Marquet au fil de l'eau : Eau-de-vie
Arts visuels

Marquet au fil de l’eau : Eau-de-vie

Les tableaux d’Albert Marquet font partie de ceux qui transportent au coeur même de l’univers de la peinture. Le Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ) nous livre quelques-uns de ses secrets.

La peinture d’Albert Marquet (Bordeaux 1875-Paris 1947) s’ouvre telle une fenêtre sur des paysages rendus avec une étonnante économie de moyen. De Paris jusqu’à Alger, l’eau douce ou l’eau salée, le Pont-Neuf ou le port de Marseille, quelques traits sur la toile et apparaissent un bateau, un quai, une fête foraine. Bleus ou turquoises, la mer et ses différents états émergent à la surface de la toile. On reconnaît des lieux: les eaux ocre de la Garonne, typique de Bordeaux, le profil du Vésuve à Naples, les quais de la Seine. Autant d’escales du peintre voyageur qui a parcouru l’Europe et le Maghreb. "Un art du bonheur", confirme le directeur du MNBAQ, John Porter. "On a l’impression que tout lui vient au bout du pinceau", renchérit Françoise Garcia, conservateur en chef du Musée des beaux-arts de Bordeaux. Découvrir et fréquenter les oeuvres d’Albert Marquet, où tout semble facile, s’avère, en effet, un véritable charme.

C’est un rêve personnel de M. Porter que d’exposer les tableaux de Marquet, dont il avait fait l’expérience dans sa jeunesse. Le 40e anniversaire du jumelage des villes de Québec et de Bordeaux en 2002 a favorisé la réalisation de cette belle exposition estivale dont la plupart des oeuvres viennent de la collection du Musée des beaux-arts de Bordeaux, d’institutions française, canadienne, américaine et de collections privées. "C’est un honneur de voir notre collection ainsi déployée", commente Mme Garcia. Une collection dont la particularité est de jalonner toute la carrière de Marquet. Le MNBAQ présente 80 tableaux et dessins qui nous amènent au coeur de la modernité du peintre bordelais. C’est sur les lieux mêmes, dans les réserves du Musée des beaux-arts de Bordeaux, que Mme Garcia nous a initiés à l’oeuvre du peintre, nous montrant une à une ces esquisses à l’encre dont la justesse et la vitesse d’exécution ont tant impressionné Henri Matisse, avec qui Marquet a suivi l’enseignement de Gustave Moreau (1826-1898). Si une exposition de Marquet a déjà eu lieu à Québec en 1964 au Musée, cette récidive permettra aux nouvelles générations de le découvrir. S’ajoute à cette généreuse exposition une section consacrée à James Wilson Morrice (1865-1924), "notre premier moderne", qui a connu Marquet. Morrice a aussi, comme le peintre bordelais, peint au gré de ses voyages.

Rapidité d’exécution, goût du dessin vif et précis, voilà autant de façons de décrire la modernité d’Albert Marquet. Cette modernité s’inscrit aussi dans la répétition (on peut voir une des 75 vues qu’il a peintes du port de Marseille où il a séjourné). À l’instar de l’art de la fresque, les tableaux de Marquet sont mats, sans verni, ce qui leur donne une certaine sobriété. On dit aussi son dessin japonisant, tel que Mme Garcia l’écrit dans le catalogue (en forme de carnet de voyage), rapprochant ses vues de Naples des Trente-Six Vues du mont Fuji, du Japonais Hokusai (1760-1849). Comme la calligraphie japonaise, les dessins de Marquet ne laissent guère de place aux repentirs. Son écriture rapide alliant vitesse et énergie s’incarne dans une présence forte de la matière picturale. Quoique Albert Marquet ne soit pas, en effet, le plus connu des peintres modernes, sa peinture ne se réduit pas pour autant "à une décoration pour intérieur bourgeois", pour reprendre les mots de Mme Garcia. Si son oeuvre bénéficie aujourd’hui d’une nouvelle lecture, peut-être est-ce parce que la sensibilité contemporaine est davantage familière avec différentes formes d’abstraction picturales qui permettent de percevoir davantage les qualités du travail de Marquet. On apprécie le peintre bordelais d’autant plus que ses oeuvres sont présentées avec beaucoup de soin. Montage et design (Denis Allison) sont impeccables et nous permettent ainsi de découvrir son art, dans un parcours limpide et harmonieux.

Jusqu’au 7
Au Musée national des beaux-arts du Québec
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