Dans les potagers des restos
Restos / Bars

Dans les potagers des restos

Du potager à l’assiette, sans intermédiaire. C’est le principe que veulent suivre ces chefs qui cultivent leur propre potager pour alimenter leurs cuisines, s’inscrivant dans la tendance du locavorisme. Si le concept n’est pas nouveau, de plus en plus de restos en sont adeptes…

Dans son potager de 2000m² sur l’Île d’Orléans, le jardinier-maraîcher Alexandre Faille cultive des légumes, des fruits et des herbes aromatiques. Sur ces terrains qui appartiennent à l’Auberge Saint-Antoine, un Relais & Châteaux dans le Vieux-Québec, il s’occupe d’une centaine de variétés différentes. Autant de produits qu’on retrouve dans les assiettes du Panache, le restaurant de l’Auberge… Car dans ce resto, le menu dépend des récoltes du potager: «C’est le végétal qui lance le plat, indique le jeune chef Louis Pacquelin. Je pars toujours du légume, pour le mettre en avant.»

«Avec le chef, on se parle presque quotidiennement pour préparer le menu, explique Alexandre. C’est vraiment un échange: il a des idées de recettes avec certains légumes, et moi je fais des recherches et des essais pour voir s’il est possible de les faire pousser.» Le jardinier valorise les légumes du Québec et les aliments patrimoniaux, amenant beaucoup d’idées au chef. En été, 90% du contenu des assiettes servies au Panache provient du potager, que le chef veut utiliser le plus possible – même le salage des plats est fait avec des herbacées.

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Ses légumes, Louis les travaille comme des viandes, avec des salaisons, des fumages… Des techniques qui lui permettent de les conserver et de les servir en hiver, pendant que le maraîcher prépare la saison et étudie les catalogues de semis. «Louis utilise la lactofermentation, les conserves et le séchage des aliments pour utiliser le plus possible les produits du potager hors-saison, raconte Alexandre. Cette cuisine, c’est un peu un laboratoire où il essaie plein de choses. Il est très créatif…»

Philosophie de la cuisine

Le jardinier doit parfois freiner Louis, par exemple quand ce dernier demande certaines plantes sauvages qu’Alexandre, qui prône la cueillette écoresponsable, ne veut pas récolter en trop grande quantité. En cuisine, les légumes du potager demandent deux fois plus de travail que ceux aux tailles et formes standardisées qui proviennent de magasin; le Panache est un restaurant gastronomique et doit soigner la présentation… «Nos légumes font une différence, ça permet vraiment au restaurant de se démarquer, assure le jardinier. Les serveurs communiquent beaucoup avec les clients qui veulent en savoir plus, et parfois certains viennent même visiter le potager…»

Si le Panache fonctionne ainsi depuis huit ans, les dernières initiatives québécoises de potagers mises en place par des restos sont plutôt récentes, entraînées par la prise de conscience autour de l’importance de manger local. Le HVOR, un resto qui vient d’ouvrir ses portes dans le quartier montréalais de Griffintown, a ainsi installé un potager sur sa terrasse. Fraises, camomille, kale, romarin, choux, lavande, mais aussi des variétés plus exotiques comme de la citronnelle ou des kiwis… le potager alimente le resto et deviendra une serre à la saison froide.

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«On essaie de choisir des variétés différentes de ce qui se trouve en épicerie, explique le chef S’Arto Chartier-Otis, un fan de jardinage. On a de la sauge melon, du thym jamaïcain… C’est comme un mini jardin botanique, un plus que les clients sont curieux de voir. On veut aussi leur ouvrir les yeux sur ces petits producteurs qui font un produit spécifique.» Le reste des aliments provient de fermes locales, qui ont la même sensibilité quant au produit. «On a le cheminement inverse de la plupart des restaurateurs: le menu est fait en fonction des produits disponibles, et pas le contraire, souligne le chef. Un concept qui colle à 100% à ma philosophie de la cuisine…»

Créer une prise de conscience

Mais avec un potager de 900p², il n’y a pas de quoi remplir toutes les assiettes. «Le potager est un bonus, je ne vise pas l’autosuffisance, justifie le chef. Mais ça permet d’ajouter un contact direct entre le client et le produit, de créer une prise de conscience. Ça apporte aussi une autre étape à l’expérience resto, pour ne pas juste rester assis devant son assiette…» Alors qu’Alexandre, du Panache, reconnaît que la production au potager n’est pas forcément rentable pour certains légumes, S’Arto assume complètement qu’«un potager urbain c’est cool, mais ça n’est pas un bon choix économique pour un resto».

«Sans que le potager soit là que pour faire beau, il est irréaliste de dire que toute la cuisine peut être basée dessus», poursuit le chef du HVOR. Ou il faudrait une immense superficie à jardiner pour une clientèle d’une vingtaine de personnes… Le potager, plutôt «comme un assaisonnement sur un plat», alors? Il s’est en tout cas fait une place dans de nombreux restaurants en France, inspirés notamment par le concept de «naturalité» du chef Alain Ducasse, et se développe de plus en plus en Amérique du Nord – on pense par exemple au Toqué! ou au restaurant du Hyatt à Montréal, qui ont installé des potagers sur leurs toits.

Si l’idée semble récente, il s’agit d’un fonctionnement plein de bon sens et qui paraît plutôt logique; un retour aux racines, en fait. Pour un resto, avoir son propre potager permet de limiter les transports, d’optimiser la qualité et la conservation des produits et de recycler les déchets de cuisine. Tout en allant dans le sens de la politique de l’extrafrais et de la nourriture traçable, chère au consommateur d’aujourd’hui. «Les gens sont de plus en plus conscients de la nécessité de manger local, et nous on prouve que ça peut se faire», ajoute Alexandre.

Pour lui, l’émergence du potager dans le monde de la restauration est un mélange de plusieurs choses: «C’est en partie une mode, avec le locavorisme, la culture urbaine, etc., mais c’est aussi lié à un réel besoin, à la suite de la montée des prix des légumes cet hiver par exemple.» En attendant, la nouvelle tendance en Europe est d’intégrer directement le potager dans le restaurant, au moyen de serres verticales ou même en installant les tables au milieu des plantations… Difficile de faire plus local.