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Non, on n’a pas trouvé d’extraterrestres (prise V)

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Je sais que cela fait pratiquement un an que je n’ai pas écrit. Entre le boulot, les rénovations du sous-sol et les multiples réparations de ma sécheuse (c’est devenu une mauvaise blague), j’ai réussi aujourd’hui à me remettre au clavier.

Bien que cela me démange d’écrire sur le Pacte de transition, pour mon retour ce sera encore une fois la question de la découverte de trace d’intelligence extraterrestre dont je traiterai.

En effet, cette semaine les médias se sont fait la manchette que l’objet ʻOumuamua soit en fait une sonde interstellaire envoyée par une civilisation extraterrestre pour nous étudier. Cette nouvelle faisant suite à une publication par les astrophysiciens Shmuel Bialy et Abraham Loeb de Harvard Smithsonian Center for Astrophysics dans Astrophysical Journal Letters au sujet du comportement de particulier de cet objet.

Il faut d’abord savoir que la découverte de ʻOumuamua a été annoncée le 19 octobre 2017 par le télescope PanSTARRS 1. Quelques jours plus tard, le 26 octobre 2017, le Catalina Sky Survey découvre des observations 14 et 17 octobre dans ses archives. Ces dernières n’avaient pas été repérées par algorithmes de détection automatique. À ce moment, on croit avoir affaire à une comète, en raison de l’orbite extrêmement excentrique de l’objet. Cependant, le 6 novembre 2017, il est formellement reclassé comme « objet interstellaire », car l’orbite de cet objet montre qu’il provient de l’espace intersidéral. C’est la première fois que l’on observe un tel objet. Il est alors désigné 1I/2017 U1 ʻOumuamua, selon la nomenclature de l’Union astronomique Internationale. On suivra l’objet quelque temps alors qu’il s’éloigne rapidement du Soleil. C’est le télescope spatial Hubble qui fera la dernière observation le 2 janvier 2018.

Le nom ʻOumuamua, en hawaïen, signifie « éclaireur » ou « messager ». Étymologiquement « Ou » signifie « vouloir tendre la main » et « mua », avec le second « mua » qui met l’accent, signifie d’abord « en avance de ».

Étant donné sa nature exceptionnelle, l’objet a fait l’objet de nombreuses observations par à peu près tout ce qu’il existe comme instrument de mesure en astronomie. Cela a aussi entraîné la production d’une orgie d’articles scientifiques traitant des caractéristiques observées de cet objet unique et des hypothèses sur sa nature et sa provenance.

Il est d’une couleur rouge similaire à d’autres objets du système solaire et suggère une surface couverte de matière organique. Sa rotation est relativement lente et chaotique, ce qui est probablement le signe d’une collision passée. D’après ce que l’on sait aujourd’hui, cet objet est particulièrement étrange en raison de sa forme qui est extrêmement allongée déduite des grandes fluctuations de luminosité observée (un ratio d’environ 6 pour 1) qui lui donne la forme approximative d’un cigare. Ses dimensions seraient de (230 m–1000 m) × (35 m–167 m) × (35 m–167 m). Sa taille n’est déterminée que pas sa luminosité, ce qui explique la grande incertitude. Il est à noter que cette forme allongée est elle-même incertaine en raison du nombre limité d’observations qui ne permet pas de reconstruire correctement la forme. Alternativement, il pourrait aussi avoir une forme oblate (forme de galette), au lieu de prolate (ballon de rugby).

Bourbe de lumière simulée (wikipedia)
Courbe de lumière simulée (wikipedia)

On ne sait pas d’où il vient, si ce n’est que sa vitesse est compatible avec la vitesse moyenne des étoiles à proximité du Soleil. Il n’est pas vraiment possible de trouver son étoile d’origine et il est fort possible qu’il se déplace dans l’espace depuis une époque extrêmement lointaine (des centaines de millions d’années) et puisse même provenir d’une région éloignée de notre galaxie.

L’observation qui a nourri le plus d’intérêt dans la controverse actuelle est la découverte d’une accélération non gravitationnelle dans le mouvement de cet objet. En soi, cela n’est pas surprenant, car ce phénomène est observé chez les comètes. En effet, ces dernières s’évaporent lorsqu’elles s’approchent du Soleil, les jets de gaz se comportant alors comme des propulseurs de fusée. Or, dans le cas présent, on n’a observé aucun jet de gaz. De plus, de tels jets risqueraient de faire tourner ʻOumuamua à une telle vitesse, qu’il exploserait en miettes. Donc, à première vue, ʻOumuamua n’est pas une comète et présente quand même une accélération non gravitationnelle, ce qui pose un défi théorique.

