Gustav Klimt : La peinture fétichiste
Arts visuels

Gustav Klimt : La peinture fétichiste

Tout comme chez Picasso pour qui le sexe a constitué un outil de déconstruction de l’art académique, l’érotisme lié aux cheveux a été une possibilité pour Klimt d’inventer un art moderne formé de textures et de taches presque abstraites. Une façon de penser autrement la surface du tableau.

Chevelures abondamment fournies, crépues, frisées serré, parfois un peu ébouriffées ou, au contraire, savamment ondulées. Il y a beaucoup de femmes aux imposantes crinières dans la peinture de Gustav Klimt (1862-1918). Des rousses électriques, parfois d’un vulgaire poil de carotte, parfois d’un sombre auburn; des brunes au fier port de tête; des blondes vaporeuses… Si vous avez déjà été séduit par les cheveux d’une personne, vous comprendrez cette fascination du peintre. Sinon, c’est le moment de plonger dans cet univers duveteux, et ce jusqu’au 16 septembre, au Musée des beaux-arts du Canada à Ottawa, où a lieu une importante rétrospective de l’artiste viennois.

On retrouve chez Klimt une forme de fétichisme des cheveux, un déplacement de la pulsion sexuelle sur une partie du corps qui pourrait sembler un peu moins fantasmatique mais qui, en fait, s’avère finalement très chargée érotiquement. Dans la bien-pensante Vienne de l’époque, la toison de la tête des femmes était certainement un possible lieu d’énonciation de la pulsion. Chez Klimt, le visage, et même tout le corps des femmes, est encadré par des cheveux touffus, parfois longs mais très souvent courts et ramassés en deux taches sombres, des paquets de poils presque pubiens. Le tableau lui-même dans ses textures très linéaires devient parfois comme une surface peignée grâce aux poils du pinceau et aux gestes caressants de la main du peintre.

Tout comme chez Picasso pour qui le sexe a constitué un outil de déconstruction de l’art académique, l’érotisme lié aux cheveux a été une possibilité pour Klimt d’inventer un art moderne formé de textures et de taches presque abstraites. Une façon de penser autrement la surface du tableau. À travers les manières de se coiffer, mais aussi de s’habiller – les vêtements des femmes aux motifs décoratifs ayant aussi une grande part dans son plaisir pictural -, il a su retourner habilement la futilité de la mode en un intense objet de délectation et de réflexion formelles.

Il fait dire que Klimt a appartenu au mouvement de la Sécession, fondée en 1897, qui voulait "introduire le public autrichien aux artistes étrangers" et à l’art moderne, mais qui surtout prônait, la "fusion des arts décoratifs et des beaux-arts". Par exemple, dans sa Frise de 1902, en hommage à Beethoven, Klimt célébrait "la faculté qu’a l’art d’améliorer la condition humaine en libérant l’humanité de la misère". Tout un programme que celui de vouloir transformer ainsi le quotidien en instrument poétique, artistique presque intellectuel.

Jusqu’au 16 septembre
Au Musée des beaux-arts du Canada à Ottawa

L’art en lutte
En 1999, il a fait un tabac auprès du public parisien avec ses sculptures placées sur le Pont-Neuf enjambant la Seine au niveau du Musée du Louvre. Le Sénégalais Ousmane Sow débarque maintenant sur le parvis du MBAC pour sa première prestation en Amérique. Cette fois-ci, pas de représentation d’Amérindiens lors d’une de leurs seules victoires sur les Américains – la bataille de Little Big Horn en 1876 – mais une installation de 23 pièces représentant des moments de la vie de trois ethnies africaines: des lutteurs noubas, des guerriers massaïs, des pasteurs peuhls. Le combat continue cependant d’y être omniprésent, l’art de Sow traitant beaucoup de violence. Un travail trop narratif par rapport à l’art actuel en Occident; toutefois, les matériaux (dont l’artiste garde le secret) qui semblent pauvres assurent à l’ensemble une présence physique indéniable ramenant le monde de la fiction au moment présent. Un art qui devrait s’imposer en Amérique.

Jusqu’au 19 août
Au Musée des beaux-arts du Canada à Ottawa

Paysage artistique québécois
Le sujet est un peu fourre-tout. Mais il semble hanter le milieu ces temps-ci avec intensité. En début d’année, c’était le Musée des beaux-arts d’Ottawa qui s’intéressait à la nature avec son expo pour le Prix du Millénaire (décerné à juste titre – mais sans grande compétition – à Janet Cardiff); maintenant, c’est au tour de trois galeries (René Blouin, Lilian Rodriguez et Roger Bellemare) de proposer une présentation collective autour de la notion de paysage. Pas facile de reprendre un thème qui a obsédé l’histoire de l’art avec autant de force et d’en révéler l’actualité.

Voilà un sujet bien moins riche intellectuellement, et tellement plus conventionnel que celui qui réunissait les trois galeries l’été dernier. La Cathédrale engloutie, un vrai pied de nez au cliché qui veut que l’image soit en train de nous submerger, avait bien plus de pertinence et de cohésion. Dans la présentation actuelle, plusieurs pièces trouvent une place artificielle, comme ces deux photos (par ailleurs excellentes) de George Zimbel, montrant un mariage et des hommes dans un espace public; tout comme la photo de Nicolas Baier (elle aussi formidable) représentant un grille-pain. Malgré tout, le prétexte de cet événement permettra aux visiteurs – et aux collectionneurs – de revoir des pièces d’artistes de qualité.

Quelques oeuvres se rapportent néanmoins au sujet. La photo de Geoffrey James est intelligente. Ce n’est pas un retour à une nature vierge sans intervention de l’homme, mais un constat d’une impossibilité de départager dans le paysage ce qui est de la main de l’homme et l’acte de Dieu. Dans Vimy Ridge, ces deux immenses masses pourraient être à la fois un paysage dévasté par la guerre, des dépôts de terre d’une mine, des collines ravinées par la pluie et l’érosion.

Une pièce, Paysage (absence) de Roger Bellemare (le galeriste a aussi depuis 1987 une pratique d’artiste), retiendra aussi votre attention. Un reste de billet de banque, qui montre souvent un paysage à son endos, exprime la récupération par l’État de ce genre pictural. Belle parenté avec le travail de Mathieu Beauséjour. Les tableaux d’Antonietta Grassi, malgré des titres qui semblent faire référence aux clichés sur l’image actuelle et le monde des communications (Painting dot com), et malgré qu’ils font beaucoup penser à certains Rothko et à certains romantiques, sont néanmoins très réussis. À voir également pour une superbe oeuvre sur papier de McEwen des années 60, chez Bellemare; une très intéressante pièce de Sarah Stevenson, chez Blouin; et un curieux artiste argentin, Lux Lindner, chez Rodriguez.

Jusqu’au 18 août
Aux Galeries René Blouin, Lilian Rodriguez et Roger Bellemare