de livres, il cause en connaissance de cause, avec cœur et passion, guide le lecteur qui arrive avec un sujet, parfois sans titre et sans auteur. C’est un lieu commercial, mais on l’oublie. On s’y sent libre de feuilleter, d’hésiter et de repartir avec aucun livre sous l’aisselle. Hum …. l’aisselle, ceux qui ont lu récemment Pierre Flogia me voient venir.

C’est connu dans le milieu, si Foglia dit d’un livre « C’est bon », une vague du succès déferle. Les libraires commandent le titre, la maison d’édition est heureuse, l’écrivain exulte. L’éditeur va même jusqu’à faire imprimer un bandeau rouge pour y inscrire une exclamation de monsieur Foglia. Quelle responsabilité, que dis-je, quel pouvoir donne-t-on à cet homme parmi tous les hommes !

En est-il conscient ? Je me le demande le plus sérieusement du monde. Il est facile d’en arriver à rouler sur le pilote automatique, c’est pas mal moins exigeant que se poser à chaque fois des questions sur la portée de nos écrits ou nos humeurs. Facile de revêtir son rôle de chroniqueur sans plus réfléchir à l’effet que nos écrits peuvent avoir sur les institutions, les gens, les événements, les mentalités, les livres … les librairies.

Dans une récente chronique, monsieur Foglia a encensé «La fiancée américaine » d’Éric DupontMarchand de feuilles, roman qu’il a reçu en service de presse avec ce mot de l’éditrice, Mélanie Vincelette : «Monsieur, voici un roman dans lequel une jeune fille tue son frère avec une tarte au sirop. Si vous ne l’aimez pas, déchirez-le en mille miettes et donnez-le à bouffer à vos ratons.» Tant mieux si en fine mouche qu’elle est, l’éditrice a su amadouer l’ours avec du sirop. Ce roman sera lu par plus de personnes. Mais ce qui m’a jeté à terre (j’y suis encore) est qu’en plein cœur de sa critique élogieuse, il a décoché une baffe à la librairie Le Port de tête. Y avait-il un lien avec sa critique ? Aucun. Absolument rien pantoute ne justifiait cette sortie. Un geste gratuit, juste parce que ça lui tentait.

Il est déplorable, lamentable même, qu’un chroniqueur n’ait plus le temps, ni l’énergie, ni la motivation de se poser des questions sur la portée de ses humeurs, de ses paroles, de son pouvoir. Et s’il a du pouvoir ce Foglia, c’est parce qu’on en lui donne.

J’espère que son geste mesquin aura l’effet contraire ; attirer l’attention sur cette librairie qui se dévoue pour la littérature, et je fais tout pour ça. Sur la Toile, ils ont été quelques uns à s’offusquer, ressort du lot, Michel Vézina, un fidèle lecteur* des textes du « puissant » chroniqueur. Il l’a amicalement traité de vieux con pour le 10 % de ses chroniques qui sont du « n’importe quoi ». Perso, aucune envie ne me vient de le traiter de vieux con, mais j’ai énormément de difficulté à continuer à gober le 90% de sa substance qui ne serait pas conne. En fait, Foglia m’a retirée toute envie de lui donner du pouvoir. Dans mon livre à moi (je vous jure que je n’abuse pas de cette expression !), quand on commence à abuser du pouvoir, notre règne devrait s’achever.

= @ =

* Pourquoi donc t’en prendre au Port de tête, Pierre? Une librairie? Que tu l’aimes ou non, ça reste une petite librairie qui fait son travail de librairie en assumant ses choix et en entretenant avec ses lecteurs une vraie relation littéraire, non? Ce n’est peut-être pas TA librairie, mais ça reste UNE librairie, une vraie. Et une bonne. Tes 450 exemplaires d’un livre en vitrine, c’est peut-être justement qu’il y était lancé le soir même, le livre. Et c’est bien qu’une librairie fasse des lancements, tu ne crois pas?
Michel Vézina