À partir de cette observation, Bialy et Loeb ont simplement supposé que toute l’accélération provenait de l’effet de la pression de lumière. En effet, la lumière est composée de particules, les photons. Ces derniers en percutant une surface lui transfèrent une quantité de mouvement, exerçant ainsi une pression. Cette pression est très faible, mais dans l’espace elle est cumulative de sorte qu’elle peut avoir un effet non négligeable. C’est d’ailleurs l’idée derrière le concept de voile solaire, qui permet de se déplacer dans l’espace sans emporter de carburant.

Or, Loeb est lui-même un spécialiste des voiles solaires et a écrit plusieurs articles sur le sujet en plus de participer au projet Breaktrough Startshot. Il a donc très facilement calculé que si ʻOumuamua est une voile solaire, sa densité de surface devrait être de l’ordre de 0,1 g/cm2, ce qui se traduit par une épaisseur de 0,3-0,9 mm avec des matériaux courants. Une telle voile pourrait voyager dans l’espace pendant des milliers d’années-lumière avant d’être freinée par le quasi vide de l’espace selon ses calculs. Donc, cette idée n’est pas complètement farfelue, dans la mesure où elle respecte les lois de la physique.

Remarquez que ces chercheurs n’étaient pas les seuls à avoir examiné l’hypothèse extraterrestre. En effet, la possibilité que des sondes extraterrestres visitent ou même se cachent dans le système solaire est une hypothèse évoquée depuis fort longtemps dans la communauté scientifique. Notez cependant que ces dernières n’ont rien à voir avec les ovnis et les petits gris. On parle plutôt de sondes automatisées d’exploration spatiale.

Dans le cas présent, au moins 3 équipes ont essayé de détecter des émissions radio en provenance de ʻOumuamua. Malheureusement, on a rien détecté qui dépassait 0,08 W (un cellulaire c’est quelques watts), hors des bandes polluées par les satellites. Évidemment, cette non-détection n’a pas fait la manchette.

Afin de lever le mystère, l’idéal serait de se rendre sur place afin de voir ce qu’il en est. Cependant, étant donné la vitesse énorme en jeu, la technologie actuelle ne permettrait pas de rejoindre ʻOumuamua à moins d’utiliser tous les trucs de la mécanique orbitale ; en particulier, la manœuvre de Oberth. Cette technique consiste à utiliser ses moteurs dans le fond d’un puits gravitationnel, ce qui permet d’utiliser l’énergie potentielle gravitationnelle d’un carburant en plus de son énergie chimique, ce qui permet d’augmenter considérablement la performance des moteurs.

Dans le cas présent, l’idée serait de lancer la sonde vers Jupiter afin d’utiliser son champ gravitationnel pour l’accélérer et la relancer ensuite vers le Soleil (comme la sonde Ulysse). Une seconde accélération serait alors obtenue en s’approchant au plus près du Soleil (3 rayons solaires) avant de se catapulter vers ʻOumuamua.

Il a été démontré que, sur la base des technologies existantes, telles que celles de la sonde solaire Parker, les lanceurs tels que le Falcon Heavy de Space-X ou le SLS de la NASA, on pourrait envoyer des sondes spatiales ayant des masses de dizaines voir des centaines de kilogrammes, si elles sont lancées en 2021. Des performances encore supérieures sont possibles en ajoutant une manœuvre supplémentaire contenant un rendez-vous avec Saturne. Évidemment, il est illusoire de produire de telles sondes dans les délais prescrits. Cependant, il n’est pas inimaginable de préparer dans l’avenir une mission d’interception en prévision du passage d’un tel visiteur interstellaire.

On ne connaîtra vraisemblablement jamais la véritable nature de ʻOumuamua. Cependant, avec la mise en œuvre des nouveaux programmes de surveillance du ciel, il est probable que ce genre de découvertes soient courantes dans un futur proche. On en saura alors plus sur ces mystérieux visiteurs des étoiles.

Dans la série :

Non, on n’a pas trouvé d’extraterrestres (prise IV)

Non, on n’a pas trouvé d’extraterrestres (prise III)

Non, on n’a pas trouvé d’extraterrestres (prise II)

Non, on n’a pas trouvé d’extraterrestres