Marc Séguin : Art de vivre
MARC SÉGUIN est l’un des rares peintres de sa génération à pouvoir vivre de son art au Québec. Son travail fait actuellement l’objet de trois expositions solos.
De bonnes fées se seraient-elles penchées sur son berceau? Marc Séguin n’a que 30 ans, et il a déjà une bonne renommée dans le milieu de l’art contemporain.
Depuis 1995, date à laquelle le jeune peintre a obtenu son bac en arts visuels à l’Université Concordia, sa carrière a été fulgurante: un solo à la Galerie Plein Sud, une participation à l’événement Artifice et une autre à De fougue et de passion, une expo de dessins à la Galerie Trois Points, et, finalement, le prix Pierre-Ayot en 1998. Un démarrage sur les chapeaux de roues…
Ces jours-ci, Marc Séguin n’a pas une importante expo, mais trois! À la Galerie Madeleine Lacerte, à Québec, il présente une série de tableaux au goudron. Toujours chez Trois Points, il expose des gravures "à la manière noire". Et, surtout, le Musée d’art contemporain (MAC) lui consacre un solo composé de six tableaux qui devrait circuler en Europe, l’an prochain, en commençant par le Centre culturel canadien à Paris.
Rencontré dans son atelier, rue Bellechasse, Marc Séguin n’a pourtant pas la grosse tête. Quand il affirme: "Je vis de ma peinture", on a plus le sentiment qu’il parle de l’enrichissement intellectuel que lui procure cet art (auquel il consacre "près de 70 heures par semaine") que de son succès auprès du public… Pourtant, il est l’un des rares peintres de sa génération à pouvoir vivre de son art au Québec et même au Canada, sans l’aide de subventions de l’État, grâce principalement à des collectionneurs canadiens et américains. "Il n’est pas rare que des acheteurs pour des corporations reviennent me voir pour leurs propres collections", souligne l’artiste fier de cette preuve d’estime.
La production de Séguin trouve ses influences auprès d’une grande diversité d’artistes. Il évoque alors son intérêt pour "Pierre Dorion, François Lacasse, les tableaux d’Attilla Richard Lukacs, en particulier ceux sans références historiques et qui tiendront la route bien plus longtemps, Le Caravage…"
Sur une table de son atelier, entre une biographie de Mozart et Détruire la peinture de Louis Marin, sont déposés un livre sur le peintre Chaïm Soutine et un ouvrage sur les paysages de Gerhard Richter qu’il affectionne particulièrement… "J’aimerais avoir dans mon travail la liberté créatrice dont a fait preuve Richter. Il a eu le courage de ne pas se cantonner dans un genre en particulier et de continuer ses recherches sur l’abstraction ainsi que sur la figuration à un moment où cela n’était pas à la mode".
Et de la mode, Séguin semble se méfier. "Ma peinture ne se veut pas de l’ordre de cette ironie qui s’est tant développée dans les années 90 et dont on fait vite le tour. Mais, par ailleurs, je ne veux pas revenir à une peinture qui parlerait seulement de peinture." Son art se veut alors "non pas une réconciliation, mais plutôt une tension entre figuration et abstraction, entre des zones visuellement plus reconnaissables et d’autres plus arides".
Ce riche écartèlement, ce dialogue entre ces deux formes d’art, l’amateur pourra donc l’expérimenter grâce au solo de ses tableaux récents et inédits au MAC, dans lesquels des zones totalement noires où éclatent parfois des taches très colorées s’opposent à des figures humaines qui souvent expriment un intense mal de vivre. On y remarquera, en particulier, un tableau presque totalement abstrait qui évoque beaucoup le travail de Riopelle (un autre artiste qui n’a pas eu peur de questionner les limites entre abstraction et figuration), ainsi que celui d’un homme en blanc sur un fond blanc (Sans titre).
Grâce à ces trois expositions, l’amateur pourra avoir une vision d’ensemble de la création de Séguin. Mais l’artiste prévient le public: "Après ces événements, je n’exposerai plus rien à Montréal pendant au moins trois ans." Cela voudrait dire que son succès va l’amener à poursuivre sa carrière ailleurs? "Je ne fais pas partie de ces artistes mercenaires qui vont là où il y a le fric."
Jusqu’au 4 février 2001
Au Musée d’art contemporain
Jusqu’au 23 décembre
Chez Trois Points
Nicolas Baier
Dire que j’ai aimé son expo au Centre des arts actuels Skol, l’an dernier, serait un euphémisme. La Liquidation Niko & co du photographe Nicolas Baier m’avait tout simplement émerveillé. Depuis, ce jeune et brillant artiste de 32 ans, qui a déjà derrière lui un très impressionnant parcours (avec entre autres une participation très remarquée à De fougue et de passion au Musée d’art contemporain en 97), a su maintenir avec force notre intérêt.
Cet automne, ses trois monumentales images à la Biennale de Montréal en étaient une des attractions majeures. Cet événement vient à peine de s’achever que les Montréalais ont l’occasion de voir un peu plus ses recherches photographiques où le passage du temps semble être une constante. Les collectionneurs qui commencent à s’arracher sa production ainsi que le grand public ne seront pas déçus.
Certes, au premier coup d’oeil, les deux photos exposées (l’une d’une plante morte, l’autre d’un simple mur d’un espace en chantier) dans la petite salle du Centre d’art contemporain Optica – ainsi que l’image d’une plante grasse envoyée par courrier et accompagnant l’événement – semblent moins spectaculaires que ce à quoi il nous avait habitués. Mais, malgré l’extrême simplicité de son travail très épuré, toujours la même magie s’en dégage.
Baier continue, avec des images fragmentées, à nous parler de la vie et du quotidien avec sensibilité et intensité, et ce, d’une manière qui n’est pas sans évoquer les recherches photographiques de David Hockney (qui lui-même souhaitait prolonger les études des cubistes). Il est donc en bonne compagnie.
Deux superbes textes accompagnent son expo. Le premier, de Baier lui-même, est d’une poésie des plus touchantes. Le second, signé par l’artiste Emmanuel Galland, présente avec intelligence la carrière de cet important photographe. À voir et à lire, donc.
Jusqu’au 9 décembre
Chez Optica
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