Nicolas Baier : Scènes de la vie quotidienne
Dans son solo au Musée d’art contemporain, NICOLAS BAIER tente de prendre possession du monde et de toutes les manières de le représenter. Un solo multiple.
"Dans une conversation avec un chum, tu discutes de plusieurs sujets. En art, c’est la même chose. Je ne me concentre pas sur un millimètre carré que je connais par coeur comme beaucoup d’artistes qui se répètent le font." Nicolas Baier a de la suite dans les idées. Et qu’on ne s’y trompe pas: ce n’est pas parce que ses photos semblent avoir changé qu’il ne poursuit pas le même rêve artistique. Certes, il est passé de compositions quadrillées très complexes visuellement à des épures presque totalement vides, réduites à quelques éléments essentiels, pour de nouveau complexifier ses images avec des structures géométriques ou surchargées d’objets. Mais dans cette démarche, une constante: Baier poursuit, traque, dissèque le réel. Et il le fait d’une manière "globale". En tentant de prendre ce monde qui l’entoure dans son entièreté. Projet fou digne de Borges ou de ce texte d’Umberto Eco (reprenant Borges) qui raconte comment, pour réaliser une vraie carte du monde, il faudrait qu’elle soit à l’échelle 1:1, qu’elle soit en fait une copie de ce monde! Carte pas très facile à plier ni à mettre dans sa poche… Nicolas Baier est de cette douce folie-là.
Jugez par vous-mêmes comment le solo de Baier, présenté ces jours-ci au Musée d’art contemporain (MAC), perpétue cette obsession du réel. Un exemple: cette immense image, intitulée Petits riens, où l’artiste nous montre presque tous les objets de son appartement, scannés un par un. Téléphone, cigarettes, télécommande, disques, condoms, cartes à jouer, cintres, ciseaux… La liste est longue. Presque infinie. Baier a passé des mois à ainsi numériser le monde réel qui l’entoure. On sera presque étonné de ne pas y voir ses amis eux aussi aplatis dans son scanneur et épinglés dans cet herbier nouveau genre. Le résultat? Un photo-montage qui défie le regard, où le spectateur prend du temps à se repérer tant il est chargé visuellement… Et puis, à côté de cette folie, une image où c’est le scanneur lui-même qui semble être le sujet de l’oeuvre. Comme si Baier, en plus de vouloir prendre le monde en entier, voulait aussi donner à voir la manière dont il se l’approprie. Cela donne une image toute noire. Image du scanneur vide avec, à l’intérieur, juste quelques poussières, une mouche et un papillon qui se sont trouvés pris par hasard dans la mâchoire de son dispositif.
J’aime l’éclatement que représente cette exposition au MAC. Chacune des photos de Baier semble énoncer une manière de faire si différente. Ici cette photo toute noire presque abstraite, à la croisée de l’abstraction lyrique et du suprématisme de Malevich, là cette image construite comme un tableau géométrique à la Mondrian ou à la Molinari, qui s’oppose à cette image presque hyperréaliste avec surabondance d’objets. Baier travaille sur une oeuvre éclatée? Il faudrait plutôt parler de l’éclatement à l’oeuvre, de la multiplicité comme approche de la photo et de l’art. Je dois dire que cette façon de travailler, où l’artiste refuse de se cantonner dans une seule façon de faire, est très actuelle. La peintre Marie-Claude Bouthillier a depuis plusieurs années, dans ses expos et dans sa production, montré son intérêt pour des techniques et façons de faire très diverses, développant son travail comme un répertoire de manières de peindre. Baier est de cette veine. Et il fait tout ce qu’il fait avec grandeur. Son travail est d’une grande cohérence.
Je ferais seulement un reproche à cette exposition: son éclairage et sa scénarisation me semblent ne pas mettre assez en valeur la qualité des oeuvres. Certaines ampoules se reflètent sur la surface des photos et éblouissent le spectateur. La grande image noire me semble aussi peu respectée. Elle aurait mérité un dispositif plus surprenant. Vue de trop loin, elle invite peu le spectateur à mesurer son étrangeté. Et puis, comme toujours, la maudite estrade mal placée dans cette salle gâche le parcours. Mais ce ne sont que bémols dans une expo où les images sont orchestrées avec une forte complexité.
Jusqu’au 4 janvier
Au Musée d’art contemporain
Natures mortes
Un dispositif visuel, aussi intéressant soit-il, justifie-t-il par lui-même la valeur d’une oeuvre d’art? C’est la question que le spectateur se posera en voyant, au Musée des beaux-arts, les photos du Néerlandais Gabor Ösz. Celui-ci a utilisé les bunkers de la Seconde Guerre mondiale, qui encore de nos jours subsistent sur les côtes d’Europe, et les a transformés en appareils photo monumentaux. Juste en bloquant les ouvertures par un immense panneau opaque troué et en plaçant des émulsions photo sur le mur opposé, il a métamorphosé ces lieux en immenses camera obscura. Après plusieurs heures, il a obtenu des images des paysages qui font face aux bunkers.
L’idée est jolie. Les images obtenues ne manquent pas de caractère esthétique: vastes paysages marins, composés d’une bande de plage et d’une bande de ciel. Mais il manque un contenu à ces images. Car de quoi parlent-elles? Du regard scrutateur que les soldats ont posé sur ces lieux? De l’attente que ces soldats ont vécue? Devant ces paysages bien muets, le spectateur demeure perplexe.
Jusqu’au 11 janvier
Au Musée des beaux-arts