Mathieu Beauséjour : Le diable au corps
Arts visuels

Mathieu Beauséjour : Le diable au corps

L’artiste MATHIEU BEAUSÉJOUR signe une petite mais très curieuse exposition à partir d’une diabolique histoire d’argent. Entre le crime de lèse-majesté, le supranaturel et le  canular.

L’argent serait-il une invention diabolique? Dans sa plus récente exposition intitulée Devil’s Face, Mathieu Beauséjour raconte une histoire qui fera réfléchir sur le sujet. À la limite apeurante, elle vous fera presque dresser les cheveux sur la tête…

Récemment, l’artiste a mis au jour un événement, des plus extraordinaires, ayant eu lieu voilà un demi-siècle. Cela commence ainsi: "En 1954, une plainte d’un citoyen stupéfait se fait entendre à la Banque du Canada; les cheveux de la reine laissent apparaître les traits d’un visage démoniaque derrière l’oreille…" Les billets de banque émis cette année-là doivent être retirés de la circulation. Se multiplient alors les spéculations quant au pourquoi et au comment de cette étrange apparition!

Non, ni la Couronne britannique ni la Banque centrale de notre pays ne sont liées à une secte satanique. Toutefois, les faits semblent trop surprenants pour être le simple produit du hasard… Alors, comment expliquer que le réseau de frisettes formant la chevelure de notre souveraine se soit mis en place pour former l’image d’un diablotin? Blague d’un farceur ou, plus sérieusement, geste iconoclaste d’un nationaliste québécois, d’un sympathisant de l’IRA ou d’un républicain convaincu? Le responsable est-il le coiffeur d’Élisabeth, le photographe officiel de Sa Très Gracieuse Majesté, le graveur du billet de banque ou s’agit bien réellement de forces plus maléfiques?

Dans le récit présenté par notre artiste enquêteur numismate s’ensuivent alors une série d’événements, tous plus fantastiques et plus rocambolesques les uns que les autres, oscillant entre le crime de lèse-majesté, le supranaturel et le canular.

L’ensemble de cette histoire documentée et illustrée par toute une série d’artefacts et de documents – dont une pile de cornes de bouquetins ayant peut-être servis de modèles aux ramures de la coiffe royale – forme une petite mais très curieuse expo. Elle s’inscrit avec intelligence dans la démarche de Beauséjour qui a fait des billets de banque son matériau privilégié pour ses créations artistico-socio-politiques. Il a, par exemple, estampillé des milliers de billets (d’un sceau marqué Virus de survie) mettant l’accent sur le caractère double de l’argent: à la fois instrument de liberté mais aussi poison qui mine le quotidien de nos vies.

Je vous laisse le plaisir de vous rendre dans les nouveaux locaux – depuis cet été – de la Galerie Verticale (au 2084, boulevard des Laurentides, à Laval) pour découvrir la suite de cette histoire qui défie la logique. Vous pouvez aussi compléter votre visite en allant dans le site Internet suivant: www.agencetopo.qc.ca/devilface.

Par ailleurs, toujours à la Galerie Verticale, Catherine Bolduc a installé une sorte de ville orientale en miniature qui tient à la fois de la maison de poupées et du château de contes de fées. Elle est composée de bouteilles de verre superposées, un peu comme les sculptures de Tony Cragg ou les urnes de Thomas Schutte. S’agit-il d’une prison de verre pour les rêves d’une jeune fille en attente de son prince charmant? Cela s’intitule AffectionLand, et nous parle de l’enchantement, du quasi-envoûtement, que proposent les palais de Disneyland et autres utopies amoureuses digne de Blanche-Neige ou de Barbie…

Jusqu’au 17 décembre
À la Galerie Verticale

La démesure de la douleur
"Mémorial monumental, L’arrache-coeur se veut le témoin des mutilations sexuelles dont ont été victimes jusqu’à maintenant 120 millions de femmes à travers le monde." C’est par ces douloureux mots que l’historienne de l’art Francine Tousignant amorce son texte de présentation de la plus récente installation de Nathalie Maranda, à la maison de la culture Frontenac.

Madame Tousignant poursuit avec une liste de faits tout aussi insoutenables: "À chaque jour, 6000 jeunes filles sont confrontées dans le silence à cette pratique demeurée taboue. À chaque minute, cinq fillettes se dirigent irrémédiablement vers la souffrance et la mort".

Il était donc plus que justifié que Maranda tente grâce à son art de sensibiliser le public à l’horreur d’une telle barbarie qui, rappelons-le, n’est imposée par aucune règle religieuse ni aucune loi, et qui tient finalement de la coutume… Malheureusement, une bonne cause ne garantit pas nécessairement la qualité d’une oeuvre d’art, ni d’une expo. Et cette dernière est à moitié réussie.

L’installation de 330 panneaux de métal, servant de carcans à des tableaux représentant des peaux mutilées et tuméfiées, est trop littérale et, surtout, trop monumentale. Certes, la gravité du propos pouvait justifier une oeuvre qui soit comme un gigantesque cri. Mais il y a des gémissements et des silences qui disent plus de douleur que de grandes paroles. Le sujet demandait un rapport à l’intime qui soit plus contrôlé. Comme chez Kiki Smith, qui nous a montré comment, avec très peu de moyens et des objets parfois très petits, on pouvait évoquer une douleur physique et psychologique incommensurable.

C’est d’ailleurs pourquoi la deuxième oeuvre de Maranda est bien plus forte. Au fond d’un petit espace attenant, presque comme un couloir – de la mort? – l’artiste a placé une série de 1500 papillons (qui font penser à une pièce de l’artiste anglais Damien Hirst) épinglés, atrophiés… Le bruissement de leurs ailes empli l’espace et glace d’effroi le spectateur. L’effet d’emprisonnement et de fragilité y est évoqué avec grande intensité. À voir tout de même en se demandant bien comment il sera possible de faire disparaître de telles pratiques.

Jusqu’au 14 janvier
À la maison de la culture Frontenac

À signaler
L’artiste Gilles Mihalcean a été retenu par la Ville de Montréal pour créer une oeuvre d’art public pour le rond-point situé à l’angle de l’avenue Atwater et de la rue Centre, dans la partie sud du quartier Pointe-Saint-Charles. Mihalcean, dont on a pu voir une rétrospective de l’oeuvre très poétique au Musée d’art contemporain en 1995, n’en est pas à ses débuts en art public. Il a déjà réalisé une sculpture extérieure pour le jardin du Centre d’histoire de Montréal (La Peur) et une autre pour l’esplanade de la Place des Arts (Vu du Mont Royal). L’inauguration de sa nouvelle pièce est prévue pour septembre 2001.